mon sens de l'humour

hectorvugo

Il est un rite immuable chez moi peu importe la météo. Je marche un quart d’heure tous les matins. C’est mon jogging. Aux aurores de préférence. Mon circuit ne change pas. Je fais le tour du pâté de maisons dans le sens des aiguilles d’une montre.

A l’heure où je me sacrifie à cet exercice, peu sont les volets qui bougent. Et quand l’un d’entre eux s’ouvre, je ne manque pas de saluer le voisin.

C’est ma manière de prouver aux autres que j’existe, la fameuse nécessité d’être sociable et insérer. Je fais un signe, dis parfois deux mots. Inutile d’aller plus loin, j’ai horreur de tenir la jambe à quelqu’un, non pas par misanthropie, mais par discrétion.

Je remercie le ciel de cette capacité à raser les murs, surtout avec Madame Vine. Dieu sait pourquoi elle ouvre ses volets quand je me trouve exactement à sa hauteur. Elle le fait exprès. Je ne peux pas m’échapper. Elle me regarde fixement et attends mon mot d’introduction : bonjour. Je le lâche par pure politesse. Je n’y adjoins pas son prénom sans quoi elle prendrait cet excès de familiarité comme un début d’approche.

Je ne veux pas me risquer à la faire rêver. Je ne m’en sens pas le droit. Combien d’histoires d’amours ont commencé comme cela ? Avec un simple bonjour.

Le mien est monocorde, impersonnel. Néanmoins, aux yeux de Madame Vine c’est un bonheur à venir. Si elle savait qu’il n’aura jamais lieu.

Elle penche sa tête de trois quart sur la droite puis la redresse en caressant sa nuque et ses cheveux. Elle en viendrait presque à être belle. D’une beauté uniquement visible au myope du petit matin. Une chance qu’à cette heure je porte mes lunettes. J’ai intégré dans mon regard cette supercherie grossière, ce mouvement spontané, cet appel à la reproduction. Car il ne faut pas être dupe. A son âge l’horloge cavale suffisamment pour que le désespoir la pousse à prendre le premier qui se présente.

Je pars puis me ravise. Elle me lance un « comment ça va Antoine ? ». De quel droit use-t-elle de mon prénom ? Par une volonté de m’être agréable. C’est tout le contraire, cette proximité me hérisse. Et pourtant je n’en laisse rien paraître. Pire je lui souris comme si j’étais touché par cette marque d’affection.

Dialogue de sourds, le silence s’installe. Clap de fin.

Quand je rentre chez moi, l’épisode Madame Vine est loin. La journée commence vraiment, la tête dans le guidon.

Corps à corps avec des inconnus malgré moi, le métro, la puanteur du monde, des visages de morts masqués par des journaux ou des livres, cela n’est qu’un avant-gout des hostilités à suivre.

Je n’aime pas mon métier. J’y trouve le réconfort du porte-monnaie. C’est une compensation bien pauvre. Je fais semblant d’être civilisé et personne ne voit rien. C’est dire dans quel état nous sommes tous.

Parfois au bureau je croise des gens heureux. Je les trouve attristant de bêtise. Ils portent sur eux une douce évidence qui ne sera jamais à ma taille. Le bonheur est ennuyeux, trop plat pour être honnête. Les emmerdes c’est tellement mieux. Ça vous rend intéressant et désirable pour peu qui vous ayez juste ce qu’il faut. C’est une question de dosage, en avoir trop vous rend infréquentable.

Les journées sont longues et rares sont les plaisirs qui les allègent. J’aime le soir venu, prendre mon temps, boire un café, lire la presse du jour sur mon i pad puis écouter le concerto n° 1 pour piano de Rachmaninov.

J’ai l’impression de toucher le bonheur, je le frôle. Sa proximité me pousse à croire que j’y ai droit aussi.

Hélas ce processus est pollué ce soir par une lettre de Madame Vine, une déclaration d’amour à mon endroit.

J’ai parcouru le courrier deux fois, la première j’ai éclaté de rire, la seconde je me suis dit qu’ai-je fait pour mériter cela ?

Que lui répondre ? Bah on ne répond pas à des choses pareilles Et si je déménageais. ? Oui foutre le camp, ne plus la voir. Et puis non ! Je changerai d’itinéraire pour ma marche du matin. Et puis non ! Ne plus lui dire bonjour ? C’est une idée. Et puis non ! J’ai mieux. Plus sadique, plus fin.

J’ai mis une semaine pour élaborer ma réponse. Je ne maitrise pas photoshop désolé.

Ce matin elle recevra une fausse carte : Antoine et Pierre sont heureux de vous annoncer leur mariage et vous invitent au vin d’honneur le 25 juin prochain. J’ai eu un mal de chien à monter la photo et la caser au-dessus du texte.

Le soir de retour du bureau, j’ai appris que Madame Vine s’était pendue.

Depuis mon sens de l’humour a changé.

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