La Vioc est morte

Colette Bonnet Seigue

La Vioc est morte

                La Vioc est morte !!! La Vioc est morte !! hurla Octave à pleins poumons avec jubilation ! Mais à cet instant, le cri enthousiaste avait ce plus libérateur, comme si, soudain, le poids de sa défunte Ernestine se faisait  de plume! La Vioc est morte dans le poulailler. Elle gisait là, les bras en croix, au milieu des volatiles perchés sur son ventre  picorant les  graines  échappées en vrac du tablier.

                Il faut dire que la Titine,  la soixantaine, avait pris ici- bas taille et place encombrantes parmi les siens et connaissances. Tous avaient peur de cette dragonne campagnarde du plus ragoutant –look- pachyderme- crade !  Rien de ces naïades tentantes et généreuses à la Botero ! A la ferme comme à la ville, quand elle s’y rendait pour vendre les produits du jour elle ne passait pas inaperçue !  Sa silhouette de lever- de- lit –sans ablutions, sa bouche ouverte aux quatre vents laissait échapper  à travers  l’unique chicot-stalactite une  haleine à déterrer les taupes. Sur le marché on repérait Titine à sa voix mâle tonitruante, une gouaille à repousser les chats-huants !

Et quand elle avait un client dans le costar elle l’expédiait illico. Il ne faisait pas bon  lui tenir tête la matrone !

                Octave,   l’époux soumis depuis des décennies, sous le choc de la nouvelle  se sentit pousser des ailes d’angelot. Il lui fallait appeler très vite enfants et petits-enfants.

                " Bah ! " se disait-il "J’ai encore le temps ! "

                Il commença par descendre une lampée de Schnaps, en levant son verre devant le corps de sa dulcinée" Tu pensais y passer la première, eh bien, j’ t’ai eue la vioc ! "fit-il soulagé. Puis, se ravivant, pensant aux choses pratiques des obsèques, il prit sa voiture en sifflotant et se dirigea vers les Pompes funèbres "Dernier voyage". Il entra goguenard. Son air désinvolte surprit l’employé qui lui dit d’un air comédien :

-Bonjour monsieur, que puis-je pour vous ?

-Voilà, je viens de perdre ma femme.

-Mes condoléances !

-Bon débarras ! marmonna Octave dans sa barbe.

Venez par ici Monsieur répliqua l’homme décontenancé, j’ai là, pour vous un grand choix de cercueils dans l’arrière-boutique. Octave le suivit toujours en sifflotant. " En voilà un qui n’a pas de regret, c’est rare ! " pensa le commerçant gêné. En regardant l’alignement des cercueils, Octave éclata de rire :

      -Tout ça pour ça ! s’écria –t-il.

      -Mais, monsieur, la mort vaut bien une  dernière attention !

Le fermier, hilare, tata  plusieurs "boîtes" (comme il disait), des capitonnées de velours, de soie rare, imaginant sa toupie de défunte encastrée pour l’éternité ! – elle ne rentrera jamais là-dedans ! Il faudra "tasser " !!!! Soudain un cercueil attira son attention, le moins cher de tous, en sapin bordeaux.

-C’est ça, c’est c’que je veux, ça lui ira bien !

-Vous savez , monsieur, c’est le bas de gamme !

"Et gnia gnia ! Et gnia gnia gnia qu’est ce qu’il m’énerve ce péquin ! "

-Elle aimait le rouge, c’est la seule faveur que je lui octroie ! Quant au sapin, ça suffira largement !

                Enfin l’employé continua sa retape en lui présentant des prestations de services d’obsèques.

-Non merci, j’ai dans ma ferme une paire de bœufs d’attelage qui feront l’affaire.

-Comme vous voulez fît l’homme  étonné en tirant de sa poche noire un grand mouchoir blanc pour s’éponger le visage.

                Puis, Octave s’en revint chez lui, téléphona pour annoncer la nouvelle à ses amis et les inviter pour le lendemain  à un banquet de circonstance. Ce lendemain soir, au milieu du repas, Octave demanda à tous de lever leur verre.

                                       -Mes amis, c’est un moment de bénie délivrance qui nous réunit tous ici ! En ce jour de fête   buvons ! Riez mes amis ! Riez avec moi,  aux agapes futures, aux voyages en célibataire   comblé !  Fin du pain dur et de la soupe populaire ! J’ai trouvé le magot de la Vioc dans le    poulailler !!!!

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