Mona la douce

Je suis exténuée de langueur, voilà deux heures que je pose, et je dois sourire tout le temps, je n'en ai plus envie, ce vieux peintre me fatigue.

Je suis sous la torture de son regard, je souris et j'ai mal aux maxillaires, assez de rester immobile dans cet atelier surchauffé.

Il faut que je me positionne presque de face, qu'il répète, mais face à quoi à qui?

Il m'énerve son regard est… lubrique!

Oui, c'est cela, lubrique, pourtant il n'aime que les garçons à ce qu'il paraît…

Cet homme est ambigu, je n'ai aucune confiance en lui.

Il ne faut pas être normal pour demander à une femme de s'épiler entièrement les sourcils et de se couper les cils.

Si j'ai accepté, c'est bien pour faire plaisir à mon époux qui le désirait également, mais c'est la dernière fois que je fais cela…

Les hommes sont parfois bizarres dans leurs désirs et leurs fantasmes…

Enfin, c'est la vie…Puisque mon cher mari est heureux et que je peux satisfaire ses désirs avec quelques poils en moins…

La chaleur des bougies fait grésiller mon âme.

Leur douce lumière doit me donner un teint lumineux…

J'ai l'impression d'être en enfer.

Mille pensées bruissent dans ma tête, avec un petit son de colère.

J'ai envie de le mordre…Mais, je ne peux montrer les dents.

Je dois sourire, toujours sourire

Je dois le regarder de face et tourner mon buste au trois-quarts!

Ce n'est pas lui, qui a mal au cou!

Je déteste le vert et me voilà dans cette robe qui me serre sur le devant, j'étouffe!

Toutes ses broderies à l'encolure! Cela me démange, je vais encore avoir des rougeurs!

Il veut que je garde un voile sur ma tête, mes cheveux bouclés sont si jolis quand ils ne sont pas plaqués…J'ai l'impression de ressembler à une bonne sœur…

Mais, pourquoi ai-je accepté de poser pour ce vieillard?

Par amour… Suis je folle!

Ma poitrine est tellement comprimée que je ne peux respirer…

Ce vieux cochon voulait que je montre mes seins…

J'ai refusé.

Il ne manquerait plus qu'il se rince l'œil.

Qu'il soit déjà satisfait, de voir mon épaule.

Il a refusé que je mette mon joli collier de perles fines.

Il me veut sans artifices, tu parles!!!

Ainsi, tu vois mieux ma poitrine, hein vieux malade!

Je suis fatiguée, tellement lasse, j'ai mal dormi cette nuit.

Ce barbon a osé me reprocher mes yeux cernés…

Il me donne le tournis, en allant de droite à gauche, en tenant sa palette comme un moule à tarte…

Tiens, j'aimerais bien qu'il se prenne les pieds dans le tapis et qu'il s'enfonce un pinceau dans la gorge…

Là, j'exagère un peu. Je ne suis pas si méchante.

Je dois rester immobile et sourire… prendre patience…

Mais pourquoi, a t'il fait venir ces musiciens, ces bouffons et ces chanteurs?

Pour me distraire, le distraire?

Ils me cassent les oreilles!

Ce Léonard m'agace, il tourne autour de moi comme un bourdon pour une abeille…

Il change sans cesse de place, une affreuse peinture, derrière moi.

Elle fait office de décor. Quelle horreur!

C'est une vieille toile démodée qu'il doit avoir peinte, il y a longtemps.

Un paysage comme le ferait, n'importe quel peintre amateur.

Un site montagneux dans lequel se détachent un chemin sinueux et une rivière qu'enjambe un pont de pierre. C'est d'un banal…

En fait, ce radin est très embarrassé, car au beau milieu de la toile, il y a une grande déchirure et s'il la déplace, c'est; pour que mon corps et ma tête cachent l'énorme accroc.

Je suis assise devant un paysage de montagne aux horizons lointains et brumeux…

C'est tellement symbolique!

Moi qui n'aime que le soleil et la mer...C'est homme est un sadique!

Tout est faux! Le parapet et les colonnes! Du plâtre et du stuc.

De la poudre aux yeux!

J'ai envie de tout renverser…

De tout casser et de m'enfuir loin de cet atelier.

Mais…

Pour mon bien-aimé mari qui a commandé et payé ce tableau, au babouin.

Je dois sourire, toujours sourire.

J'ai mal aux fesses, il aurait pu prévoir un coussin.

Ce fauteuil n'est pas du tout confortable, le dossier est trop droit et les barreaux me font mal à la colonne.

Mon bras, qui doit rester immobile sur l'accoudoir, s'est endormi, j'ai l'impression qu'une armée de fourmis monte de mes mains, vers mes omoplates et j'ai une folle envie de me gratter le nez et surtout, de faire pipi.

Je dois sourire au vieux barbu.

Je n'en peux plus, je vais défaillir!

Dans deux secondes …

Foi de Mona!

J'écarte les jambes et je lui montre ma chatte!