Monalisa
Laurent H
Depuis tout petit, sa maman lui avait révélé le don que la famille se transmettait de génération en génération.
Il était devenu avec l'âge un grand amateur d'art et évidemment un expert en peinture. Sa renommée était internationale, ses compétences admirées et jalousées.
Tout le monde se demandait comment il pouvait s'y prendre pour analyser les tableaux avec autant de finesse et comment il pouvait retranscrire avec autant de justesse l'état d'esprit du peintre au moment de l'exécution de sa toile.
Les impressionnistes n'avaient pas de secrets pour lui, il avait décortiqué complètement les peintres du 20eme siècle et ceux de la renaissance semblaient lui avoir révélé tous leurs mystères.
Les musées du monde entier étaient son domaine, il parcourait la planète de ville en ville, d'exposition en exposition. Il arrivait presque à la fermeture, s'arrangeait pour n'être remarqué par personne et ne ressortait qu'au petit matin, repu de voyages nocturnes et la tête pleine de découvertes.
Il rentrait chez lui, à Paris, consignait ses notes dans des cahiers d'écoliers, illustrant certains points de croquis, d'esquisses et de canevas. Il exposait la volonté de l'artiste, expliquait le pourquoi du thème choisi, le choix des couleurs, de la lumière et donnait cette impression inouïe d'avoir été près de l'artiste lors de la création de l'œuvre.
Ses livres faisaient références dans le monde des arts et les plus éminentes écoles le pressaient de venir tenir une conférence en leur enceinte.
Lorsqu'il entrait dans le tableau, tout s'éclairait. Il était en symbiose avec le cerveau du peintre et ressentait les mêmes émotions, les même idées et les même envies. Il ne faisait pas partie de ce tableau, il passait juste à travers.
Son corps flottait à l'extérieur, au-dessus du créateur en pleine action et il était libre de se déplacer où bon lui semblait.
Ce pouvoir lui avait fait côtoyer Van Gogh, peindre avec Rubens, toucher le mysticisme de Fra Angelico. Tous les plus grands maîtres de la peinture que la terre ait jamais portée furent visités.
Jamais personne n'aurait pu comprendre cela, jamais personne ne saurait pourquoi il approche si bien l'âme du peintre dans ces écrits...
Après avoir lu la lettre du médecin qu'accompagnaient les feuillets du laboratoire d'analyse, il fondit en larme.
La maladie tropicale que sa Lyne avait contractée lors d'une visite au zoo de Bruxelles était comme les médecins le pressentaient non seulement incurable, mais en phase terminale. La conclusion soulignée au bas de la dernière feuille donnait une semaine de survie à la jeune femme qui mise à part une gêne respiratoire, ne se portait pas si mal.
Il était désespéré. Il ne pouvait se résoudre à la perdre.
Dans sa tête défilaient des images, le doux visage de Lyne, une tombe, le Louvre, les recommandations maternelles, la Joconde.
Sa mère est là près de lui, il à dix ans, il écoute, il retient. Jamais aucun autre être ne doit passer avec lui dans le tableau sous peine de ne jamais revenir. Il ne doit en aucun cas modifier les évènements.
Ces préceptes résonnent dans sa tête, la voix de sa mère laisse transparaître ce petit soupçon de menace qui lui glace le sang. Puis tout s'efface pour laisser place à une feuille blanche où ressort une phrase soulignée de rouge "… et l'on peut craindre un décès dans la semaine qui vient."
Il se précipite à l'étage, prends vivement Lyne par la main et l'entraîne en courant vers la voiture.
Par chance la salle est pratiquement vide et les rares visiteurs leur tournent le dos, occupés qu'ils sont à admirer la somptueuse toile de Véronèse, "Les noces de Cana" qui occupe tout le flanc gauche de la salle. Il n'a pas lâché la main de la jeune femme et s'approche de la toile.
Il s'arrête, regarde Lyne longuement et sans dire un mot, plonge avec elle dans le tableau.
Là, tout va très vite. Tout en tenant Lyne, il court intercepter le modèle qui s'approche et l'enferme dans une chambre près de l'atelier du maître, puis oblige son amie à entrer et à s'asseoir en face de la toile blanche. Le peintre débute son ouvrage, il le terminera dans quelques heures, il le sait.
Après un dernier regard pour sa Lyne qui le regarde les yeux pleins de larmes, il sort du tableau. Dans la salle tout est sombre, le musée est fermé depuis bien longtemps. Seul le rayon de la lune filtre par la verrière et éclaire les tableaux d'une lumière presque magique. Il marche vers la sortie, il ne se retourne pas, il sait.
Il sait que sa Lyne ne mourra plus jamais, la Joconde à son visage. Et lors de ses prochains voyages à l'intérieur des tableaux, il partira rejoindre son éternelle Monalisa...
Et si c'était vrais... Ce serai le bonheur ! C'est très beau Laurent
· Il y a plus de 12 ans ·nilo
Merci à tous les deux, c'est une nouvelle qui me tient vraiment à coeur
· Il y a plus de 12 ans ·Laurent H
j'aime beaucoup l'idee du texte, et le style bravo
· Il y a plus de 12 ans ·christinej
C'est beau et bien écrit. C'est triste et à la fois plein de l'espoir de "l'après"...
· Il y a plus de 12 ans ·Mathieu Jaegert