Monsieur P.

Un jour alors que je dirigeais une association locale d'aide aux plus démunis, le Maire sonna à ma porte. Il fallait que je fasse quelque chose pour Monsieur P., qui habitait dans une cabane à 2 km avec son chien, buvait tant et plus, zonait régulièrement au milieu de la départementale, multipliait les tentatives de suicide mais appelait les pompiers avant, bref, dérangeait tout le monde.

Monsieur P. avait la quarantaine, de magnifiques yeux bleus, un bon sens de l'humour et je le trouvai très gentil.

Renseignement pris, monsieur le Maire lui apportait des tonnelets de pinard quand un des médecins de la place le bourrait d'anti-dépresseurs. Je poussai une gueulante monumentale contre les deux. Le cocktail alcool + anti-dépresseurs ne fait pas bon ménage, tout le monde le sait, comme tout le monde sait aussi que la dépression demande un suivi psychologique en plus des médocs.

Un jour je pris le taureau par les cornes. J'invitais Monsieur P chez moi, lui fit couler un bain, lui donnai des vêtements propres, mangeai avec lui puis lui proposai de dormir dans un bon lit.

Une fois Monsieur P. rasé de frais, reposé et en état de m'entendre, je lui proposai de faire une cure de désintoxication à l'hôpital voisin. Il accepta. Je ferraillai un peu avec un autre médecin en lui rappelant son serment afin qu'il signe l'hospitalisation et fasse venir une ambulance pour le conduire.

Le soir Monsieur P. était en cure. Au bout d'un mois il allait beaucoup mieux d'autant qu'il était tombé amoureux d'une aide-soignante, une femme seule avec un petit garçon. Il l'épousa, adopta son petit, partit en Bretagne d'où il était originaire et trouva facilement du travail, puis eut un enfant avec elle.

Tout ça pour dire que notre système de santé permet de prendre en charge certains personnes en détresse mais qu'il faut parfois insister à plusieurs niveaux pour que ces aides soient efficaces.

L'alcoolisme et la drogue ne permettent pas de se remettre sur pieds correctement. C'est une descente aux enfers tragique. Si nous voulons aider vraiment certains SDF, il est indispensable de les aider à se soigner d'abord, le corps en priorité selon le dicton "un esprit sain dans un corps sain".

Je vois beaucoup trop parallèlement de jeunes drogués qui sont en échec scolaire et/ou cumulent les actes de délinquance. Les parents me regardent souvent gênés quand je leur dis qu'il est urgent de faire soigner leurs petits de ce fléau qu'est la drogue, d'autres sont furieux quand je leur dit cash qu'un gosse de 14 ans qui en est à 4 pétards par jour c'est dangereux pour lui à plusieurs titres. Encore hier j'entendais une étude sur ce problème, des effets funestes de l'herbe sur les capacités de concentration à l'école et des troubles cognitifs associés. Mais beaucoup trop de gens ferment les yeux et se disent que ça va passer. Or il y a des centres dans la plupart des hôpitaux pour aider jeunes et familles en détresse parce que ce n'est pas si souvent que ça que ça passe tout seul.

D'autres rient en voyant leurs enfants mineurs nageant dans des mares de vomi après une énième cuite. Je me suis pris la tête plus d'une fois avec des gens à ce sujet. Perso je ne trouve ça pas drôle. C'est un signal de détresse envoyé par ces enfants à ne surtout pas négliger.

Quand je vois le nombre de fois où mes enfants m'ont téléphoné au milieu de la nuit après avoir appelé les pompiers ou le SAMU parce qu'un de leur pote s'était foutu la tête à l'envers...je me mors les lèvres pour ne pas hurler et dire à ces parents de prendre leurs responsabilités, de comprendre ce que leur jeune est en train de dire. Un jour un de mes fils fut choqué par la remarque d'un parent "maintenant qu'elle est dans cet état, il n'y a qu'à la laisser dormir". Mon fils me dit "maman tu n'aurais jamais dit ça." C'est sûr. j'aurais ramené mon enfant à la maison plutôt que de le laisser cuver sur un quai venté en pleine nuit.

Mes enfants sont des veilleurs, ils veillent régulièrement sur leurs camarades pour qu'ils ne fassent pas de conneries et ce depuis qu'ils sont très jeunes, y compris sur ceux plus vieux qu'eux.  Encore il y a peu, mon 3° a appelé le SAMU après avoir trouvé un jeune qu'il ne connaissait pas au terme d'une ixième nuit de beuverie collective dans un campus universitaire, tout en le mettant en position de sécurité et en lui prodiguant les premiers soins dans l'attente des secours. Mais lui était clean et n'avait pas bu.

Ils ont beau être majeurs je surveille et rappelle les consignes de sécurité: on ne boit pas comme un trou, on ne fume pas, on ne se drogue pas, on ne prend pas la voiture quand on a bu, on sonne l'alerte en cas de danger et on prend ses responsabilités d'adulte: on ne passe pas devant une personne en danger sans essayer de la secourir.