Montmartre - San Francisco

François Roche

Elle a ri. Un chant d’oiseau lui ait sorti de la gorge juste après la douche. Je l’entendais s’affairer derrière la porte, l’imaginant poser sur le marbre du lavabo son rouge à lèvres qu’elle venait d’appliquer avec concentration devant le miroir, prendre son vaporisateur de parfum dont les effluves arrivaient jusqu’à moi. Tout en l’épiant comme un voleur, j’éprouvais une joie cristalline, une allégresse âpre et lourde qui m’alla droit au cœur, comme un alcool bon marché. La porte de la salle de bain s’ouvrit enfin et elle apparut, coiffée d’une serviette blanche, nue, la peau encore mouillée, fière, les seins dressés. Elle prit son élan comme les athlètes de saut en longueur et se jeta à côté de moi en criant. Elle regarda la photo de Romain Gary et Jean Seberg au-dessus du lit en reprenant son souffle et tourna la tête vers moi. Je voyais mon reflet dans ses yeux. Elle m’a dit : « J’ai envie ! » J’ai répondu : « Maintenant ? » Elle a répliqué : « Les hôtels sont faits pour ça, non ? » Bien sûr qu’ils sont faits pour ça, j’ai pensé. Des ailleurs où le temps n’existe pas. Après elle s’est coiffée puis s’est maquillée légèrement. Elle a passé des bas noirs à jarretières et une petite culotte en dentelle. Elle a choisit une jupe serrée à la taille et aux hanches et évasée plus bas. Facile à trousser, comme elle disait en souriant. Pour finir, des chaussures raffinées à talons qui mettaient en valeur la finesse de ses chevilles, le galbe de ses jambes minces et musclées. Elle était prête. « Allons nous promener. » Nous avons descendu la rue Paul Albert jusqu’au square Louise Michel au pied du Sacré Cœur, où le dôme blanc s’offrait aux crépitements des appareils photos. Nous avons marché main dans la main dans un dédale de chemins en dénivelé qui longeait le jardin au milieu d’une végétation foisonnante. Je sentais les regards derrière nous et je ne pouvais feindre en moi un sentiment de fierté. Il y avait dans l’air une odeur de rose et d’herbe mouillée et les notes mécaniques d’un orgue de Barbarie s’envolaient au-dessus des toits. Autour de nous des figuiers, des magnolias, des orangers exaltaient notre ravissement. Ses yeux brillaient d’un éclat mystérieux. Au fil de notre promenade la raison nous avait abandonné et avait laissé sa place au sentiment. Être romantique à Paris ; la radieuse promesse des guides touristiques devenait une réalité frappante. Nous marchions sur le territoire de la passion. Je lui ai dit : « J’ai une surprise pour toi. » Elle eut un petit rire et un mouvement de tête incrédule. Nous avons longé les arènes de Montmartre puis contourné à droite le Square Nadar pour remonter dans la rue du Mont-Cenis. Les interminables marches nous brulaient les mollets, puis la rue s’est élargie et nous sommes enfin arrivés devant un petit square. J’ai ouvert le portail pour la laisser passer, elle m’a dit : « Regarde toutes ces inscriptions sur ce mur ! » « C’est ta surprise, c’est le mur des je t’aime. Partout dans le monde les hommes construisent des murs pour séparer les peuples avec la violence comme ciment, ici on a construit un mur pour dire je t’aime dans toutes les langues, comme un trait d’union, c’est mieux, non ? » Deux jours plus tard, nous étions repartis à San Francisco.

Signaler ce texte