Mort d'un papillon

yunahreb

Le soir s'allongeait sur mon visage. Inondée des derniers rayons qui me dardaient depuis la fin de l'après-midi, je restais étendue, le corps en berne. Je distinguais l'autre rive de ce lac et m'amusais à la contempler sans me faire distraire. Effectivement, moucherons et papillons dansaient la folle ronde des êtres libres. Leur passage laissait comme une écume sur mes yeux, presque hypnotisés par le manège incessant de ces créatures sans lendemains. D'ici quelques soirées, ils retourneront dans l'éphémère poussière qui les a vu naître. Je me sentais absorbée, happée par ce doux mouvement qu'ils dessinaient lentement devant mes yeux ébahis. Quelques brins de bise venaient entraver leur danse et je les voyais lutter, comme damnés par les éléments présents, pour éviter de chavirer ou de se retourner. Ce n'était pas tout. Une feuille, d'humeur assez lourde et humide, tomba en direction d'un papillon tendrement posé sur une fleur. Cette fleur, et ses couleurs chatoyantes, promettait pourtant les délices de l'innocence. C'est sans compter sur cette feuille à la chute abrupte qui prédisait un destin funeste à la sérénité du papillon gentiment émerveillé par ce chaud moment d'éternité. Il n'avait rien vu venir. Il semblait si vulnérable, comme désarmé par sa propre immobilité. Généreuse et fière, je me penchais pour capturer la feuille et sauver la tranquillité de mon nouvel ami. La feuille, en tombant, me sembla de plus en plus menaçante. Elle prît alors la taille d'un aigle ou d'un quelconque charognard prêt à m'engloutir sous son poids. Plus près, plus près, moins haut, plus bas, elle m'écrasa dans un crissement de ténèbres que je ne sus pas distinguer de suite.

J'avais simplement oublié que moi aussi j'avais eu mon moment d'éternité: je n'étais qu'un papillon de verre, aux ailes aussi fragiles que celles de mon ami...

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