Mourir debout vivre à genoux

Pierre Magne Comandu

Journée de deuil national.

Français, arabes, chrétiens, musulmans, juifs, communistes, lepenistes, femmes, enfants, Charlie !

Ce soir, je voudrais vous dire que personne n'a le droit de vous dicter quoi dire, de vous dicter quoi faire, de vous dicter quoi être. Ce matin il y a eu des tirs de feu et des vitres brisées, des crânes éclatés et des poitrines en cendres, douze morts et trois fuyards ; ce soir il y a une foule immense amassée la nuit noire place de la République, cent mille de pancartes et des mains veineuses tendues vers les étoiles. Ni les trois criminels qui ont ouvert le feu dans les locaux de Charlie Hebdo ce nouveau onze septembre, ni les milliers de voix à la télé n'ont le droit de vouloir vous faire entendre raison. Ce soir comme tous les soirs la télé et la radio nous ont crié que ce soir la France a peur et pleure. Et la France ce pleure veut que vous aussi vous ayez peur, la France qui a peur veut que vous aussi vous soyez Charlie, la France qui le crie veut que vous aussi, vous soyez martyrs.

Ce soir, je voudrais être orgueilleux et parler en mon nom, pour vous dire que ce soir je ne suis pas plus fier d'être français et vivant que d'être né algérien. Je ne suis pas plus fier d'être né sur une terre qui a aimé l'islam et qui en ces jours sombres décapiterait son prophète dès qu'il reviendrait, que d'entendre à chaque heure que la France doit être unie et que chacun doit s'aliéner sous une même photo de couverture sur Facebook, sous un même nom, Charlie. Car si nous étions tous Charlie, nous serions déjà tous morts et aurions eu pourtant un courage bien supérieur à nous.

Ce soir, je voudrais vous dire que comme Charb crevé sous les tirs, nous ne vivrons pas à genoux et si nous mourrons nous mourrons debout. Et dans ce monde nous sommes debout sur nos deux jambes, c'est tout, et non pas sur les jambes qui tremblent de soixante six millions de citoyens. Car si nous sommes ensemble et si nous sommes un bloc, c'est sur le bloc tout entier que ceux qui n'ont jamais aimé le prophète tireront. Nous serons la France, et la France a peur que ceux qui ont tiré dans les vitres et dans le cœur de Charlie Hebdo ne tirent sur toute la France. Alors, je me suis me suis permis de montrer de mes bras, écorchés, sur le socle du monument à la Liberté et sa flamme, figée, pour vous dire d'être libres. Il faut que vous ayez votre vie, votre nom, votre rage qui vous pousse à faire d'un Koh-i-Noor une kalachnikov, votre amoureuse ou votre amoureux qui vous attend ce soir, et votre tasse de thé au matin du jeudi des premiers jours de janvier ; et alors que demain aux fenêtres il pleuvra, vous rirez.

Ce soir je voudrais vous dire que je ne suis pas Charlie, parce que malgré la reconnaissance et malgré le coup de pinceau, jamais je n'aurais eu le courage de ces hommes-là face à aux cris pervertis des traîtres aux prophètes. Je ne suis pas plus Charlie que vous n'êtes Charlie : vous êtes vous, et votre vie, votre nom, votre amoureuse ou votre amoureux, et votre tasse de thé, ils s'en contrefichent. Ils ont mis Charlie à terre, c'est ce qu'ils ont voulu et ils ont réussi ; ils ont mis la télé et la radio à genoux, et avec elles la France qui ne serait rien sans elles ; mais toi, avec tes cheveux longs châtains et tes boucles d'oreilles, toi, avec tes cheveux noirs plaqués vers le ciel, toi, avec tes ongles vernis de rouge sang ; toi, et autant de toi qu'il y a six millions de personnes dans la France, ils ne t'ont pas mis à genoux. Ne va pas te relier sous les couleurs noires de la France comme ils se relient sous les couleurs rouges d'Allah. Ne va pas faire de tous les Charlie de France des martyrs, comme ils ont fait des martyrs de Mohammed Merah et du prophète douze fois caricaturés. Ne va pas répondre à la haine de la liberté d'expression par la haine de l'intégrisme, aux rafales de kalach' par des rafales d'hélico', à l'embrigadement du djihad par l'embrigadement du FN.

Ce soir, je voudrais vous dire : non, ne va pas répondre. La France a déjà offert les femmes et les enfants dans les trains à bestiaux qu'attendait le Reich ; la France n'offrira pas la haine et la peur qu'attendent les fanatiques. Nous sommes dans un monde et nous jouons encore à faire comme s'il y avait encore un sens au monde ; ni les mots des discours, ni les images de la télé, ni les coups de feu, ni même l'acte immémorial d'avoir, dans tous les guerres, réussi à répondre au feu par le feu. Mais le feu par le feu aujourd'hui ne fait plus rien brûler. Il faut un jour se reconstruire, il faut un jour passer des discours endiablés au silence infini, de l'encre à la page blanche et de la mort à la vie. Nous ne sommes pas Charlie car Charlie s'est fait tirer dessus en plein cœur.

Ce soir, je voudrais vous dire que vouloir être Charlie après avoir reconnu la défaite de Charlie, c'est reconnaître notre défaite. Vous voulez notre défaite ! Vous voulez porter le nom d'un mort ! Vous voulez faire corps avec une France qui a livré des femmes et des enfants et qui se foutra de votre gueule quand vous serez au chômage et crèverez à la rue ! Très bien ! Soyez Charlie et ne soyez pas vous. Défendez la liberté sans avoir la votre. Accordez-vous l'orgueilleux courage de résister et serrez-vous en même temps les uns contre les autres pour ne pas mourir seul et ne pas mourir debout. Faites la guerre avec des photos de couverture Facebook, mettez une feuille de papier devant une kalachnikov et souriez parce que l'amour il paraît que c'est plus fort que tout.

Ce soir, je voudrais vous dire que vous n'êtes pas Charlie : vous êtes, c'est tout. Vous êtes, c'est votre plus grand pouvoir, et c'est cela qu'ils ne veulent pas. Et n'oubliez jamais que personne n'a le droit de vous dicter quoi dire, de vous dicter quoi faire, de vous dicter quoi être.

Vous êtes seuls. Et c'est parce que vous êtes seuls que vous êtes debout.

  • Très beau texte je rejoins votre point de vue il y a déjà 5 ans mais j'étais déjà moi et à aujourd'hui je le suis encore 5 après... Même si ce qui c'est passé est sans mots et certainement pas ce que prône m'a religion qui est est l'islam le vrais qui progne amour paix et respect

    · Il y a presque 5 ans ·
    Default user

    Noura Bellissima

  • Comme sur le texte de riatto... Je pense toujours la même chose. On est assez grands pour décider de ce que nous avons envie d'être. Je suis Charlie. Je l'ai voulu. Vous faites ce que vous voulez, je ne vous force pas à l'être. Ne me forcez pas, à ne pas l'être.

    · Il y a presque 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Bien sûr. Je crois que ce texte pousse à ça. Chacun a le droit fondamental et inaliénable de choisir ce qu'il veut être. Et si vous choisissez d'être Charlie, c'est parfaitement honorable et personne ne peut vous en empêcher. Surtout pas moi :)

      · Il y a presque 10 ans ·
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      Pierre Magne Comandu

  • Beau point de vue...

    · Il y a presque 10 ans ·
    22426505 10214352780243686 4788264389893518117 o

    mallowontheflow

  • "vous êtes, (c'est) tout" : = )

    · Il y a presque 10 ans ·
    Le cosmoschtroumpf

    lorenlorant

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