Mungo River

sam-dibie

Gilles Servan essayait de se souvenir quand, pour la dernière fois, il avait éprouvé une excitation aussi forte. Il se revoyait longeant le trottoir d’en face, à l’opposé du grand porche du casino illuminé comme un sapin de Noël. Le soir venu, des limousines rutilantes venaient déposer là une jet-set provinciale prête à perdre sur une table de baccara l’équivalent de son salaire annuel. En employé modèle, lui devait contourner le bâtiment et rentrer par la porte de service, loin du luxe cossu de l’entrée principale, de l’empressement du personnel d’accueil et des sourires polis des voituriers en uniforme.

Il ne se faisait jamais autant qu’à ces moments-là, l’impression d’être la vache dans le pré qui regarde passer les trains. Dans le réduit qui lui servait de bureau, l’été et l’hiver avaient la même couleur pâle de l’ennui. Cette arrière-cour du casino où aucun rayon de soleil ne pénétrait était éclairée seulement par la lumière blafarde d’un plafonnier. C’est là que Gilles passait ses journées, à compter, trier et ranger, encore et encore… Des piles de billets qui arrivaient dans des sacs  de jute, et qu’il fallait classer et épingler en liasses uniformes. Parce que n’importe lequel de ses sacs aurait suffit à éclairer son existence de milliers de rayons de plaisirs, les contrôles dans ce secteur du bâtiment étaient draconiens. Outre les cameras de surveillance, il y avait ces portiques de détection tenus par des agents de sécurité peu bavards qui ne reculaient devant aucune palpation pour s’assurer que le précieux magot du casino restait bien à l’abri dans les coffres qui lui étaient destinés. De plus, à cause de sa fonction si particulière, Gilles était des rares privilégiés qui bénéficiaient d’une fouille minutieuse à chaque entrée et à chaque sortie.

Gilles avait tremblé chaque jour, au moment de passer les contrôles, craignant que son stratagème ne soit découvert. Pourtant, chaque jour, l’astuce avait fonctionné. Et chaque jour, à chacun de ses passages, son rêve longtemps inaccessible, se rapprochait. Mungo River…

Désormais, il s’imaginait de plus en plus facilement, chapeau de paille et cocktail émeraude à la main, admirant les reflets acier du soleil couchant dans les eaux troubles du fleuve… Jusqu’ici, il avait ruminé le projet illusoire de s’y installer en comptant et rangeant d’interminables piles de billets. Hier, il avait décidé que cette grosse coupure qu’il soustrayait à la pile était la dernière. Il y avait désormais dans la petite boite à sucre de la cuisine de quoi envisager de longues vacances.

Gilles reporta son attention sur sa conduite. Ils étaient partis au lever du jour et cela faisait déjà plusieurs heures que le vieux break Volvo faisait ce qu’il pouvait pour les emmener vers le Midi. A son actif, le véhicule avait bien plus que les neuf vies qui mènent une voiture des chaines de montage d’origine à la casse. Pourtant, « Titine » pouvait encore exhiber de beaux restes. Pour preuve, sur le bas côté de la route, les pins et les cyprès avaient progressivement remplacé le moutonnement des champs de blé et de tournesol. On apercevait même quelques oliviers de temps en temps. Le sud se rapprochait. Et même si l’habitacle empestait plus les arômes de synthèse du parfum d’ambiance, Gilles pouvait deviner dehors les odeurs de thym et les parfums de lavande.

Le conducteur gratifia sa Titine d’une tape d’encouragement sur le tableau de bord. Ces sept cents kilomètres étaient les derniers qu’il lui infligeait. Il lui accorderait bientôt la retraite qu’elle méritait. Là où il allait, il n’aurait plus besoin de voiture...

Gilles passa une main distraite entre les sièges et le contact de la boite métallique le rassura. A la place du mort, Nadine somnolait. Les bras ramenant ses jambes sur son torse en une position presque fœtale, elle s’endormait malgré le ronronnement du moteur, la tête basculant vers son buste au gré de ses plongées dans les bras de Morphée. Gilles avait toujours admiré sa capacité à trouver le sommeil. Il l’avait souvent regardé dormir, en chien de fusil sur le canapé devant la télé allumée, ou affalé dans le confort sommaire de leur lit après une longue nuit de garde à l’hôpital. Mais sur la route en général, elle ne dormait pas. Elle s’absorbait dans la contemplation des paysages qui défilait derrière sa vitre embuée.

Jamais avant ce jour, ils n’avaient fait ensemble un parcours aussi long. Gilles avait attendu longtemps de pouvoir lui offrir ces vacances. En treize ans de vie commune, et malgré tous leurs efforts et sacrifices, ce n’était jamais arrivé. Et là, ils étaient sur la route, enfin. Il y avait un début à tout.

D’une poussée délicate de son index à la jonction de la monture, Gilles ajusta ses lunettes rondes sur son nez. C’était un tic qu’il n’arrivait pas à réprimer quand l’excitation montait en lui. Se concentrer sur la ligne blanche interminable qui défilait sous les roues du vieux Volvo. Il avait besoin de tout son calme. Les heures à venir étaient cruciales pour la réussite de son plan.

Gilles refoula un sourire. Ce qu’il avait fait, il en était sûr, personne ne l’en aurait cru capable. Pas lui, pas le petit comptable aux faux airs de séminariste perdu parmi des oiseaux de nuit. Il illustrait à merveille la thèse des apparences trompeuses. Une petite embardée de la voiture le ramena à la réalité. Il reporta son attention sur la route. Et les kilomètres qui défilaient. Dans son rétroviseur, à distance respectable, une Mini noire. Le genre de voiture dont Nadine avait toujours rêvé, et qu’il n’était pas en mesure de lui offrir… Des années qu’ils se trainaient cette vieille guimbarde. Il en avait hérité de sa mère, qui elle-même l’avait eu de seconde main. C’est dire si la Mini était un caprice inaccessible avec ce qu’ils gagnaient tous les deux. Il était vraiment temps que les choses changent.

Gilles venait de repérer le panneau indiquant l’aire de repos de Barjac. Nadine dormait toujours. C’est seulement quand il ralentit pour emprunter la bretelle qu’elle ouvrit les yeux.

— On est arrivé déjà ?

— Non, on fait juste une pause, Bibiche.

— Oh ! Une Cooper One ! Et noire en plus, comme je les aime.

C’était la première chose qu’elle avait vue en ouvrant les yeux. Le couple admira le petit bolide qui les dépassait et filait vers la station-service. A la borne d’essence, une jeune femme rousse s’en extirpa pour faire le plein. Nadine lui fit un signe de la main : toute son envie perçait dans ce geste anodin. La jeune inconnue y répondit d’une mimique distraite. Comme beaucoup de ses contemporains, elle continuait de parler à un invisible interlocuteur. Son oreillette confortablement vissée au pavillon, elle enquit d’enlever ses lunettes de soleil. Gilles n’aurait même pas pu dire si sourire qui lui barrait le visage leur était adressé. La jeune femme devait avoir l’habitude de faire admirer non seulement son petit jouet automobile, mais aussi tous les autres atours dont la nature l’avait paré. Gilles connaissait ce genre d’oiseaux. Ils les voyaient arriver tous les soirs au casino à l’heure où lui quittait le travail. Ce n’était pas, comme lui, des oiseaux de basse-cour. Mais bientôt, peut-être…

A l’arrière du break, le ronflement léger qui émanait de la banquette Volvo mit fin au vagabondage de son esprit. Recroquevillé par habitude pour occuper le moins de place possible, Maurice dormait d’un sommeil innocent. De l’extérieur, on apercevait à peine sa tête, appuyée sur le sac à dos dont il ne se séparait jamais. Ils avaient à peine échangé quelques mots depuis le départ. Et le jeune homme n’avait pas résisté longtemps au ronron du moteur et à la monotonie du paysage. Il faut bien avouer que, comparée à la dureté de sa couchette habituelle -des pavés de la Place Victor Hugo-, la banquette du Volvo était d’un incroyable confort. Il s’était endormi presque tout de suite.

Gilles entrouvrit la portière et se pencha à l’intérieur pour réveiller son passager. Malgré la douche matinale qu’il l’avait forcé à prendre, le SDF empestait encore le tabac froid au-dessus des effluves de savon bon marché.

— Debout, Maurice ! On est arrivé.

Le gyrophare tournait rageusement sur le toit de la Mégane RS engluée dans la circulation et le brigadier Rivière mourrait d’envie de mettre en route la sirène. Le bolide était manifestement plus à l’aise à courser les contrevenants à la limitation de vitesse qu’à se trainer dans cette interminable file de voitures presque à l’arrêt.

En temps normal déjà, cette portion urbaine de l’Autoroute  666 était un vrai calvaire. Les gendarmes n’auraient jamais choisi de l’emprunter un jour de grands départs si la situation ne les y obligeait. Seulement, une femme venait de signaler la disparition de son mari à l’aire de Barjac. Leur équipe était la plus proche des lieux et, à la radio, le poste de commandement de la BRI leur avait demandé de se rendre sur place pour recueillir les premiers éléments de l’enquête. Le brigadier Rivière avait rangé les jumelles et le radar et avait pris la direction du Sud, comme les vacanciers qu’il flashait quelques minutes plus tôt. Il avait rejoint un flot de circulation. Rivière en était sûr maintenant : les vacanciers n’avaient que faire des prévisions du Bison Fûté. Les jours de grands départs, ils faisaient leurs bagages et partaient sur les routes se fondre dans d’énormes embouteillages. C’était la règle, le rituel qui marquait le début de la ruée vers le soleil.

Depuis plusieurs minutes, il caressait d’un index impatient le bouton de son tableau de bord, mais il hésitait encore à déclencher un vacarme que les autres usagers auraient accueilli avec mauvaise humeur. Il fallait pourtant se presser. L’homme, disait le rapport qui leur avait été envoyé, avait disparu depuis le déjeuner. Six heures plus tard, il n’avait toujours donné aucun signe de vie. Tout enquêteur sait d’instinct que ces premières heures d’une disparition sont cruciales pour en comprendre les circonstances, et préserver des chances de retrouver les personnes disparues. Après tout ce temps, Rivière n’espérait plus trouver sur le terrain des indices exploitables. Imaginez toutes les voitures, toutes les personnes qui avaient transité au même endroit entre temps. Les nombreux va-et-vient sur les lieux ne permettraient plus de comprendre ce qui avait pu se passer. Il n’était donc plus impatient de faire les premières constatations. Il y aurait une enquête et, pour son bon déroulement, il se devait de récolter le plus d’éléments possible.

C’était un travail que d’autres considéraient comme de la routine administrative. Mais Rivière était un enquêteur d’instinct. Il savait que, de toutes manières, la qualité de ses premières observations pouvait être déterminante pour la suite. Sans oublier que la vie d’un homme en dépendait peut-être.

Et, pendant que l’épouse du disparu se rongeait probablement les sangs d’inquiétude, lui était en train d’attendre que la circulation se fluidifie. Un flot ininterrompu de vacanciers avait décidé de se déverser sur les plages toutes proches du Languedoc. C’était le même chaos tous les ans, à la même période. Rien en ces circonstances ne pouvait l’aider à aller plus vite: il lui fallait faire preuve de patience. A moins…

Le brigadier céda à l’envie qui le démangeait depuis un moment. Il enfonça le bouton et sirène se mit à hurler pendant qu’il entamait la périlleuse manœuvre qui allait l’aider à s’extirper de la troisième voie. Tant pis pour le silence et la discrétion. Son enquête était une priorité. Dans le flot de voitures immobiles, il tenta de se rabattre vers la bande d’arrêt d’urgence. Les autres voitures immobilisées par l’embouteillage ne lui laissaient un passage que de mauvaise grâce. Contrairement à ce que l’on peut penser, la silhouette musculeuse de la voiture bleue et le blanc des lettres « gendarmerie » qui se détachent sur les flancs ne provoquent pas forcément la courtoisie des autres utilisateurs de la route. Ce serait même plutôt le contraire. Ce n’était jamais avec plaisir que les conducteurs impatients les voyaient débarquer. Mais Rivière n’avait pas le temps de s’appesantir sur le manque de considération dont souffrait la maréchaussée. Là, en l’occurrence, chaque minute qu’il passait englué dans la circulation était importante pour le disparu. Il aurait bien fermé l’accès à l’aire s’il avait pu. Mais, en ce jour de grands départs, il doutait que les automobilistes prisonniers d’un périmètre de sécurité le prennent avec le sourire. L’enquêteur voulait absolument arriver sur les lieux avant que la nuit ne tombe.

Rivière adressa donc un sourire poli à ce tranquille père de famille que l’impatience et la tenue d’un volant transformait en  idiot vindicatif: les centimètres de goudron qui séparaient son pare-choc de la voiture qui le précédait étaient un territoire qu’il avait décidé de défendre  avec une énergie aussi désespérée qu’inutile. Le gendarme choisit d’ignorer son bras d’honneur.

— Les cons ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît.

La patience n’était pas vraiment le point fort du brigadier Labrune. Il venait de sortir du silence qu’il s’était imposé pour relire les notes qu’ils avaient prise pendant sa communication avec le central.

— Des animaux abandonnés sur le bord de la route, des enfants oubliés à la cafétéria, ça, je connaissais. Mais je crois que c’est mon premier adulte qui disparaît dans une aire de repos, dit-il.

Pendant ce temps, le coupé bleu se forçait un passage en direction du havre de bitume vierge qui s’étirait sur sa droite. Labrune arrêta le vacarme de la sirène quand leur véhicule réussit enfin à s’extirper du flot de la circulation. Une bordée de jurons s’échappait des voitures surchauffées et Labrune ruminait son envie de leur répondre. Rivière, lui, avait décidé de les ignorer. Il voulait rapidement rejoindre l’aire de Barjac et rien ne viendrait le détourner de cette priorité.

La bande d’arrêt d’urgence était libre de tout véhicule, et Rivière écrasa avec plaisir l’accélérateur, libérant les 250 chevaux qui piaffaient sous le capot de la Mégane. Il savait qu’il n’était pas à l’abri de comportements dangereux des autres automobilistes. Ce n’était pas le moment de harponner une vacancière sortie de son véhicule à l’arrêt pour se soulager sur le bord de la route. Il ne se détendit que quand il pu apercevoir enfin le panneau signalant l’entrée de l’aire de repos. Il allait enfin pouvoir se consacrer pleinement à son enquête.

Au fil de sa longue expérience dans la Gendarmerie, le brigadier Rivière avait rencontré des personnes simplement impliquées de façon périphérique, mais qui l’avaient marqué par la puissance de leur présence. D’autres au contraire, même au centre de l’enquête, avaient une personnalité tellement effacée que l’on avait du mal à se souvenir d’eux une fois le dossier clos. Nadine Servan était une de ces créatures transparentes. Un de ces êtres qui pouvaient traverser tout nu une galerie marchande sans se faire remarquer. Une mètre soixante de disgrâce et de discrétion, dont la seule coquetterie semblait être de s’épiler une moustache ostentatoire. Rivière lui rendit ses papiers qu’elle rangea dans son sac à main. Elle le tenait serré contre sa poitrine, en se balançant d’un pied sur l’autre, l’air absent. Elle était bien plus âgée maintenant que l’étudiante qui figurait sur sa photo d’identité. Mais au fil des années, même si les traits s’étaient alourdis, la coiffure était restée la même : d’un blond filasse et d’une coupe indistincte.

Pour une femme dont le compagnon avait disparu depuis plus de six heures, Nadine faisait de son mieux pour paraître inquiète. Elle regardait les gendarmes s’affairer autour d’elle en arborant une mine triste de circonstance. Ce qui se passait autour d’elle n’avait pas l’air de la concerner vraiment. Rivière ne savait pas pourquoi, mais cette femme le mettait mal à l’aise. Ce n’était pas seulement son détachement apparent. En vérité, elle semblait plus déçue et embarrassée qu’inquiète. Une sonnerie retentit dans sa tête : Nadine Servan cachait quelque chose.

— Madame Servan, vous n’auriez pas une photo de votre mari ?

Nadine Servan fourragea dans son sac et en sorti un téléphone qu’elle alluma. Après avoir manipulé quelques touches, elle retourna l’écran vers Rivière.

La photo avait été prise quelques heures plus tôt, sur ce même parking. Aux cotés de Nadine, un homme souriait au-dessous de ses lunettes d’écaille, la chemise à carreau boutonnée jusqu’au col. Si Gilles Servan devait tenir un rôle au cinéma, il serait parfait dans celui de Forrest Gump, timide, hébété, et avec une lueur étrange dans le regard. Le couple s’était photographié paradant devant une Mini Cooper rutilante.

— Votre voiture ? demanda l’enquêteur.

— Non, une touriste de passage. La nôtre…, enfin… je veux dire celle de Gilles…

D’une main lasse, Nadine Servan désigna un vieux break qui avait été marron… ou gris. Le gendarme était incapable de déterminer.

En s’approchant du véhicule, il invita Nadine Servan à l’accompagner.

— Il ne manque rien à l’intérieur ?

— Non, répondit-elle.

Vite. Trop vite peut-être.

— J’veux dire, j’ai déjà regardé… Pour voir si ses affaires étaient encore là.

— Et elles y sont toujours ?

Nadine Servan faillit s’agacer, mais quelque chose dans l’expression du gendarme l’en empêchait. Elle haussa les épaules, résignée. Cette partie du plan était celle qui lui plaisait le moins. Mais elle n’allait quand même pas raconter aux gendarmes que tout ceci faisait partie d’un stratagème soigneusement mis au point mis au point. Ca ne l’enchantait guère de mentir aux enquêteurs, mais c’était une partie essentielle du plan. Alors, elle débita avec son air le plus crédible le discours qu’elle s’était répétée, la seule vérité officielle. Il était un peu plus de midi à leur arrivée sur cette aire. La première pause après de longues heures de conduite. Se dégourdir les jambes et refaire le plein de la Volvo. Ils avaient choisi le banc là-bas, à l’ombre. C’est là qu’ils s’étaient installés et avaient déjeuné. Aucun détail n’y manquait, ni la grosse salade emportée dans des barquettes de plastique et préparée la veille, ni l’inévitable pause pipi qui avait éloigné Gilles vers la boutique du relais routier. Elle lui avait réclamé les clés de la voiture. Histoire de se mettre à l’ombre en attendant qu’il revienne, et qu’ils reprennent la route… Au bout d’un certain temps –non, elle ne saurait pas dire exactement combien-, elle avait fini par s’inquiéter. Oui, elle était entrée dans le relais. Oui, elle avait fait le tour du magasin, puis de la salle de restaurant. Oui, elle avait pensé à regarder dans les toilettes : elle n’était pas complètement idiote non plus. Elle avait  même montré la photo de son téléphone à la jeune femme à la caisse. Et non, celle-ci ne se souvenait pas de l’avoir vu, il passait tellement de monde à son guichet qu’elle ne pouvait se souvenir de tout le monde. C’était à peine si elle levait les yeux sur les clients qui défilaient…

Rivière n’avait pas lâché la jeune femme du regard. Oui, continua-t-elle, elle était retournée à la voiture et avait vérifié si ses bagages étaient encore dans le coffre. Il ne manquait rien. Tout était comme ce matin, à leur départ.

— Et ses papiers ?

— Il les a toujours dans la poche de sa chemise.

Nadine en pointait sur la photo la boursouflure que faisait le portefeuille sur la poitrine de son compagnon.

Labrune revenait du relais où il était allé interroger le personnel. Rivière reconnut immédiatement sur son visage ce sourire triomphant qui annonçait une découverte décisive.

— Votre mari devait-il rencontrer quelqu’un dans cette station ? demanda-t-il sans préambule.

Nadine semblait désemparée. Elle s’était préparée à toutes les questions possibles, mais celle-là était surprenante. Elle marmonna un « Non ?! » hésitant.

Labrune l’invita à visionner les images que la vidéosurveillance avait filmées le jour même dans le magasin.

— Votre mari s’est tiré, Madame, dit Labrune tout en délicatesse, en faisant défiler la séquence où l’on voyait Gilles Servan en pleine conversation avec une jeune femme. Il est parti avec cette femme qui l’attendait dans le magasin.

Cette tignasse rousse, ces lunettes de soleil négligemment posées sur le front… Nadine Servan aurait reconnu la conductrice de la Mini noire entre mille. Elle eût l’impression de recevoir un coup dans le plexus. La ligne d’horizon s’était soudain mise à tanguer. Elle tenta de se maintenir debout en s’agrippant à la poignée de la porte. Elle entendit vaguement un des deux gendarmes pousser un juron avant de sombrer dans le noir…

Gilles n’était pas sensé disparaître. Il n’était pas sensé partir avec cette... Ce n’est pas ce qui était prévu !

SYNOPSIS

 Gilles Servan, un discret employé du Cartel des Casinos, est sur la route des vacances. Cette fois, au bout du voyage, il devrait rejoindre le paradis tropical de ses rêves : Mungo River. Avec le pactole qu’il vient de soustraire au Cartel, il compte bien s’y établir et commencer une nouvelle vie avec Nadine, sa compagne. Seulement, son inconduite n’est pas passée inaperçue et Gilles ignore que le Cartel a engagé Jellyfish, un professionnel qui s’est taillé une belle réputation dans le milieu : il n’a jamais manqué un contrat.

Le couple fait une halte à l’aire de repos de Barjac pour le déjeuner. A partir de ce moment, plus personne ne  reverra Gilles Servan. Appelée sur les lieux, la Gendarmerie qui ignore le forfait de Gilles, conclut à une disparition volontaire. C’est en tout cas ce que laissent penser les images de vidéosurveillance.

Alors, quand des promeneurs retrouvent le corps de Gilles Servan deux semaines plus tard, les gendarmes locaux closent l’enquête.

Officiellement, Gilles Servan est déclaré mort et plus personne ne le recherche. La Gendarmerie a résolu l’énigme de la disparition et le Cartel a lavé son honneur. Mission accomplie ?

Mais allez donc dire cela à  Joan du Plessis. Ce n’est pas seulement qu’elle ne croit pas la version officielle, c’est aussi qu’elle a besoin que Gilles Servan soit bien vivant pour qu’elle puisse… le tuer. Car elle a besoin de tuer, et ces « contrats » qu’elle accomplit avec professionnalisme sont le seul alibi qu’elle a trouvé pour continuer d’affronter l’intelligence retorse des criminels, dans un jeu d’échecs où le perdant meurt. Parce que, dans le civil, Jellyfish, c’est elle. Et cette résolution prématurée de l’affaire la prive du plaisir d’ajouter Gilles Servan à la longue liste de ses tête-à-tête victorieux.  Elle est bien placée pour savoir que Gilles Servan n’est pas mort. Elle pencherait même plutôt pour une disparition bien organisée.

 En menant sa propre enquête, elle découvre que le corps calciné qui a été identifié comme Gilles Servan est en fait celui d’un certain Maurice, un SDF embauché et maquillé pour la circonstance.

Dans le petit village de Mazan où elle a trouvé refuge, Nadine Servan ignore que ses moindres gestes sont désormais épiés par la tueuse en manque. Mungo River est un rêve qui n’a pas de sens sans Nadine. Joan est convaincue qu’il lui suffit d’attendre : Gilles Servan va finir par réapparaitre pour l emmener vers l’exil qu’ils ont planifié.

Après des jours d’une planque éprouvante, sa patience est enfin récompensée. Un matin, un homme s’approche d’un pas prudent de la maison endormie. Il ignore que son visage se dessine en gros plan dans le viseur du vieux Rohm modèle Despérado dont Joan-Jellyfish ne se sépare jamais. La jeune femme a le doigt crispé sur la gâchette. C’est la première fois que sa tâche lui parait aussi facile: elle va tuer un mort…

Alors quelle n’est pas sa surprise quand elle reconnaît dans son viseur, Maurice, le SDF embauché par le couple et sensé mourir à la place de Gilles Servan.


 

  • Excellent! L'intrigue tient bien en haleine et d'ailleurs je n'ai toujours pas retrouvé mon souffle... j'attends le coup de feu de Jellyfish... Allez Jelly! Ne te fais plus avoir par Maurice...et Nadine.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Ekima

    iyo

  • heu... oui! il pourrait en être autrement! parce que j'ai des goûts qui me sont propres et qui ne correspondent pas toujours à ceux de Will.
    mais ton texte on l'a aimé tous les deux, et je pense qu'on n'est pas les seuls!

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 0052 orig

    Karine Géhin

  • Effectivement il ne peux en être autrement quand un texte est très bon.
    Mais je te rassure, ce n'est pas une seule personne derrière deux pseudos différents, comme ce que tu trouves de plus en plus sur le site.
    J'espère que j'aurais l'occasion de lire tes dix chapitres pour connaitre la suite.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Images

    compteferme

  • @ Mystéria "je suis d'accord avec Will"... Pouvait-il en être autrement?

    · Il y a environ 12 ans ·
    Calimero orig

    sam-dibie

  • je suis d'accord avec Will, très bon texte!
    (et merci du compliment!)

    · Il y a environ 12 ans ·
    Img 0052 orig

    Karine Géhin

  • @Will T. Heureux que ça te plaise... Je succombe facilement aux compliments. Ce qui ne m'empêche pas, en temps normal, de rester lucide. L'association (je trouve le mot un peu moche,pardon!)Will T./Mystéria fait de très belles étincelles...littéraires.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Calimero orig

    sam-dibie

  • J'aime beaucoup l'idée et le style, de grandes chances pour le concours.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Images

    compteferme

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