Mystérieux bijou

oreline

Il est trois heures du matin. Mes amis et moi sortons du bar, un peu éméchés. Nous avons voulu fêter dignement les trente ans de Caroline. A nous quatre, nous avons bu une dizaine de bières et quatre bouteilles de champagne. Demain, gueule de bois assurée. Mais pour le moment, tout cela n’a aucune importance. Dehors, il fait froid et nous n’avons qu’une hâte, rentrer au plus vite. Caroline et moi prenons la direction opposée de nos deux autres amis. Nous parlons de tout, rions de rien, tout en marchant aussi vite que nous le pouvons.

A cette heure, nous ne croisons qu’un couple qui semble pressé de rentrer. Les grands trottoirs de la ville nous appartiennent donc. Le ciel est étoilé. Aucune voiture ne vient briser ce silence bienfaisant. Dommage qu’il fasse si froid et que nous soyons si fatiguées. La promenade aurait pu être très agréable.

Nous arrivons devant l’entrée du Jardin des Plantes.

« Regarde Nathalie, me dit Caroline. Le portail du jardin n’est pas fermé. Nous allons pouvoir prendre un raccourci en passant par là… »

Effectivement, le portail du jardin est légèrement entrouvert. Je sais qu’en passant par celui-ci, nous gagnerions au moins cinq minutes. Pourtant, en observant toutes ces ombres qui se massent derrière la grille, je dois bien avouer que je n’ai aucune envie d’y pénétrer.

« C’est curieux qu’on ait oublié de le fermer… Tu es sûre de vouloir passer par le jardin ? Il fait si sombre à l’intérieur… Et puis, comment ressortirons-nous ? Les autres entrées doivent être probablement fermées ! »

« Ne t’inquiète pas pour ça ! Me répond Caroline en riant. Je connais un endroit par lequel nous pouvons ressortir sans problème. Je l’ai déjà fait avec un ami. Allez, plus vite nous rentrons, plus vite nous pourrons dormir ! »

Caroline n’attend pas ma réponse. Elle pousse la grille, qui s’ouvre avec un léger couinement. Elle commence à marcher dans l’allée, tandis que j’hésite encore. Elle se retourne vers moi et me fais un geste pour me dire d’avancer. Ce que je finis par faire.

Nous empruntons l’allée principale qui mène au Muséum national d’Histoire naturelle. L’allée est dégagée et relativement bien éclairée. Nous tournons ensuite sur la droite, entre les énormes serres. Il fait alors beaucoup plus sombre. Les arbres alentours cachent la lumière des réverbères. Je me dis que n’importe qui pourrait se cacher derrière l’un des fourrés et nous attaquer. Qui pourrait alors nous entendre au milieu de la nuit ?

Je presse le pas, tandis que Caroline se met à valser au milieu de l’allée. Je m’arrête vers les sculptures en forme de feuilles et hausse un peu le ton.

« Tu fais quoi, là ? Dépêche-toi Caroline ! Je n’aime pas rester là ! »

« Tu es folle Nathalie ! Regarde, nous avons le parc rien que pour nous ! Pour mes trente ans, je peux faire ce que je veux au Jardin des Plantes ! »

Sur ce, elle se met de nouveau à danser, en éclatant de rire.

« Ecoute Caroline, tu es complètement ivre. Je vais me fâcher si tu ne te dépêches pas tout de suite ! »

Je continue de marcher en espérant qu’elle me suive.

« Regarde, dit-elle en me montrant du doigt quelque chose qui brille par terre, au pied d’un bosquet ».

Elle s’approche et s’accroupit par terre pour récupérer l’objet. Une fois qu’elle le tient en main, elle me le montre. Il s’agit d’un très beau collier en or, avec de gros joyaux de couleur rouge et vert. Il semble plutôt ancien. Je dirais qu’il a de la valeur, mais Caroline ne me laisse pas l’examiner.

« Regarde le magnifique cadeau d’anniversaire que je reçois ! Je suis sûre qu’il m’ira parfaitement, dit-elle en se l’attachant autour du cou. »

Elle continue de valser quand soudain elle pousse un cri, qui ne me semble pas humain. Un cri qui ressemble à celui d’une bête qu’on égorge. Elle se débat quelques instants, comme si elle essaie d’enlever le collier. Je ne parviens pas à savoir si elle se moque de moi ou si, réellement, il se passe quelque chose de grave. Je balbutie son nom.

Elle se fige alors en me fixant d’un regard complètement vide. Ses pupilles sont totalement dilatées, ce qui donne l’impression que ses yeux sont complètement noirs. Sa voix, elle aussi, a changé.

« Ce collier m’appartient. Je suis la Comtesse de Porsoul. A travers ce corps, je vais pouvoir me venger. »

Voilà ce que mon amie me dit d’une voix d’outre-tombe, pendant qu’elle avance tel un fantôme.

« Caroline ?!? Que t’arrive-t-il ? C’est une blague ? C’est moi Nathalie, tu me reconnais, n’est ce pas ? Lui dis-je tandis que je recule de quelques pas. »

« Je suis la Comtesse de Porsoul. Je vais te tuer puis tuer tous ceux qui m’ont volé… »

Sur ce, elle s’avance vers moi avec une démarche de vieille femme. Son regard, totalement différent de celui de mon amie, me fait frissonner. Elle avance ses bras à la hauteur de ma gorge. Lorsqu’elle me prend par la gorge et commence à serrer, je comprends que je dois fuir.

Je cours. Je ne sais pas où je vais mais je tente de m’éloigner d’elle. Finalement, j’arrive à un cul de sac. Un mur de trois mètres de haut. Infranchissable. J’essaie de reprendre mon souffle, mis à rude épreuve par la peur et par la course à pied. L’angoisse m’empêche de réfléchir et je ne sais plus quoi faire. Tenter de grimper sur le mur ? Trouver le portail par lequel nous sommes arrivées ? Trouver le passage que Caroline avait mentionné ? Je me décide pour la seconde option. Je dois donc faire demi tour mais je vois Caroline, ce qu’il en reste du moins, qui arrive. Elle s’approche. Je l’entend qui ricane, d’une façon qui m’est totalement inconnue.

« Nathalie, Nath…Nath… Nath…Nathalie…Lie…Lie, je vais te... tuer, me dit-elle en chantonnant. »

Elle ricane à nouveau. Je la vois ensuite sortir un couteau de l’une de ses poches. Un couteau de cuisine.

Je ne connais pas cette Comtesse de Porsoul. Par contre, je sais que Caroline est physiquement plus forte que moi. Si elle essaie de me tuer, elle a de grandes chances d’y parvenir. Je dois donc trouver quelque chose et vite. J’avise un gros caillou, à un mètre de moi. Toutefois, je ne peux rien en faire pour le moment. Caroline, ou cette Comtesse de Porsoul ne me lâche pas du regard.

Elle arrive à ma hauteur. Elle approche son couteau de ma gorge. J’essaie de lui retirer mais je n’y parviens pas. Je peux seulement retarder le moment fatidique. Dans un élan, je me jette par terre. Caroline m’y rejoint. Elle soulève le couteau juste au dessus de moi. Je parviens à récupérer la pierre que j’avais vue près de moi et je la jette violemment sur la tête de mon amie.

Pendant quelques secondes, plus rien ne se passe. Je suis tétanisée par ce qu’il vient de se passer et par ce que je viens de faire. Caroline est à côté de moi. Du sang s’écoule le long de son front. Tandis que je l’observe, elle ouvre doucement les yeux et murmure :

« Pourquoi ? Nathalie ? Pourquoi ? »

Je me rends compte que ce n’est plus la Comtesse qui me parle mais mon amie. Emue, je lui réponds :

« C’est à cause du collier… Le collier t’avait envoûtée… »

« Quel collier ? »

Je suis sur le point de lui montrer le collier mais je m’aperçois qu’il a disparu… Pour lui prouver que je ne suis pas folle, je cherche le couteau qu’elle voulait utiliser pour me tuer. Mais je ne trouve aucun couteau. Tout avait disparu, à l’exception de cette pierre que j’avais utilisée pour frapper mon amie.

Caroline me regarde une dernière fois puis ferme les yeux, pour toujours.

Je pleure. Je suis complètement bouleversée. Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé. Petit à petit, mon acte prend toute sa mesure. Dès la connaissance du meurtre, les autorités chercheront le meurtrier et ils me trouveront, sans aucun doute. Je m’expliquerais. Mais qui croira cette histoire totalement rocambolesque ? Je passerai alors le reste de ma vie en prison ou en hôpital psychiatrique. Je n’ai donc qu’une seule option : cacher le corps de mon amie. Je jette un œil aux alentours et finis par trouver un endroit facile à creuser. A l’aide d’un caillou, je creuse le sol. Encore et encore. Cela me prends au moins deux heures. Mais je parviens enfin à enterrer le corps. Ceci fait, je remet la terre et tasse le tout. Pour me rappeler de l’endroit, je taille les initiales de mon amie sur l’arbre le plus proche. Ceci fait, je m’en vais par où je suis venue. Je hâte le pas afin de ne croiser personne. En effet, la terre que j’avais sur mon pantalon et sur mon pull ainsi que mon visage décomposée ne pouvaient pas passer inaperçu.

Une fois chez moi, je me douche pendant une bonne demi-heure puis vais me coucher. Malgré les derniers évènements, je parviens à dormir.

Quelques jours plus tard, la police m’appelle pour m’indiquer la disparition de mon amie. Il souhaite me voir et me poser quelques questions. Une fois sur place, j’apprends que ce sont les collègues de bureau de Caroline qui ont signalé sa disparition.

« Nous vous avons contacté, car il semblerait que vous soyez la dernière personne à l’avoir vue… »

« Effectivement… Mais, pour ma part, je pense qu’il ne faut pas s’en faire. Elle m’a avoué que ses trente ans ont été un coup dur… Elle voulait faire quelque chose de sa vie. Quelque chose qui avait du sens. Elle n’en a jamais parlé à ses collègues, mais elle m’a dit qu’elle souhaitait tout laisser et partir à l’aventure, en emmenant rien d’autre qu’un peu d’argent… J’imagine que c’est ce qu’elle a fait… »

Mon histoire semble les convaincre car il me laisse partir. Sans m’en rendre vraiment compte, je me dirige vers le Jardin des Plantes. J’entre par le portail et vais aussitôt jusqu’à la tombe de mon amie. Je trouve l’inscription sur l’arbre et la terre légèrement retournée. J’aimerais y déposer quelque chose. Des fleurs par exemple. Mais je ne peux pas. Après un dernier coup d’œil, je m’en vais.

Sur le chemin du retour, je me demande si je ne vais pas postuler au poste de Caroline. Elle avait une bonne place. Et après tout, il faut voir le bon côté des choses…

A tous ceux qui aiment se promener au Jardin des Plantes, j’aimerais leur dire de passer voir mon amie. Vous trouverez sa tombe grâce à l’inscription que j’ai gravée sur l’arbre. N’y mettez pas des fleurs, car les gens pourraient s’interroger et je pourrais donc avoir des problèmes. Simplement, ayez une pensée pour elle.

Une dernière recommandation : ne tentez jamais d’emprunter ce jardin pendant la nuit. Si vous le faites, vous risquez de vous trouvez nez à nez avec la Comtesse de Porsoul. Et peut-être même avec moi… et mes pierres…

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