Ne déploie pas (encore) tes ailes

redstars


Je la regarde, et c'est presque toujours comme si c'était la première fois.

 

On ne se voit pas souvent, et ça me choque, à chaque fois. De la voir ainsi, comme cherchant à redevenir poussière, gommant et rognant ici et là sur son corps de marionnette ces formes qui la rendaient si belle autrefois.

Les semaines passent et quand on se revoit, c'est comme si elle disparaissait un peu plus, doucement, tout doucement. C'est comme si elle avait trouvé le mode d'emploi pour se cacher loin, très loin du monde, se dissoudre là, comme un cachet d'aspirine. Elle a un visage de poupée de porcelaine, avec des petites tâches de rousseur parsemées sur ses joues pâles, comme saupoudrées de sucre glace. Des joues creusées, saillantes, des joues qui font peur. Son regard est vif, perçant, et c'est tout ce qui, selon moi, lui reste de vivant. Au creux de son iris, on peut distinguer une vie là confinée et qui n'aimerait que s'épanouir, fleurir et rayonner. Ces yeux en amandes, mi-verts, mi-bleus, ça dépend de la lumière, comme je les aime. Je la regarde et je sens la solitude qui ronge son petit corps désossé, ces jambes arquées et ces doigts de pianiste affamée.

 

Je la regarde, et c'est presque toujours comme si c'était la première fois.

 

Je suis trop timide, c'est ça le problème. Parfois, je me dis : prend lui la main, demande-lui ce qui tourbillonne dans sa tête, montre-lui que tu es là, que tu peux soutenir son corps minuscule, lui offrir ton épaule le temps qu'il faudra. Oui. Dis-lui que tu peux être là de jour comme de nuit, en semaine ou le week-end, dis-lui que tu donnerais tout pour qu'elle reprenne des couleurs : elle se grise avec le temps, le teint blême, poudré de cendres.

 

Je suis trop timide, je me rapetisse et nos discussions sont plutôt réservées, à notre image. J'aimerais être autre, j'aimerais avoir plus confiance en moi pour l'approcher, et qui sait, la soutenir, ou peut-être même la sauver. Ça peut sembler prétentieux, de dire ça, de dire que peut-être moi je peux la sauver. Mais après tout, il faut bien que quelqu'un le fasse, et personne ne semble vouloir s'en occuper. Je la regarde, esseulée, à l'autre bout de la pièce. Elle tient une flûte de champagne qu'elle ne porte jamais à ses lèvres. Accoudée au mur, elle semble écouter Laurie lui raconter je ne sais quoi. Elle hoche la tête, elle sourit, elle écoute. Elle se tait, surtout. Personne ne sait sa souffrance parfaitement étouffée. Non, elle ne parle jamais d'elle-même, je crois que son corps parle à sa place. Il crie je meurs, vous voyez, je meurs dans mon coin, indifférent, désinvolte, il crie je vais revenir aux origines, je vais m'éclipser, je suis un météore qui aura traversé vos vies et que vous finirez par m'oublier, quand je serai partie.

 

C'est au-dessus de mes forces que d'y penser. De me dire, la prochaine fois, elle ne sera peut-être pas là. Ou peut-être plus là. De me dire, peut-être son corps va décider de capituler, et alors cet éclat dans ses yeux ne sera plus qu'un mirage auquel je m'étais accroché, un souvenir plein de regrets.

 

Je la regarde, et je la trouve belle malgré ses os qui ressortent avec arrogance, là, sous sa peau tendue à se rompre.

Je la regarde et je me dis que j'aimerais juste la prendre dans mes bras, mais pas trop fort, pour ne pas la casser.

 

Je la regarde, et c'est presque toujours comme si c'était la première fois : mon cœur valse, et s'emballe, et tangue... je crois que je suis amoureux.


Oui, amoureux d'une fée.


  • J'aurais voulu laisser un commentaire, mais j'ai pas de mots.
    Dommage, peut être une autre fois

    · Il y a presque 6 ans ·
    Sticker mural papillon bleu noir

    Lev Hamels

  • incroyable. juste estomaquant

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    nawel-

  • Il y a des douleurs intérieures qui se voient à l'extérieur !... et une bien belle déclaration d'amour....

    · Il y a presque 8 ans ·
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    Maud Garnier

    • Merci :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Zt245dd

      redstars

  • Ok, là tu m'as bluffée. Ma meilleure amie est anorexique et chacun de tes mots raisonnent en moi. Ils sont justes. tu as tout compris de ce mal. Tu as très bien décrit l'impuissance qu'on ressent lorsqu'on est amie d'une anorexique qu'on aime profondément. Tu as très bien décrit cette crainte qui ne nous lâche pas de voir son corps lâcher. Et cette partie sur cette étincelle de vie dans son regard et seulement dans son regard. Bravo

    · Il y a presque 8 ans ·
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    edwige1313

    • J'ai eu des troubles du comportement alimentaire graves pendant 11 ans, ton amie peut s'en sortir également, j'espère qu'elle y parviendra de tout coeur car la liberté retrouvée est indescriptible, ce trouble est un esclavage. Merci pour ton commentaire en tout cas :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Zt245dd

      redstars

  • Très émouvant !
    Difficile de lutter contre cette maladie.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci. C'est vrai que c'est dur, j'ai eu des troubles graves du comportement alimentaire pendant 11 ans, et le pire, c'est que je ne sais pas comment je m'en suis sortie. Mais la liberté retrouvé, ce n'est que du bonheur.

      · Il y a presque 8 ans ·
      Zt245dd

      redstars

    • Je m'en doute et je pensais bien que cette histoire était la tienne. Heureusement tout est bien qui finit bien pour toi !

      · Il y a presque 8 ans ·
      Louve blanche

      Louve

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