Nedeleg laouen (joyeux Noël)

Brittia Guiriec

« Nouel ! Nouel ! Nouel da Jezuz ! »

( Noël ! Noël ! Noël à Jésus !)

Un feu crépite gaillardement dans la cheminée de pierre, diffusant des ombres mouvantes et chaudes sur les convives rassemblés autour de l'âtre. La pièce est plongée dans une pénombre tiède où résonnent les traditionnels chants de Noël en Breton. Mon père, qui s'est longuement escrimé sur l'antique magnétophone à bandes, a rejoint la famille qui paresse avec indolence devant la flambée. Les conversations se sont taries, nous sommes tous bercés par la musique et l'atmosphère chaleureuse. Assis en face de moi, le visage illuminé par les flammes, mon grand-père fredonne les cantiques de son enfance et nous l'écoutons avec bonheur. L'heure est douce et le temps semble immobile. Dehors, la nuit tombe paisiblement sur l'épais manteau de neige aux reflets bleus...

«  A-berzh Doue eur burzud bras... »

(De la part de Dieu, une grande merveille...)

Nous voilà attablés en grand cérémonial pour partager le rituel déjeuner de Noël. Toute la famille est sur son trente et un, et même la table de fête a revêtu ses plus beaux atours : nappe brodée, si difficile à repasser pour ma mère, porte-couteaux anciens, assiettes et couverts d'apparat. Mon père a sorti ses meilleurs vins pour accompagner la dinde aux marrons et la savoureuse farce aux fruits de ma grand-mère. Mon frère, encore adolescent, clos fièrement le repas avec son fameux turinois glacé. L'ambiance est joyeuse et volubile...

« War an douar a zo c'hoarvezet...»

(Est advenue sur la terre...)

C'est enfin le matin. J'ouvre les yeux, fébrile à l'idée de déballer mes cadeaux. Dans le lit voisin, ma petite sœur est tout aussi matinale et impatiente. Soudain, la porte de notre chambre s'entrouvre et notre frère nous entraîne à pas de loup dans la maison silencieuse. Le visage collé contre la porte vitrée du salon et le regard rivé sur l'arbre de Noël, nous découvrons avec émerveillement un amoncellement de paquets multicolores...

« Hag an aelez a respontas... »

(Et les anges ont annoncé...)

A l'étage, nous colorions tous les trois avec enthousiasme des bandelettes de papier pour fabriquer des guirlandes artisanales. En bas, les parents ont péniblement installé le sapin, immense et odorant. Le carton des décorations de Noël a été remonté de la cave et attend nos petites mains expertes. Dans quelques heures, l'arbre brillera de mille feux...

« Ur Zalver evidoc'h 'zo ganet ! »

(Un Sauveur vous est né !)

Les années ont filé et la famille de mon enfance avec. Exit les grands-parents, au revoir le tonton, adieu Papa. Un feu danse dans la cheminée d'une nouvelle maison où nous bavardons en tenue décontractée, tandis que d'autres enfants, les nôtres, rient et s'extasient devant leurs jouets de Noël. Une musique familière flotte dans l'air tiède. Il y a quelques jours, j'ai exhumé sur internet nos anciens chants bretons de Noël. Et tandis que les notes s'égrènent, lumineuses et nostalgiques, les paroles oubliées me reviennent et les souvenirs affluent. Il me semble tout à coup revoir à nos côtés, ondoyant dans le clair-obscur, les yeux pétillants de mon grand-père, le sourire ravi de mes grands-mères, la mine réjouie de mon oncle, le visage radieux de mon père.

En mémoire de Michel Guiriec.

Musique : War ar menez ar bastored

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