Noir

Thomas Cock

« Le noir est le refuge de la couleur. »
Gaston Bachelard


J'ai toujours été éparpillé, d'ailleurs je ne devrais pas être en train d'écrire ceci. Sans doute suis-je un peu lâche aussi. Comme beaucoup d'hommes. Si la plupart des hommes prennent des jolies plantes pour leur tenir compagnie, j'ai choisi un tuteur. Je croyais qu'une poigne de fer dans un gant noir Dior me serait plus utile, m'aiderait à accomplir quelque chose. Et m'exciterait si j'en crois ma bite. Je devrais être occupé à lui écrire une lettre pour lui dire que… mais je n'y arrive pas, elle tient mes couilles entre ses doigts de velours et j'ai chaque fois l'espoir d'une caresse.

Je ne sais pas comment mais elle a réussi, à m'amener en moins de deux ans dans un appartement de rêves et du même coup me faire passer du simple rêve au rêve doré. Elle m'a obtenu le poste que je voulais et c'est tant mieux parce qu'elle était malheureuse dans le précédent appartement, nos 150 mètres carrés ne pouvaient recevoir personne.

Le déménagement a été une véritable épreuve. Jamais je n'aurais pensé insulter quelqu'un comme ça. Ou plutôt si, j'ai toujours su que j'avais de la violence en moi. Je ne pensais juste pas que ça arriverait. J'espérais, je songeais naïvement que la vie m'épargnerait cette réalité pathétique. C'est sorti tellement naturellement. Avec tant de férocité.

Elle a crié avec une rage si intense. Une haine si virulente a explosé de ses entrailles pour une chose si superficielle que désemparé, moi qui construisais depuis deux ans un artifice de non-dits, un chapiteau d'écriture, je me suis mis à gueuler de toutes mes forces. J'avais l'envie de détruire dans la tête, dans les mains, dans les bras, dans la poitrine. Mes muscles me faisaient mal à la cervelle, c'était sportif, j'ai ressenti la frontière ténue qui me séparait de l'abandon bestial, une véritable purge sentimentale, c'en était presque sain si ce n'avait pas été pour la couleur de mon bureau.

Le loft aux beaux parquets blonds, la véranda lumineuse qui donne sur un jardin d'une centaine de mètres en plein haut de la ville. Elle avait choisi tout le mobilier en noir, les chaises, la table, lu buffet, les sofas, un design froid et agnostique, irréprochablement contemporain. Elle ne s'habillait qu'en noir, elle adulait Pierre Soulages, vénérait Yves Saint-Laurent, croyait en cette couleur plus que tout. Jamais une personne n'a été plus fidèle au noir qu'elle.

Son snobisme s'affichait sur nos murs et je participais aux nouveaux achats réguliers, incapable d'arrêter cette force de la nature, devenu trop faux, hypocrite pour dénoncer ce qui se glisse sous mes doigts. En accord avec cette religion irrévérencieuse, cette classe, en désaccord avec moi-même, glacé par l'envie de plaire et de me complaire dans cette intelligence esthétique.

Il y a une certaine chaleur qui émane du noir vu toute la lumière qu'il absorbe qui le rend fascinant, aveuglant. L'appartement nous fait oublier les mots de trop et nous donnons une fête privée pour son avancement dans le monde gastronomique, elle est la critique la plus critique des critiques. C'est grâce à elle que je suis devenu rédacteur pour leur guide et traducteur dans deux langues que je ne maitrise pas parfaitement. J'évite un de mes collègues flamands qui depuis quelques temps nourrit des doutes à mon sujet. L'appartement nous reflète dans les fenêtres, dans les vernis, tels des flammes noires, des illusions dansantes. À chaque fois que la sonnette retentit, notre égo augmente. Une invitée surprise me fait la conversation et m'avoue qu'elle a tout de suite pressentit que j'étais artiste. Une ombre jalouse s'avance et s'adresse à mon invitée surprise : « Je peux vous aider mademoiselle ? » « Madame ! » « Soyez bien contente qu'on vous appelle encore mademoiselle ! ». La dame s'en va. Ce qu'elle pouvait penser de moi la suit. Je ne sais pas ce que j'espère régler par écrit, beaucoup trop de choses ont été dites, des méchantes choses, à bien des reprises nos personnalités se sont métamorphosées.

Nous confondons être unique et être seul, égoïstes l'un à côté de l'autre, impuissants l'un pour l'autre. Nous sommes devenus les objets de nos cultes respectifs. Elle porte la couleur de son exclusion comme une panacée et je porte l'étendard.

L'art est fils de la nature et elle est belle comme une vanité, une de ces peintures représentant un élément de vie face à un élément de mort, censée rappeler à l'artiste son passage éphémère devant le triomphe inéluctable de la mort. 

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