N'oublie pas de respirer

elijah

Un, deux, expire. Un, deux, inspire. Un, deux, expire. Cligne des yeux. Voilà le métro. Lève-toi. Gauche, droite, ça suffit. Vite, inspire ! Un, deux, expire. Un, deux, inspire. Les portes s’ouvrent. Gauche, droite, gauche. Assieds toi. Inspire, un deux, expire. Ne perds pas le fil, ne te laisse pas déconcentrer. Qu'est ce qu'il veut ? Bonjour. Continue de respirer, ne t'arrête surtout pas. Tes yeux sont tout secs, cligne. Encore. Encore. Respire. "Vous êtes charmante, vous vous appellez... ?" Merci, je m'appelle Ana. Inspire ! Par le nez, reste discrète. Ils te prennent tous pour une folle. C'est bien la première fois que tu es charmante, alors profites-en. Mais n'oublie pas de respirer. Inspire. Un, deux, expire. Continue. "Moi c'est Jean. Et t'as quel âge, Ana ?" Excusez moi, je crois avoir sauté l'étape où nous devenons proches, d'où sortez vous ce tutoiement soudain ? Inspire. Un, deux, trois. Expire. Tourne lui le dos, c'est un de ceux dont les gens parlent. Les gens qui ont une vie, qui se font aborder dans le métro. Les gens. Ce sont eux, les fous. Inspire. Ils ne se soucient pas de leur souffle. Ils n'ont pas peur. Moi, au moins, je ne mourrais pas. Je ne ferais pas de malaise. Sauf si je prononce une phrase trop longue. Il faut faire attention, bien respirer dans ses phrases. Le pire, ce doit être de chanter. Inspire. Ou de nager la tête sous l'eau. J'ai déjà du mal à nager. La noyade, c'est un peu comme l'étouffement, en fait. C'est peut être pire, parce que ça fait mal. Je ne sais pas, je ne me suis jamais étouffée. Mais je pense que ça fait moins mal que de se noyer. Inspire. On est arrivés. Lève toi. Gauche, droite, inspire. Gauche, droite, expire. Gauche, droite, inspire. Gauche, droite, expire. Gauche, droite, inspire. Continue. Prends un grand déca sans sucre. Ta monnaie. Merci, aurevoir. Souris, tu paraitras gentille. Non, ne souris pas, tu paraitras normale. Les gens ne sourient pas. Les fous sourient. Les fous ne sont pas des gens. Suis-je quelqu'un ? Je ne pense pas. Gauche, droite, inspire. Bois une gorgée. Inspire. Pas en même temps ! Ca y est, ça devait arriver. Le liquide sombre te sort par le nez, fais quelque chose ! Tes yeux coulent. Pas la peine de ramasser ton gobelet, il s'est déversé sur le trottoire. Tu craches, tu te fais remarquer ! Reprends le contrôle de ta respiration ! Inspire. Souffle, souffle, tu as du café dans le nez ! Par la bouche, alors. Non, tu tousses, tu ne peux pas respirer. Trouve une solution. C'est en train d'empirer. Tu crées un attroupement, ressaisis toi ! Pourquoi le sol s'approche ? Aidez moi !

Inspire. Expire. Il y a quelque chose dans ton nez, dans tes bras ! Ouvre les yeux. Plisse les yeux, idiote ! Quelqu'un masque la lumière. Ouvre. Un homme. Il a l'air gentil. Est ce qu'il est fou ? Inspire, expire. Il sourit, se tourne vers quelqu'un derrière lui. "Elle se réveille, ça y est."

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