Obsession enfouie
Juliette Delprat
Comme chaque matin elle se lève telle une automate, avale un thé, se douche, se maquille, s’habille, allume la cigarette en même temps que l’auto radio de la voiture, et arrive déjà au bureau. Ce matin là ressemble aux autres matins qu’elle connait depuis des années, elle se laisse toutefois saisir par la fraicheur de ce jour automnal.
Une autre routine démarre sa journée ; le café, les collègues, les mails : cette routine là elle l’a rêvée, elle l’a construite et elle lui plait, elle la rassure. Est- elle vraiment en vie ? Elle ne sait pas, elle s’en moque, ne pas souffrir, voilà le seul objectif de sa vie ; survivre sans souffrir. Se sentir flotter, n’être qu’un corps, accomplir les gestes quotidiens qui la fondent dans la foule, pour faire comme la foule, pour avoir l’air comme la foule. La foule, se fondre en elle ; La seule application indéfectible qu’elle ait ; cette routine, son refuge comme une main tendue qui l’a maintenue en vie.
Les heures s’écoulent, elle ne ressent rien, elle fait, elle parle, elle sourit, elle se concentre.
Alors que rien ne le laissait pressentir, sa poitrine s’oppresse, ses mains deviennent moites, ses membres s’engourdissent, ses mâchoires se crispent. Elle connait l’étape suivante, elle sait que bientôt elle va se débattre dans une cacophonie intérieure, qu’elle va sentir la mort l’envahir, ou plutôt la peur de cette mort.
Elle saisit un sac plastique pour s’insuffler un nouvel air, pour maitriser cette respiration chaotique mais il est déjà trop tard. Sa tête ne maitrise plus ce corps devenu fou, incontrôlable.
Cette lente et douloureuse mort, elle l’a connait si bien, elle l’a subi des années durant et était enfin parvenue à la dompter ; Oui la rigoureuse et rituelle routine qu’elle s’était organisée était venu à bout de ce corps possédé par l’obsession.
Pourquoi aujourd’hui ?
Elle tente de déconnecter son esprit parce qu’elle connait le scénario et elle devine parfaitement les pensées qui vont s’emparer d’elle entièrement. Elle voudrait s’endormir, elle doit s’endormir pour ne plus rien ressentir, pour appartenir au néant, pour faire partie de tout et de rien, pour n’être qu’une pauvre chose inanimée dans tout ce chaos, pour qu’on l’oublie, pour qu’elle s’oublie enfin.
Tant bien que mal, elle se déplace à la fenêtre de son bureau, elle entend un bruit sourd, quelqu’un frappe et entre, elle ne voit pas son visage, juste une silhouette, sombre, à la voix grave et lointaine…elle lui signifie par un revers de main de bien vouloir sortir, elle voudrait hurler, vomir mais rien ne sort de sa gorge nouée et de sa bouche aux mâchoires bloquées. Ce fantôme reste là figé dans l’encadrement de la porte, auréolé d’une luminosité aveuglante et finit par disparaitre dans un glissement lent.
Elle s’écroule, son visage étouffé dans ses mains, ses mains si convulsées que ses ongles s’enfoncent dans sa chair, elle ressent une douleur physique aigue qui lui rappelle qu’elle est encore vivante. Pour intensifier à la fois cette sensation de vie et accélérer sa mort elle voudrait crever ses yeux de ses ongles, percer ses tympans ; ne plus rien voir, ne plus rien entendre…
Dans un dernier spasme son corps se relâche doucement, elle git à terre, assise le long du mur, elle attend, complètement abasourdie. Elle flotte en pensant à lui.
A-t-elle vraiment vu une personne dans l’encadrement de sa porte tout à l’heure ? Et si c’était un collègue, que va-t-on penser d’elle? Il lui semble bien que c’était un homme. Et si ce n’était pas le cas ? Et si cette figure n’était autre que lui ?
La simple évocation de ce monstre lui glace le sang, elle sent sa peau frémir et elle redevient cette fillette de dix ans. Lui, si beau avec sa chevelure noire ébène comme le plumage d’un corbeau rodant autour de sa proie. Lui, si beau avec ses yeux verts d’eau. Lui à la figure angélique en laquelle sommeille un monstre destructeur, pervers et sadique. Lui, dont elle a rêvé, fantasmé un nombre incalculable de fois la mort ; Une mort qui le rendrait aussi laid que la pourriture qu’il était intérieurement. Une mort qui rétablirait la vérité sur ce manipulateur.
Non, il ne pouvait être là, dans cet encadrement ; Elle l’a tué de ses petites mains frêles d’enfant, oui elle a tué son père.
Elle se relève, défroisse énergiquement sa jupe d’un geste de la main, essuie ses joues barbouillées de maquillage, s’installe à son bureau et se replonge dans sa monotonie chérie. Ca passera comme toutes les autres fois…ca passera…
Oui madame , j'ai vécu avec des femmes qui ont eu ce problème d'enfance...
· Il y a plus de 11 ans ·Maintenant elles ont mon âge et vivent autrement, mais elles ont repoussé jusqu'à l'oubli ces moments, j'ai fait partie de leurs premières rencontres et même plus, de leurs confidences j'en ai fait un passé que l'on accepte pour aller beaucoup plus loin, vers l'au-delà, un savoir qui n'est pas commun à tous, mais un savoir transformé en richesse, celle d'être passé par dessus de soi-même... Alors oui sont importants ces gestes, ces habitudes, et il est important de faire ce qu'il faut pour arriver à la finalité dans le meilleur état possible, dans le meilleur confort possible... Avec le moins de souffrances et cela se construit jour après jour avec aussi de bonnes habitudes...
Pawel Reklewski
C'est terrible....Se reconstruire coûte que coûte pour le détruire, définitivement.
· Il y a environ 14 ans ·leo
Vous m'avez interpellé pour que je lise votre texte.
· Il y a environ 14 ans ·J'ai lu, je l'ai relu, j'en redemande.
A bientôt
sycophante
souffrance intérieure si bien décrite, très touchant.
· Il y a plus de 14 ans ·odkali
Oh là là, très fort!
· Il y a plus de 14 ans ·ko0
Il y a de quoi faire des éloges!!c'est joli et monstrueusement beau!!bien joué!
· Il y a plus de 14 ans ·audrey
superbe texte dont le rythme accompagne à merveille l'évènement ...Bravo
· Il y a plus de 14 ans ·djarai
je partage complètement
· Il y a plus de 14 ans ·seleucos-barca