Nout, Déesse de la nuit

Aloysius Isidore Dambert D'eaucloret

Nout, déesse mystérieuse, Sybille inspirée, en une nuit chaude d’été, tu as bouleversé ma vie, je t’en remercie. Rêve ou réalité, je ne le saurais pas, en tout cas je te garde à jamais dans mon cœur.


Je suis féru d'astronomie et de mythologie et cette nuit-là le ciel était extraordinairement étoilé et lumineux. Un bonheur et un spectacle féérique pour les yeux et l'esprit. Je contemplais ce décor divin avec passion et délectation du bord de ma fenêtre de chambre de bonne. Je décidais donc de sortir et d'aller me promener au jardin du Luxembourg, situé en bordure de Saint-Germain-des-Prés et du quartier Latin.


J'ai une affection toute particulière pour cet espace vert, mon poumon de verdure. Tout y est réuni pour s'ouvrir à la rêverie et déambuler sans but. Je m'y retrouve avec une grande sérénité.


Je baguenaudais tranquillement dans les allées du jardin. Quand soudain, j'eus une sorte d'éblouissement, de vision. Je n'en croyais pas mes yeux. Devant moi, dans une allée, je crus reconnaître Nout, la déesse de la nuit, la protectrice de nos rêves. C'est elle qui recouvre le monde entier de son corps étoilé. Elle était vraiment magnifique dans les halos de la lune.


Le plus étonnant dans tout ça c'est que cette divinité m'interpella de sa voix hypnotique : « Bonsoir, jeune homme, je t'ai aperçu tout à l'heure, tu m'as semblé beau et avenant. Pas comme certain ce soir. C'est de toi que j'ai envie, sans nul doute. Tu ne seras déçue ni par mes charmes ni par mes talents ».


J'étais bouche-bée, les yeux écarquillaient, devant moi une jeune femme se tenait là, bien réelle. Elle m'adressait la parole ! Elle ne portait qu'une robe arachnéenne et une cape qui m'envoyait un clin d'œil.


Je ne pus que difficilement articuler : « Mais… que se passe-t-il ? ».


Elle me répondit tout naturellement : « Mais, voyons, tu ne le sais donc pas cette nuit est celle de l'amour. Le moment où je peux jouir en toute liberté. Ne m'emmènes-tu pas jusqu'à un de ces buissons. Il fait si bon ce soir et je me sens prête pour l'amour ».


Puis elle ajouta, espiègle : « Si les buissons ne te conviennent pas, je connais d'autres endroits tout à fait douillets non loin. Allons jusqu'à la roseraie, un lieu de rêverie où je me donnerai à toi. Ou alors, si tu préfères, réfugions-nous dans la serre aux orchidées, dans une atmosphère chaude et moite comme moi, nous y dissimulerons nos désirs aux yeux des passants ».


« Mais ce sont quoi ces fantaisies, …, de la pure magie,…, un rêve,…, c'est vraiment de la folie ! » : Me dis-je dans ma tête.


La sibylle si belle semblait lire dans mes pensées, être dans mon esprit.


« Alors tu refuses ? Tu ferais mieux de profiter de moi puisque tu es là et que tu as le temps ! Ne suis-je pas belle et désirable ? » : Me demanda-t-elle.


En disant cela, elle dégrafa sa cape et apparut presque nue à côté de moi. Je restais un instant sans réaction. Sur un ton badin et un sourire désarmant comme si elle m'invitait à une promenade, elle me demanda de la suivre. Je ne me fis plus prier cette fois !


Et, guidé par cette jeune femme mystérieuse vêtue d'une étoffe diaphane et de sa longue chevelure, je parcourais le parc et ses jardins.


Nout me dis alors : « Ne sais-tu pas que le lien le plus sacré et le plus noble est l'amour. Les amants doivent vivre leurs instincts et s'aimer librement ».


Je m'émerveillais de nouveau du sérieux que pouvait manifester cette toute jeune femme et de ses brusques changements d'attitude. Elle avait exacerbé ma réceptivité me plongeant dans quelque torpeur suspecte à mon goût. Jamais je n'avais vu de fille aussi belle. Elle possédait un visage enfantin mais son corps était bien celui d'une femme parfaite.


Elle s'arrêta soudain : « Voici l'endroit idéal que nous cherchions, j'espère que tu trouveras ici ce que tu veux, moi j'ai trouvé ce que je recherchais et je suis prête à t'accueillir ».


Ma Sibylle rentra dans la serre aux orchidées aux mille parfums. Je la suivis des yeux un instant, troublé malgré moi par cette apparition. Elle était si belle et si désirable comme une nymphe des bois.


Elle trouva rapidement un endroit idyllique, une sorte de lit de verdure et de fleurs à l'antique. Elle était divinement belle dans sa robe de déesse.


Merveilleuse, stupéfiante, toute de courbes gracieuses et fines, cette vision me coupait toujours le souffle. Je restais quelques secondes dans un état de complète stupéfaction. Elle gardait ses yeux plongés dans les miens. Une expression mystérieuse sur le visage.


Le visage de cette jeune femme s'attendrit. Alors, elle se pencha un peu plus vers moi et, là, elle m'embrassa. Oh, ce n'était qu'un premier baiser furtif, léger, mais qui en appelait d'autres plus fougueux. Les lèvres de ma sibylle avaient effleuré les miennes, et j'avais éprouvé un véritable choc électrique à ce contact.


Elle ne me laissa pas le temps de répondre car, tout de suite, elle avait fait demi-tour et était partie en courant comme dans un jeu amoureux. Elle s'était retournée avant de se diriger vers la porte entrouverte de la serre aux mille délices à venir. Et j'avais entraperçu alors à nouveau son sourire et ce regard brillant qu'elle m'adressait en partage.


Elle se déshabilla sauvagement, arrachant le lacet mince de sa robe, qui siffla autour de ses hanches comme un serpent glisse. Elle alla sur la pointe des pieds nus regarder encore une fois si la porte de la serre est bien fermée, puis fit d'un seul geste tomber son léger tissu l'enserrant. C'était une vision sublime de voir cette silhouette gracieuse et nue se remettant à courir malicieusement dans la nuit.


Puis, elle revint vers moi, se précipita même pour m'attraper la main et en suite me serrer par le poignet avec force en nous asseyant : « Je suis la femme aux belles paroles, l'enjôleuse de cœur que tu viens de rencontrer … l'amour se passe de commentaire … il se vit uniquement ».


« Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Je n'y comprends rien … sois plus claire … je t'en prie ! » : Lui demandais-je avec insistance.


Elle me regarda droit dans les yeux, de nouveau, elle avait repris sa figure de pythonisse, mais avec une telle expression de désespoir que j'en frémis.


Elle me répondit calmement : « Cela veut que je suis Nout, divinité égyptienne, fille de Shou et de Tefnout, et comme une femme donnant constamment la vie par le passage du Soleil dans mon corps pendant la nuit, que je vais me donner à toi, que tu vas m'aimer et je vais t'aimer ».


Elle me lâcha et se leva pour s'asseoir en face de moi, je restais interdit. Nous restâmes silencieux, chacun de notre côté. Finalement, c'est elle qui se leva et vint s'agenouiller tout près de moi.


Elle me dit en me susurrant à l'oreille : « Oublions le temps, le lieu, mon destin, je suis la déesse de la nuit et je me donne à toi ».


Une brusque rougeur me monta au visage. Elle était jolie, divinement, presque excessivement. Petit à petit, le regard de ma sibylle s'embua de larmes, elle ressemblait à une petite fille perdue maintenant. Savait-elle que ce moment allait arriver ? J'avais l'impression de me trouver en un autre monde, de ne plus être moi-même. Mon cœur battait la chamade.


J'aurais voulu lui dire : « Nout, je ne sais pas … rien de tout cela n'est prudent ni raisonnable, …, j'ai déjà aimé, j'ai été marié mais mon implication dans mon travail a brisé ce mariage, …, que je n'éprouvais plus depuis qu'indifférence pour les femmes, …, que ma vie ne pouvait être partagée par une femme, …, que je ne pourrais pas la rendre heureuse, que … ». Mais je me taisais et je me contentais de rapprocher mes lèvres de celles de Nout.


Pour quelques instants, pour un court moment de répit, comme volé au temps, Nout allait enfin cesser sa course incessante, dans la semi-obscurité de ce jardin parisien.


Nous reposions tous les deux dans notre petite alcôve de verdure. Elle se blottissait dans ses bras et j'avais l'impression d'avoir un enfant contre moi. Cela avait été bref, merveilleux. Jamais avant elle une femme ne s'était ainsi abandonnée sous mes caresses. Pourtant, très vite, après ce court éblouissement, la dure réalité me revint à l'esprit.


Dormait-elle ? Sa poitrine se soulevait régulièrement mais cela ne voulait rien dire. Je lui parlais alors tout bas : « Je peux te demander quelque chose ? ».


Un souffle me répondit : « Oui, vas-y ? ».


Je me raclais la gorge, un peu gêné : « Cela tu l'avais prédit ? Enfin, je veux dire ce qui vient de se passer ? ».


« Oui, je savais que cela allait arriver ».


Je lui posais à nouveau une question : « Et tu t'es donnée à moi uniquement parce que tu savais que cela allait arriver ? ».


Elle répondit alors plus vivement : « Non, non, pas cela, je te l'assure. Je l'ai fait parce que je t'aime et pas pour autre chose. ».


Je rétorquais : « Mais tu n'aurais pas pu faire autrement, n'est-ce pas ? ».


Un sanglot résonna à côté de moi : « Non ! ».


Je la serrais plus fort. Une larme avait coulé sur sa poitrine : « Et cet amour, tu sais combien de temps il durera ? Je suppose qu'il ne durera que le temps de cet instant magique ? ».


Un long, si long silence suivit. Allait-elle parler ? Je m'en voulais terriblement de lui avoir posé ces questions mais je devais savoir, confirmer ce que je pensais en mon for intérieur.


Elle répondit enfin : « Oui, je sais combien de temps il durera. Il durera tant que le soleil ne sera pas complétement levé. Après, je sais que nous ne nous aimerons plus. ».


Je fermais les yeux pour ne pas pleurer. Pourquoi avais-je cherché à savoir ? Pourquoi n'avais-je pas gardé le silence ? Pourquoi avais-je tout gâché ? C'était tellement mieux de ne pas savoir à l'avance. Je me mordais l'intérieur des joues de souffrance et de désespoir.


Mais je ne pus éviter d'ajouter : « Ce doit être terrible de connaître son propre avenir. ».


Elle murmura : « Oui, c'est terrible. Tu commences à peine à t'en rendre compte. Aime-moi encore, je t'en prie … ».


Nous passâmes un long moment serrés l'un contre l'autre. Le temps qui passait, les minutes qui s'écoulaient, inéluctables, comme les grains de sable dans une clepsydre, n'avaient pas de prise sur nous. Chaque fois que nous nous détachions, d'irrépressibles frissons nous prenaient et nous nous jetions dans les bras l'un de l'autre.


Jamais je ne pourrais la quitter, je n'en aurais pas la force, je le savais. Pourtant le moment fatidique allait venir où elle devrait partir et continuer sa course éternelle. Le Soleil, jaloux de notre tranquillité et de notre amour, allait reprendre ses droits.


« Combien de temps resterons-nous ainsi ? » : Lui demandais-je bêtement.


« Je n'en sais rien amour. »


« Tu es heureuse ? »


« D'une certaine manière oui. C'est une sensation étrange. Effrayante surtout. »


« Effrayante ? »


« Oui, j'ai peur que cela s'arrête, car cela va s'arrêter. C'est cette sensation inévitable qui m'empêche d'être parfaitement heureuse. »


« Parce que tu sais que cela vas finir bientôt ? »


« Oui, mon amour, je t'adore.»


Elle se blottit tout contre moi. Et elle murmura alors que je sentais son sein s'appuyer sur mon bras et ses larmes mouiller sa joue : « Il ne faut pas que cela arrive, il ne faut pas … ».


Au cœur de la nuit, dans notre secrète alcôve, des aurores de grâce luisaient pour nous seuls. Ma main explora son enivrante anatomie et nos souffles se mêlèrent. C'était la plus belle femme que je n'aie jamais vu et je l'avais là devant moi. Je crois que mon cœur ne battra plus que pour elle. Je m'endormis, souriant.


En me réveillant, je la retrouvais ma belle endormie. Je m'assis, éreinté par cette nuit, pour la contempler. Elle ressemblait à une petite fille lorsqu'elle avait les yeux fermés. Elle souriait.


« À quoi peut-elle bien songer ? » : me demandais-je intérieurement en rage. « Et si c'était de moi qu'elle rêvait ? … Je ne peux pas tomber amoureux d'une divinité, d'un rêve. ».


La silhouette nue de Nout me fit immédiatement oublier ma mauvaise humeur mais attisa ma mélancolie avec cette incomparable joliesse. Comment avais-je pu tomber amoureux de la sorte ? La réponse était là, devant moi. Nout possédait une grâce naturelle. Non, ce n'était pas vraiment de la grâce. C'était une sorte d'audace, de liberté dans les mouvements. Même nue, elle ne semblait gênée en rien, mais il n'y avait rien de vulgaire ni grossièrement aguicheur dans son comportement. Simplement, elle était aussi à l'aise en tenue d'Ève qu'en robe.


Elle était fascinante, désirable, toujours étonnante et d'une sensualité qui me désarmait. Mais était-ce vraiment de l'amour ? Et à quoi bon cet amour sans espoir pour cette divinité ? Elle était toujours prompte à me surprendre, me bouleverser, voire me transporter. Elle avait du courage, de l'intelligence à revendre et ce don. Ce sera avec de grandes difficultés que je retrouverais ma vie d'homme seul et je n'en avais absolument pas envie. Ce dont j'étais sûre maintenant c'est que notre amour durerait peu mais serait intense, vrai et merveilleux.


Je sortais de ma rêverie. Nout était toujours couchée sur notre petit lit de verdure, ma veste la couvrant avait glissé, laissant apparaître une bonne partie de sa nudité. La lumière du jour naissant s'attardait sur ses courbes. Pourtant, je n'éprouvais nul désir à ce moment-là. Juste une sorte de trouble devant la fragilité de cette jeune femme divine. Et puis je distinguais l'expression de son visage. Elle rêvait et s'agitait dans son sommeil. Sa figure exprimait une grande souffrance.


Elle s'éveilla soudain, tremblante et troublée. Elle me regarda avec ses grands yeux où je pouvais lire la tendresse, la tristesse et la détresse.


Elle m'apostropha subitement : « Ma robe, voyons, j'ai froid ».


Oui, c'est vrai, je ne l'avais pas remarqué mais elle semblait glacée. Ses lèvres devenaient presque bleues au fur et à mesure que la nuit se finissait.


D'une main mal assurée, je lui tendis l'étoffe diaphane. Elle s'en enveloppa d'un geste d'une grâce toute féminine. Elle me remercia d'un petit signe de la tête.


Enfin, il me semblait pouvoir comprendre ce qu'il se passait dans sa tête. Elle se disait : « Vraiment mignon et tellement maladroit ».


Mais, elle le savait bien, aucune force dans l'univers n'était capable de modifier l'avenir. À la fin, c'est presque les larmes aux yeux et une boule au fond de la gorge qu'elle se retourna en fixant la lune pleine.


Puis, je pris la main de Nout et la ramena vers moi. Je l'embrassais avec passion. Elle se laissa faire mais émit un petit gloussement.


« Pourquoi ris-tu ? »


Elle se dégagea : « Parce que je te trouve bien passionné » et elle se détourna moqueuse.


« J'ignore quand notre amour va finir, alors je profite de chaque instant. »


Elle approuva et c'est elle qui m'embrassa.


Je me sentis rempli de mélancolie. Elle avait remis sa robe et sa cape bien fermée ce qui ne parvenait pas à l'enlaidir. Pourquoi restait-elle si mystérieuse ? Je la laissais silencieuse à ses pensées secrètes. Parfois, elle me jetait des regards de tendresse qui me faisait rougir. Mais une minute plus tard, elle paraissait au bord des larmes et l'instant d'après elle riait aux éclats comme pour se moquer de moi. Je la sentais vulnérable et invincible à la fois, comme si rien ne pouvait l'atteindre malgré sa fragilité.


J'essayais de comprendre, mais rien à faire, elle restait désespérément fermée ! Je voulus lui demander les raisons de sa colère apparente puis je me ravisais et changeais d'avis. Elle avait sans doute raison, elle seule était maitresse et prisonnière de son destin ancestral. Cette complicité qui existait entre nous depuis peu n'était pas normale et ne pouvait qu'être fictive. Il m'était à nouveau désagréablement impossible de savoir ce qui pouvait se passer dans la tête de cette jeune femme. Je la pris dans mes bras pour la serrer très fort de mon étreinte amoureuse.


Enfin, elle s'adressa à moi : « C'est le début et la fin d'une passion, …, tu le savais… je t'avais prévenu … seuls le chagrin et les regrets resteront … ».


Nous nous étions enveloppés dans sa cape et, debout devant la verrière de la serre, nous contemplions la course inéluctable du Soleil. Dans l'aube naissante de ce matin-là, alors que le Soleil commençait à rosir les toits de Paris, nous nous sommes encore aimés, une dernière fois.


Elle allait partir sans même un geste d'affection tellement l'émotion la submergeait. « Tu ne m'embrasses pas pour nous dire adieu ? » : Lui demandais-je ému. Puis je me mis à crier : « Et notre amour, c'était donc une illusion, un mensonge. ».


Nout se retourna et m'attrapa le bras fixant mon regard : « Non, je te promets. Je t'ai aimé, je t'aime, mais je savais très bien que notre amour n'aurait aucun avenir. J'ai été heureuse durant ces quelques heures. Je t'aime, mais je savais que notre amour ne survivrait pas au Soleil, tu comprends pourquoi maintenant ? ».


J'approuvais de la tête, les yeux baissés. Tout avait été dit et la déesse de la nuit disparut dans le Soleil maintenant chaud et vorace.


Adieu !

Signaler ce texte