Nouvelle vie

tantdebelleshistoires

Une jeune fille des années 80 monte travailler à Paris

Gare de Lyon

Emmitouflée dans sa doudoune blanche, une valise à la main et son sac au dos, elle débarqua sur un quai de la gare de Lyon en février 1984. Son cœur battait encore la chamade quand elle fut happée par les passagers qui l'entraînaient malgré elle vers la sortie.  Elle se retrouva sous la verrière sans qu'elle ne sût comment et se figea, seule au monde.

Les gens avaient l'air de parfaitement savoir où ils allaient et elle, était là au milieu de cette ruche bourdonnante, affolée de toutes les indications qu'elle ne parvenait pas à lire tant ses yeux étaient brouillés: Métros, RER, Bus, Taxis, Sorties…. Vers où devait-elle se diriger ? Elle connaissait pourtant son itinéraire par cœur et l'avait étudié au moins dix fois dans ses moindres détails dans le petit guide rouge qu'elle serrait à travers sa poche.

Le malaise s'atténua enfin et croulant sous mon barda,  elle se mit en route en direction du métro. Un jeune homme la bouscula dans les escaliers et dévala les marches quatre à quatre. Elle comprit lorsqu'elle entendit le TUUUUT strident indiquant que les portes allaient bientôt se refermer qu'il allait sauter in extremis dans la rame. Il réussit son coup en esquivant la porte dans un déhanché trahissant l'habitude et elle entendit ensuite un couinement métallique avant d'apercevoir le train s'engouffrer sous le tunnel noir. 

La jeune fille se rangea prudemment le long du mur, regardant de loin la fosse au fond de laquelle couraient les rails électrifiés. En attendant le train suivant, elle scruta cet environnement insolite , les néons blafards qui éclairaient la station, les murs recouverts de carreaux rectangulaires, Gare de Lyon se détachant en lettres blanches sur fond bleu, un clochard étendu de tout son long sur des sièges en plastique avec à ses pieds une bouteille de vin à demi pleine et un sac-poubelle rempli de hardes.

Métro

Le silence se fit quelques secondes puis l'on entendit de nouveau le grincement du métro et le claquement des portes qui s'ouvraient. À  peine était-elle montée dans la rame que la longue sonnerie retentit. Les voyageurs s'entassaient et casaient leurs valises entre leurs pieds. Le CHLAK de fermeture des portes la fit sursauter. Fermement accrochée à la barre métallique maculée de traces de doigts, tous ses sens étaient en éveil. Ils étaient serrés dans cette boîte comme des sardines et elle fut rapidement incommodée par les odeurs qui se mêlaient, par tous ces corps inconnus qui se touchaient. La rame s'ébranla en secouant les passagers et elle dut s'habituer aux bruits de ferraille, aux grincements des freins, aux sonneries monocordes, aux portes automatiques qui s'ouvraient, se fermaient, s'entrechoquaient à chaque arrêt. Accrochée à son sac à main en bandoulière, elle jetait régulièrement un coup œil à la ligne affichée au-dessus de la porte, elle devait descendre à Châtelet.

Dans les interminables couloirs de l'immense station, elle se surprit comme les autres à accélérer la cadence. Elle prit une correspondance et se laissa choir sur un strapontin dans une rame presque vite. Elle soufflait enfin et suivit plus sereine le défilé des stations avant son terminus Aubervilliers Quatre chemins.

Aubervilliers

 En  descendant la grande avenue, le choc fut grand. Où était passé son petit village, sa maison douillette, ses amis d'enfance, son amoureux ? Elle était de nouveau perdue dans la grande ville, seule sur un bout de trottoir où une foule cosmopolite allait et venait indifférente à sa présence. Elle soupira résignée et se dirigea courageusement vers le foyer de jeunes travailleurs qui allait l'héberger durant trois années.

Après vingt minutes de marche à pied, elle découvrit son nouveau chez elle, un immeuble de neuf étages aux façades ornées de plaques en béton moulurés et carrés  colorés.  Elle était exténuée et soulagée d'être arrivée. Elle fut logée au quatrième étage, tout au bout d'un couloir dans une chambre de dix mètres carrés. Elle disposait d'un petit lit, d'une commode avec un plan de travail amovible qui s'adaptait astucieusement sur le bois de la couchette. Il y avait un lavabo et un bidet cachés derrière une tenture, un placard  et une fenêtre aux rideaux jaunes s'ouvrant sur un minuscule rebord qui servirait l'hiver de réfrigérateur et l'été de sèche-linge. La vue était imprenable sur la caserne des pompiers en construction et sur la ville grise. Les douches et les toilettes étaient au palier, le self-service au neuvième  étage. La nouvelle locataire soupira, elle avait l'impression de se retrouver à l'internat du lycée .

Toute la journée, un haut-parleur appelait des résidents au téléphone, il fallait prendre la ligne sur le palier pour des conversations dont profitait tout l'étage. 

Les premiers temps des voisins bien intentionnés ne cessaient de venir frapper à sa porte pour lui souhaiter la bienvenue, l'inviter à boire un pot ou plus flippant lui emprunter un fer à repasser à trois heures du matin.

Elle était bouleversée de tous ces changements, elle avait souvent envie de pleurer et avait peur. Que faisait-elle dans cette galère ? Elle n'était encore qu'une gamine vulnérable de dix-neuf ans mais elle savait qu'elle ne pouvait plus reculer car c'est ici qu'elle avait trouvé son premier emploi.

Sous la verrière – photo : Johann Dréo

  • J'aime beaucoup cette écriture fluide, et bien écrite Véronique. On s'attache facilement à cette jeune personne.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Version 4

    nilo

    • Merci Nicole. Je n'ai aucune idée de la qualité de "mon écriture", il y a tellement d'écrivains confirmés par ici, de l'imagination et des styles tellement variés et des textes superbes. En tout cas j'adore écrire, ça reste thérapeutique pour moi et c'est un réel plaisir.
      En tout cas, les remarques pour m'améliorer sont les bienvenues.
      Ecrire au passé par exemple n'est pas toujours facile entre imparfait et passé simple...
      Bonne soirée à toi

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Je t'aime (1)

      tantdebelleshistoires

    • Je suis autodidacte et mes mots viennent du coeur. J'aime beaucoup te lire Véronique car tu es vraie et cela se sent.
      Belle soirée à toi. Bises

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Version 4

      nilo

  • Je suis bien heureuse que mon récit vous touche et vos commentaires sont autant d'encouragements à progresser. C'est un texte que j'avais écrit au présent et à la première personne sur mon blog. Cette version est plus aboutie.
    Gabriel: pourquoi des mots en gras et bin en fait, c'est une habitude que j'ai prise pour accentuer certains mots mais il est vrai que ce n'est pas très "littéraire" et c'est sans doute inutile. Je vais gommer cette manie. Merci de la remarque.
    Bonne soirée à tous

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Je t'aime (1)

    tantdebelleshistoires

  • Eh oui, la vie ne peut pas être arrêtée : elle s'écoule comme une rivière et on ne peut que la suivre. J'ai beaucoup aimé cette description et le paragraphe final résume bien toutes les émotions contradictoires et fortes qui peuvent habiter cette jeune fille au seuil de sa vie.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

  • difficile de d'être plus proche de la réalité... qui était / est envoutante enivrante... Bravo
    (ps pourquoi des mots en gras ?)

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

  • Le déracinement est une double torture. Perdre ses attaches, ses ancrage, mais aussi apprivoiser de nouveau lieux, où tout, n’est qu’étranger et hostile. Trop d’informations à traiter, trop de stimulii, trop de tout. Il faudra se frotter se cogner à ce nouvel environnement bien des fois, avant de ne retenir que ce qui reste pertinent et voiler le reste. Ton texte souligne tout cela avec un ressenti poignant. Bravo !

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • On a tous connu ça à des degrés différents de se retrouver dans une autre dimension avec de nouvelles habitudes à prendre. C'est bien écrit.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Coucou plage 300

    aile68

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