Nuit debout
dyonisos
Carnet de voyage numéro 27 - #NuitDebout République
Je crois vraiment qu'il se passe un truc. Un truc imminent sur le point d'émerger. Une turgescence de la somme de nos consciences individuelles qui donne naissance avec panache à une conscience collective qui fleure la nouvelle utopie, le nouveau rêve commun. Un nouvel opium du peuple en somme.
Ici, point de nocivité, juste un désir puissant et partagé de regarder le monde autrement, d'observer l'autre avec bienveillance, d'inclure l'empathie, le respect, la durabilité, le partage et l'humain au centre de ce nouveau monde en train d'éclore.
Ce mouvement interne que je pensais égoïstement cantonné à ma seule personne trouve un écho externe dans des mouvements collectifs, comme une vague s'inscrit dans un océan tranquille mais agité. Ce mouvement est certainement issu de l'affection progressive de ma conscience par différentes prises de conscience. Je ne remercie jamais assez le débat, les échanges, les remises en question, les dîners arrosés qui ont fait éclore ces envies d'alternatives à un système qui, au quotidien, semble être le contraire de l'aspiration humaine.
Ce désir d'ailleurs, d'alternatives, il s'est vu façonner, au fur et à mesure, que des informations venaient à ma conscience. Des années durant, j'ai cru que ce système agricole, économique, sécuritaire, social etc était le seul viable et capable de proposer une vision à l'humanité. C'était évidemment ma vision de blanc occidental correctement né. Mais une succession de crises ont jeté un pavé dans la marre de mon déterminisme, un énorme pavé dans mon système de pensée organisé, rangé, prédéterminé par des années d'écoute active des élites intellectuelles et politiques médiatisées. Des crises globales relayées massivement par l'internet et une prise de conscience personnelle de faire des choses qui n'ont que peu de sens m'ont amené à progressivement repenser ce que je pense, et mon rapport au monde.
La première prise de conscience est purement égoïste : j'en ai marre de bouffer de la merde. Pourquoi j'ignore tout de ce que je suis en train de bouffer ? C'est quoi ces additifs qui, petit à petit, s'injectent dans mon sang et infusent mes organes ? Je n'avais jamais ressenti de défiance vis-à-vis des entreprises agroalimentaires, mais aujourd'hui, j'ai l'impression de m'être fait enculé en me voyant refourguer de la merde bien packagée, bien marketée à bouffer. A moi, l'ignorant qui ne connaît rien à la chimie organique et au danger potentiel des listes d'ingrédients, on m'a menti par omission. Je refuse désormais de bouffer de la merde et alors que rien ne me prédisposait à devenir le biobo locavore à la recherche de produits sains, je serai de ceux qui encourageront ses congénères à prévoir des alternatives à la bouffe qu'on nous sert en paquet lyophilisé.
La deuxième prise de conscience, c'est un corollaire de la première. Si on nous sert de la merde à bouffer, il y a bien une raison. J'éviterai tout raccourci inutile mais une partie de la cause réside en la financiarisation de nos champs de blé, de nos étables et de nos vergers. Il n'y a qu'à vivre de l'intérieur une société capitaliste, un grand fleuron de l'industrie pour comprendre la course à la marge, la fuite en avant vers le P&L en vert qui vient alimenter sinon nos salaires, la fortune immense d'individus déjà multi cumulards des richesses, des ressources issues d'une terre que pourtant nous partageons tous. Je ne suis absolument pas anticapitaliste, je suis issu des grandes écoles, biberonné à l'économie de marché mais merci à quelques économistes d'avoir décrit si bien ce qui réside en ma troisième prise de conscience : mais putain, qu'est ce qui fait que lui a tout, et lui n'a rien. Comment se fait-il qu'une si petite partie de la population bénéficie, possède une jouissance exclusive de la quasi-totalité des richesses humaines produites ? Comment justifier auprès d'un observateur externe à la terre qu'un mec cache des millions au Fisc alors qu'un autre ne peut pas bouffer. Comment des générations de familles ont-elles pu accumuler autant de patrimoine alors que d'autres survivent dans des conditions insupportables ? Les disparités n'ont fait qu'augmenter et la promesse de l'ascenseur social n'est que la théorisation sociale du Loto. Rares sont les gagnants. Comment se fait-il que mes parents qui ont bossé toute leur vie comme des chiens n'ont qu'un lopin de terre alors qu'à 500km de là, les parents de mon pote croulent sous les SCI accumulant encore des richesses ? Comment se fait-il qu'un mec puisse dormir dans la rue ??? L'argent appelle l'argent. Mais merde, éthiquement, philosophiquement, socialement, HUMAINEMENT parlant, ça ne tient pas une seconde la route.
Quatrième prise de conscience. Assez égoïste, une nouvelle fois, je le concède volontiers. Je suis posé le cul devant un ordinateur 5 jours sur 7. J'ai un salaire correct qui me permet de vivre décemment, de me faire plaisir au sens où on l'entend aujourd'hui. J'ai joué le jeu depuis 30 ans. Et comme beaucoup je pense, je me lève le matin, prends les transports et viens poser mon cul sur ce même fauteuil pour « gagner ma vie ». Et comme beaucoup, je me demande où est le sens derrière ce que je fais. Comme beaucoup, je trouve que, de plus en plus, ce travail n'est pas forcément aligné avec ce que je suis. Ce que je fais n'est pas en adéquation avec ce que je suis. Ce que je fais ? Participer, contribuer au même système que je dénonce. Ma seule utilité est de mettre à disposition mon cerveau à une entreprise capitaliste pour entuber mes congénères avec des inventions marketinget alimenter l'accumulation de richesses de quelques-uns, actionnaires héréditaires : la thune se transmet par le sang comme on disait plus haut. Elevé par les grandes écoles de commerce après un parcours scolaire sans faute, je me suis bien fait niquer. On me promettait l'ascenseur social, j'y ai cru pauvre de moi, je me retrouve aujourd'hui aux antipodes de ma prise de conscience avec le désir de réinventer ce que je fais, de me rendre utile avec bienveillance à la collectivité, à autrui. Alors, oui putain, on a envie de libérer de cette dépendance horrible au travail comme moyen de gagner sa vie. Je ne veux pas être assisté, il me semble avoir le droit de demander à ce que ma vie d'individus ne soit plus dictée par le seul besoin de bouffer et par conséquent de devoir me plier aux exigences d'une entreprise qui ne me veut pas du bien. Le revenu universel mais quelle brillante idée ! Pourquoi n'en ai-je pas entendu parler avant ? Donner à chacun la liberté de s'absoudre d'une société dans laquelle on récompense sa productivité par des critères cotés en bourse. Donner à chacun la liberté de contribuer à sa façon au monde, à la collectivité en tenant à distance sa faim en lui donnant de quoi subvenir à ses besoins primaires. Mais, c'est bien sûr. Je ne veux même pas entendre les cassandre parler d'assistanat. La valeur travail a été vidée de son sens par la financiarisation à outrance de cette notion.
Cinquième prise de conscience : je ne sais plus pour qui voter. Je n'ai même plus envie de voter. Pourtant je suis né en France avec une forte conscience civique. J'ai toujours cru en la politique comme moyen de faire changer le monde et de rendre la vie de chacun meilleure. Je suis un de ces déçus, je ne céderai jamais aux tous pourris, mais la démarche politique est devenue politicienne et l'intérêt général me semble souvent être caché par l'intérêt particulier du prince. Mon bulletin sera blanc jusqu'à ce qu'on reconnaisse sa valeur.
Ces prises de conscience individuelle sont le terreau de ce besoin d'alternatives. Quel bonheur ce fut de comprendre que cette petite crise de trentenaire s'inscrivait dans un mouvement plus massif. Que ce ras-le-bol faisait écho à d'autres ras-le-bol de ma génération. Que toutes ces petits gouttes d'eau indiviuelles vont venir remplir un vase collectif, porteur d'une réinvention du vivre ensemble et mieux. Pour que subsiste à cela en seul objectif commun, le bonheur de chacun !
Vent debout aussi
· Il y a plus de 7 ans ·avec vous
anna-c
C'est bien ces prises de conscience. Nécessaire. Mais on finit par se heurter à des choses qui ont pris des siècles à s'installer. En quoi par exemple un pauvre devenu riche sera meilleur que celui qui l'était déjà ? L'erreur est plus large. Elle est humaine oui mais c'est l'orgueil. Si nous ne nous étions pas autoproclamés maîtres de la terre et du vivant, si nous passions notre temps à nous demander comment vivre avec ce qui nous entoure plutôt que de théoriser seulement l'organisation des hommes les uns avec les autres l'argent les chiffres la possession n'auraient pas le même sens. C'est bien un problème de conscience. Mais les effets de mode sociaux qui n'en traitent que les symptômes ne changeront pas la donne. Depuis longtemps ils ne font que déplacer ou masquer le problème.
· Il y a plus de 8 ans ·Même si je suis content de savoir qu'il y a encore des prises de conscience, je ne sais pas comment venir à bout des corruptions (au sens large). Merci quand même. Et merci surtout d'ailleurs.
thib
Comme d'hab ! Je ne suis pas déçue d'être venue te lire. Une écriture précise, à la fois introspective et sociologique qui vaut le détour, merci de partager cela !
· Il y a plus de 8 ans ·bleuterre