#3

Je vais vous la raconter cette terrible histoire. Il faut que je vous la raconte ! Alors voilà…

« Il est trois heures du matin. Elle dort, toujours collée à lui. Une vraie glu. Il l'adore cette fille et il voudrait qu'elle soit avec lui tout le temps.

Ça va faire presque trente heures qu'ils n'ont pas quitté ce lit. En fait si, il s'est levé pour ouvrir au livreur de pizza. Ils baisent, ils mangent, ils dorment, ils font l'amour, ils parlent, ils boivent, ils dorment, ils rigolent, ils font l'amour, etc… Plus ou moins dans cet ordre là.

« Il fait trop chaud dans cette chambre », se dit-il. En même temps, il vient de finir le joint. Ça fait une paye qu'il n'a pas fumé de joint. Il y a un fond de musique, un morceau d'acid jazz sur une de ces radios parisiennes.

Pour ce qui est de la femme en rouge, ça va faire trente heures d'affilées qu'il l'observe du coin de l'œil. Elle n'a pas bougé d'un millimètre. Avec ses grandes soieries rouges, quand on la regarde sans la regarder, elle ressemble à un de ses poissons là, les combattants. Après, il n'y a rien d'étonnants à ce qu'elle ne bouge pas, c'est juste un fond d'écran. Mais bon, il juge plus prudent de rester sur ses gardes.

Dehors, le vent souffle fort. Et comme à chaque fois qu'il y a une tempête, on entend le pendu dans les combles se cogner la tête contre les poutres…

Oui, le pendu. La dernière fois qu'il lui en a parlé, elle lui a dit : « arrête de me faire peur avec tes histoires ! ». Mais lui, il en est sûr parce qu'il n'y a que les pendus qui font des bruits comme ça.

Il se souvient alors de ce que lui a dit son père. C'est marrant, son père a grandi dans la même rue, dans un vieil immeuble à deux numéros de là. « C'est la plus vieille rue de la ville », paraît-il. Son père et son oncle ont vu des fantômes dans leur chambre alors qu'ils étaient encore tout gosse. Des espèces d'apparitions blanchâtres en habits de l'époque Louis XVI. Pas très flippant comme fantômes. Son oncle en fera même une petite nouvelle quelques années plus tard… Bref.

Il était déjà monté dans les combles pour savoir d'où venait ce bruit mais il n'avait rien trouvé. « Pourtant, il y a quelque chose qui tape là-haut ! ». En plus, il faut bien le dire, le bruit est énervant.

« Il faut que je surprenne le pendu, pense-t-il ! De toute façon, j'arrive pas à dormir… »

Il se décolle délicatement de sa glu endormie, se lève, enfile un pantalon, met un pull, ses chaussures et prend sa lampe de poche : le voilà prêt.

L'appartement se trouve au dernier étage de l'immeuble et pour aller dans les combles, il faut passer par la cage d'escalier. Il n'y a d'ailleurs que depuis chez lui que l'on entend ce bruit. Son unique voisin de palier lui a certifié n'avoir jamais rien entendu.

Une fois sorti de chez lui, il referme doucement la porte grinçante de l'appartement et allume la lumière du couloir. Notre homme essaie d'être le plus discret possible. Il est trois heures du matin et quand on fait du bruit dans une cage d'escalier, c'est tout l'immeuble qui entend.

La trappe est juste là. Pour l'ouvrir, c'est simple, il suffit de dévisser le petit papillon et de veiller à ne pas se prendre la grille dans la gueule quand c'est terminé. Ça y est, il n'a plus qu'à descendre l'échelle en fer et à grimper, ce qu'il s'empresse de faire bien décidé à aller jusqu'au bout.

A mi-hauteur, il entend la tempête qui fait rage et… Le bruit.

Il sort la lampe de poche de sa poche. Il l'allume. « Allez, c'est maintenant où jamais ». Un cran, deux crans, il est presque en haut. Le bruit est de plus en plus fort.

A cet instant précis, il commence à réaliser ce qu'il est en train de faire. En pleine nuit, défoncé, il est en train de grimper à une échelle bancale pour vérifier s'il n'y aurait pas un macabé dans le grenier. Une bouffée de chaleur le fait tout à coup suer à grosses gouttes. Une peur indescriptible le saisit et tous ces membres se mettent à trembler. Il ne peut plus reculer… Le dernier cran… Il fait noir là-haut… Sa tête dépasse juste assez maintenant… Il éclaire la pièce…

Il est là… Un visage déformé se balançant de droite à gauche se retrouve dans le faisceau de sa lampe. La tête du pendu se cogne contre les poutres au gré des courants d'air… Ses mains lui désobéissent, Ses jambes ne le tiennent plus, il lâche l'échelle et vient s'écraser trois mètres plus bas… »

Et là, je me suis réveillé. Il fallait vite que je mette ce cauchemar sur papier avant de l'oublier. A aucun moment je n'ai vu le visage de cet homme mais je sais qu'il s'agissait de moi. Pourquoi ? Parce qu'il est exactement trois heures et dehors, le vent souffle fort. Et comme à chaque fois qu'il y a une tempête, on entend le pendu dans les combles se cogner la tête contre les poutres…