Octobre en Vain de Toi
Totem De La Nuit Belle
Octobre en vain de toi
Faut que je vous parle de Manon. Manon ma source ; de souvenir, de nostalgie et de fantasmes. Chaque fois qu’octobre pleure ses pluies, que diluviennes il drache, ça me le refait, Manon revient. Une fille de Brest ou d’à côté, bref, pas loin. Sauvage et un peu bête. Croyant l’aimer parce qu’elle était sauvage, j’espérais au moins l’embrasser parce que…
Elle jurait très souvent ; des insultes de soie qu’elle réprouvait tardi-naïvement en posant sa main sur la bouche. Son charme à elle. Je me revois là, engoncé, assis à côté d’elle à proférer les phrases qu’elle voulait entendre. Séduction de concession. Lâche et sans effet – j'aurais pas dit mieux. Discussions puériles – sur la vie, l’amour, la mort ; comme seule la jeunesse sait inventer, où les idées creuses disputaient les contradictions. B.a.-ba du balbutiement. Peu m’importait alors, elle me plaisait. J’embrayais sur tous les sujets pour la fasciner – capter ses yeux et plonger dedans ; j’inventais des théories incompréhensibles visant à sauver l’adolescence du mythe du suicide ou prônais des pharmakos de pacotille pour purger le crétinisme des salles de cours. J’y allais fort. En vain. L’adolescence est un chahut où l’insouciance d’un lendemain l’emportera toujours sur les grandes promesses d’un soir. L’âge adulte confirme.
C’était le temps des non catégoriques et injustes. Des maîtres et des pères. Les tutelles et les tabous forgeaient alors les frustrations à venir. J’approchais de mes douze ans. Bander relevait du mystère, l’Amour de l’énigme. Un ennemi à tuer, l’Ennui. Tout était si lent, si rampant. Je me souviens des rires idiots, des fringues siglées m'as-tu-vu, des riffs de gratte approximatifs, du gel dans les cheveux et des pieds sur les bancs pour défier l’autorité inexistante. Fallait que ça dépasse et que ça clinque ; les crétins hurleurs faisaient la différence avec les filles. Les autres pouvaient enfiler leur collerette de loser.
J’avais la mienne depuis le premier jour – ma mère qui m’habillait m’avait trouvé ‘trop mignon’ avec un jean rouge, une chemise de bûcheron et des baskets de cosmonaute – j’avais fait sensation. Pour pimenter le tout, j’étais bon élève et donc une cible de choix pour les jaloux musculeux. En joue, railleries, feu. Le ridicule a failli maintes fois m’achever sur place. Je n’avais que mon mépris pour contrer et tout ce petit monde s’en foutait. Et tout ce petit monde où je ne me sentais pas à ma place avait bien raison de s’en foutre.
Je fulminais et me projetais pour tout destin l’Incendie de l’Univers, rien que ça. Erostrate de cour de récré… Si j’avais au moins pu enflammer Manon. Rien n’était moins acquis. Des gâtés de la vie - entendre ceux qui n’arboraient ni appareils dentaires, lunettes oculaires ou épis capillaires - lui tournaient autour. Manon dégageait ce je-ne-sais-quoi de revenez-y sucré qui émoustillait toutes les appétences garçonnes et l’idée floue qu’on avait tous de l’acte. Sa bouche était une invitation, ses yeux une imploration. Ses mains frêles et douces et ses cheveux bouclés sont à l'origine de tant de vocations fétichistes. Blason blasé. Enfin je n’étais pas seul sur le coup et j’accusais pas mal de points de pénalité. Pourtant.
Un soir d’Octobre pourtant nous nous sommes trouvés. Je ne peux pas dire où. Je ne dirai jamais où. Il pleuvait mais l’air était chargé de ces ondes mystérieuses des premières fois. Manon m’a permis. Relégués les gâtés de la vie, place au pyromane. En détail, c’était maladroit mais dans l’ensemble c’était magnifique. Elle y avait mis tout son cœur et toute sa langue. A quia, yeux grands ouverts. Dans un odorama qui n’appartiendra jamais plus qu’à moi, zesté des fragrances de sa peau et d’un parfum bon marché, je devenais l’unique spectateur de notre premier baiser. Celui qui se dit avec les lèvres mais ne se prononce pas.
Après cette foudroyance, les semaines d'accalmie défilèrent. Indifférence totale en public. Mots doux à la dérobée. Rires gênés au loin, œillades surprises et ragots d’égout. Marquise à la cour de récré, elle survolait. Contenir les érubescences et les roulements de chamade quand je la croisais s’avérait vain. Joues orange sanguines, sourire banane, tête de fruit. Moi qui la croyais bête, je me retrouvais con.
Y’avait un peu de colle qui traînait à cette époque. Ca ne rendait pas les idées plus claires mais ça filait du courage ; un temps, voire du vertige. Ca m’aidait bien quand je la voyais en cachette au non endroit de nos retrouvailles. Je me souviens, mon radio cassette grésillait l’Unplugged in N-Y et il faisait doux comme dans la mort. Alors elle me voyait beau et trouvait le moment chouette parce que je crois qu’elle n’aurait pas su décliner ce qu’elle ressentait avec d’autres adjectifs. Je m’en fichais, je volais ses baisers tant que ma langueur couvrait ma timidité. My girl, my girl, don’t lie to me.
Elle me susurra une fois qu’elle avait des papillons dans le ventre. Sa poésie. C’était comme ça qu’elle disait quand elle avait mal au bide et elle avait toujours mal au bide. Je lui rétorquai de ma répartie idiote que j’allais tous les capturer pour leur rendre la liberté. Et ma main filait se poser sur son bas ventre. Les guilis de mes doigts les attrapaient au vol. Elle riait de ce rire qui veut dire oui et on s’allongeait pour l’éternité. Se dire que ça allait durer toujours, c’était ça notre premier mensonge. Le lendemain cinq avril, Kurt Cobain se tirait une balle et s’allongeait au Club 27 pour l’éternité.
Manon a cessé de me trouver beau. Elle ne me laissait plus poser la main sur son ventre ma vestale. Je compris alors qu'elle en aimait un autre. Bien sûr elle prétendait le contraire – mais je t'assure que non, et plus elle prétendait, plus l'évidence se creusait – mais puisque j'te l'dis. Tout regard fuyait, toute question fâchait. Ca s'est abattu sur moi au Jardin des plantes aromatiques qui jouxtait le Muséum des histoires surnaturelles et ses cabinets de curiosités mal placées. C'est un parking aujourd'hui et ça me console. Au dehors se trouvait un «papiliorama» comme aimait à dire le maître jamais en reste pour pédaler dans le pédantisme.
Elle voulait qu’on reste amis, vous savez. Ca aurait été trop bête de gâcher ça. Et puis nous, c’était pas pareil, vous savez… Une rupture comme une seringue. La piqûre de rappel de ma vacu-nullité. Tombe le décor, s’éteignent les lumières. Eternité game over. Même joueur ne jouera plus jamais. Manon me prenait la main et me raccompagnait pseudo-contrite au degré zéro de la vie à subir et des journées qui rampent. Amour la mort dans l'âme, et du crachat de regret pour tout dépositaire. "Et bien que ça finisse si c'est ce que tu veux."
Demi-deuil, Sphinx tête de mort et Grand porte-queue me regardaient de l'autre côté de la vitre. Leur thorax était très précisément perforé par une épingle enfoncée à angle droit de 25 millimètres comme il est conseillé dans les manuels d’entomologie. Il existe deux méthodes pour embrocher les spécimens. La première doit s'effectuer le plus rapidement possible après la mort afin d'éviter tout risque de raidissement qui entraînerait un bris d'antennes ou d'autres membres. La seconde technique est le ramollissement du corps desséché dans une boîte humide hermétique. Certains ajoutent de l'alcool ou du para-dichlorobenzène (désodorisants d'ambiance très puissants) pour prévenir le développement de moisissures. Peut-être une solution pour prévenir ses moisissures amoureuses ; picoler dans des placards à poubelles. A l’époque je n’avais que mes larmes. Tout le collège chialait la mort de Cobain, je pleurais Manon. Cette douleur, c’était donc ça l’amour.
J'ai revu Manon il y a quelques années. Sur internet. Elle n’avait pas beaucoup changé, elle était belle, un peu marquée quand même mais toujours cette folle tendresse dans le regard. Sur la sombre vidéo où elle apparaît, elle empoigne et secoue des choses qui ne lui appartiennent pas et feint d’aimer ça. En tout cas elle ne semble plus du tout avoir mal au ventre.
- Oh Manon, combien de papillons épinglés pour en arriver là ?
Totem
Quelle nostalgie...quelle émotion...Les premiers émois de l'adolescence.. Magnifique et tellement vrai....Merci pour toutes ces lig,es ...
· Il y a presque 10 ans ·Marylou Gr Wood
Ravageur .... et toute cette nostalgie adolescente et maladroite qui remonte ! le parfum bon marché à mon époque s'appelait "eau jeune". Ca veut tout dire. Merci pour les souvenirs .... merci pour cette belle écriture.
· Il y a presque 10 ans ·Kty Razza
Texte d'une intense et rare émotion !!
· Il y a presque 10 ans ·On ressent une diversité de sensations, on perçoit des fêlures ...
C'est magnifique, bravo et merci !
ade
Profond, sincère, des mots qui plaisent ....
· Il y a presque 11 ans ·On sent, on ressent, on partage (on envie).
Bravo !
electsia
Une magnifique écriture. J'aime beaucoup. Et le titre incroyablement beau et accrocheur.
· Il y a presque 14 ans ·bibine-poivron
Magnifique!
· Il y a presque 14 ans ·pointedenis
Absolument génial! coup de coeur.
· Il y a presque 14 ans ·lya