Ôde à la chair d'une emprisonnée
damephoenix
[Mon] Amour de mon passé,
Pourquoi, après les rancœurs et les larmes de coutume à la mort d'une histoire ; pourquoi, après ces années, l'idée de t'écrire me vint à l'esprit ?
Il faut croire que cette cage [d'horreur] d'inhumanité dans laquelle je me suis égarée n'ait finit par avoir raison de [mon esprit] mes ressentiments. Ou peut-être parce que ce vide, cette profonde solitude rythmée par les pas des geôliers, cette amertume qu'ici, chaque [prisonnier] emprisonné ressent, ce manque cruel de vie et d'envie ne soient venus, en mon esprit [fou] aux allures de cauchemars, te rappeler à mon bon souvenir.
Se retrouver entre ces murs, c'est signer une rupture avec son humanité. Et crois-moi, cette rupture fut bien plus difficile que la nôtre, qui pourtant m'arracha bien des cris et des larmes.
Notre cellule de neuf mètres carrés est un véritable [purgatoire] enfer partagé à deux. Les regards accusateurs des gardiens au travers des [fentes] meurtrières de la porte, cet œil scrutateur qui ne laisse échapper aucun angle de la pièce au voyeurisme des matons.
Big Brother is watching you. All the time.
Les journées se suivent et se ressemblent, chaque heure assassine un peu plus ce que je suis. Le méritais-je? Aux yeux de la justice, probablement. Si la peine de mort fut abolie, la peine de vie est un châtiment bien cruel.
Mais s'il y a bien une chose qui me [fait mourir] tue à petit feu, c'est le manque, cette petite voix [aigrelette] grinçante qui prend un plaisir pervers à susurrer à l'oreille tout ce que nous n'avons plus. Il y a si longtemps qu'un corps n'est venu se presser contre le mien autrement que pour des menaces...
La nuit entre les draps, mes mains se perdent dans le vide. Le vide de mon antre, le vide de mon corps, le vide de mon esprit. Ces petits gestes ne veulent plus rien dire quand on sait que plus personne ne sera [jamais] là pour les remplacer. Souviens-toi, lorsque nous mélangions nos corps dans une délicieuse danse jusqu'à l'épuisement, laissant nos envies et nos instincts guider nos gestes, nos soupirs, nos jouissances...
Te sentir en moi m'a tellement manqué lorsque tu m'as quittée. Te sentir en moi aujourd'hui est une chimère qui me dévore les tripes. Cette senteur particulière d'un corps que l'on vient d'aimer... Quand j'y pense, je me rend compte que je commence à en perdre le souvenir... La sueur de l'amour se fait oublier face à la puanteur de l'enfermement.
[Tu n'étais plus rien.] Tu ne me manquais pas. Il y a des années que tu ne me manquais plus. Mais face à soi-même, face aux silences et aux hurlements, le souvenir confus de ton corps et de tes baisers demeure tout ce qu'il me reste. Un jour il fut dit qu'on ne réalise la valeur des choses qu'une fois ces choses perdues. A présent que j'ai [tout] perdu liberté et intimité, que mon nom fut troqué contre un matricule, et que la simple envie charnelle est un moyen de plus de nous torturer le cœur et l'âme, j'en mesure la cruelle vérité.
Le manque. Il n'y a rien de pire que le manque, l'absence. La première nuit d'emprisonnement n'est rien à côté de cet instant où, [écœuré] horrifié, on s'aperçoit qu'on a tout perdu, que ce qui faisait de nous des personnes, des individus, des êtres humains, nous a été arraché. La voilà la vraie peine. Certains soirs mon oreiller étouffe des [hurlements] cris de tourmente, et mes bras se referment désespérément dans le vide. Un vide, un tout dont tu fais partie...
Ne viens jamais me voir. Ne [m'écris] me répond pas. Souviens toi juste de ces moments de passion, de colère ou d'amour qui ont amené deux êtres à soupirer de concert sous les caresses et la valse des corps. Souviens-t-en pour nous deux, car moi bientôt j'en aurais perdu le souvenir, la sensation, le goût et l'odeur.
[Mon Amour de mon passé,
[Original]
· Il y a plus de 7 ans ·Marcus Volk
ecriture fluide et musicale,j'aime!
· Il y a plus de 13 ans ·saki
Terrible description cette privation, j'aime que ce manque soit simplement exprimé non par des détails érotiques, mais sur ce "te sentir en moi". J'aime aussi l'idée des ratures, rappelant ainsi que le courrier est lu en prison, et montrant comment elle atténue et élague une certaine colère dans sa lettre. Je vais lire les autres textes, merci !
· Il y a presque 14 ans ·Edwige Devillebichot
C'est si dur et si beau à la fois... J'aime le ton, j'aime les mots, j'aime le rythme, j'aime ce sentiment indescriptible que cette lettre a éveillé en moi. Du fond du coeur, bravo.
· Il y a presque 14 ans ·tetedelitote