Où il est question d’une génération (peut-être) et d’un monde (sûrement)

Etaïnn Zwer

C'est une manière de lorgner en soi. Jusque-là tout a déjà été dit. À la différence qu'ici, la longue-vue n'est pas une quête aux souvenirs mais un désir d'appropriation. On ne se retourne pas, du moins pas vraiment, on veut faire ADVENIR.

Ce qui est là sur le papier photographique n'a jamais vraiment existé avant, vit maintenant pour être oublié aussitôt. Parce que ce qui compte, c'est la vie, après (ce que l'on fait de ces images, non pas ce qu'elles nous font), la vie à côté, en dur. Qui ne doit pas nous échapper (un clin d'œil suffit) – mal mise, mal jouée – sous peine d'une tristesse infinie.

C'est moins de la nostalgie que le jeu du fantasme. Le romantisme n'est convié qu'en sourdine, fantôme de pierres et pourtant aérien. Autour, un parfum d'incandescence pour lequel il faut trouver des corps, vite, vite. On crée des scènes non pas pour les contempler – jolie collection –, non pas pour se remémorer ces instants (et peu importe qu'ils soient vécus ou fictions), mais pour les consulter, les imprimer, y entrer, les INCARNER.

Et si l'on scrute parfois le passé, un peu – tout ce que nous autres n'avons pas vécu, trop jeunes, mal nés, trop tard pour flamber avec une époque, quand la nôtre est si lasse – c'est pour en extraire des signes, des codes, des principes à réinjecter dans le futur, toujours, encore. L'esprit d'un monde qui nous a précédé, pas l'imagerie. Pour modeler le présent.

Il y a quelque part un paradoxe, un flou temporel peut-être. Mais Céline Barrère est de la génération DeLorean. Le passé n'est pas ce voyage linéaire et respectable vers le futur, il le télescope, dans les replis subtilement agencés de ses photographies, l'irradie.

Oubliez donc les hipsters, vilaines scories de revival, oubliez les cartes postales, vous n'en verrez pas. Ce sont des cartes (a map) comme une injonction. VOILÀ ton présent, ce qu'il doit être, voilà comment tu dois vivre ta vie, à présent. « Demain » est à nous, « demain » n'est qu'à moi, « demain » doit être à mon image – celle que je veux voir dans le miroir où flottent des visages frères.

On INVENTE donc ses traces – marqueurs pour d'autres et pour soi-même, encoches à suivre sur une route qui n'a pas d'autre raison que d'être l'utopie, la bataille qui nous a manqué. 

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Texte présentant le travail de la photographe Céline Barrère / exposition "MINDLAND" / galerie Jacques Barrère, 3-30 novembre 2011. 

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