Ozone

petisaintleu

Ici-bas, les choses ne sont pas toujours manichéennes. Au ras des pâquerettes, on ne peut pas me sentir. Je suis alors aussi néfaste, sans en avoir l'air, que l'ypérite ou que le zyklon B. Inutile d'accuser le bipède qui se tue à détruire l'intégralité de ce qu'il touche. Les feux de forêts, avant qu'il ne les dompte et n'attaque son ascension de la chaîne alimentaire, se chargeaient déjà de disséminer mes vapeurs mortifères.

C'est en s'élevant que l'on s'intéresse à moi. Je me convertis en catalyseur de vos inquiétudes. Je ne voudrais pas en rajouter une couche, mais force est de reconnaître que là, je m'estime indispensable, protecteur incontournable contre les ultra-violets. L'homme, s'assurera par l'interdiction du CFC, mon ennemi, que je ne me dissoudrai pas et qu'il continuera à crever à petite dose d'un cancer de la peau.

C'est drôle en imaginant que je ne suis que l'amalgame de trois atomes d'oxygène. Le paradis est parfois pavé de mauvaises intentions. N'aurait-il pas été amène que la Providence donne sa bénédiction dès l'origine afin que je sois la démultiplication bienfaisante de mon allotrope ?

Ce n'est qu'une question d'équilibre. Une modification angströmique suffirait à annihiler le bleu du ciel. Comment le poète percevrait la couleur de l'orange ? Qu'adviendrait-il de la Sainte-Victoire sans les nuances azuréennes de Cézanne ? Le beau Danube serait-il d'un vert glauque ?

Je ne suis qu'une mole au sein d'un univers de brutes, un cri imperceptible, à un rayon de Bohr du néant entouré d'un infini de vide. Une futilité qui sied au sein d'un monde d'insignifiance. Un jour viendra, tout finira par disparaître. Je rejoindrai l'implosion finale, la poussière et les colosses. Je réaliserai le dessein d'une unité que l'intelligence fut incapable de procréer.

De traitements chimiques en consultations, Jean se battait depuis des années à s'extraire de sa dépression. Il y a belle lurette que ses amis et sa famille avaient fui, honteux à la suite de son premier internement, conséquence d'un kidnapping qui défraya la chronique. Même son chat avait battu en retraite, gavé d'être nourri au petit bonheur la chance.

Il lui arrivait encore d'avoir des épisodes de lucidité. Il s'attelait à un projet fou, celui de romancer Charles VI atteint de démence en traversant la forêt du Mans. Il se contentait de rester allongé sur son lit, atone aux exaspérations de ses voisins qui s'étaient conciliés, tentant de le chasser de l'immeuble, ne supportant plus les effluves émanant de son appartement.

En sortant d'une séance chez son psychiatre, il franchit le porche de l'église jouxtant un parc où il aimait s'asseoir et ne penser à rien. Le climat était caniculaire et il craignit l'insolation à l'instar du souverain dont il se rêvait à devenir le biographe. Dans la maison de Dieu, il fut pris de tremblements qu'il ne connaissait que trop bien, précurseurs d'une crise qui le mènerait à Saint-Anne.

Il parvint à se calmer en fixant le bleu cobalt d'un vitrail qui représentait l'histoire de Marie-Madeleine. Il ne prêta pas attention à la vieille dame installée à ses côtés jusqu'à ce qu'elle lui adressât la parole. : « Vous savez, en ce siècle de vanités exacerbées, d'indifférence érigée en apologie et d'intolérance, vous êtes un héros. Votre souffrance n'est pas vaine. De votre instabilité, faites-en une arme. Ralliez les marginaux, les incompris ou les âmes brisées ! ».

Elle lui saisit la main et le mena vers le point d'écoute tenu par un diacre octogénaire qui lui indiqua le lieu de la communauté. Il en occupe désormais une chambre de cinq mètres carrés. Quand il hurle la nuit, il y a, à toute heure, une ancienne pute, un drogué repenti ou un ex-taulard qui l'enserre avec bienveillance et écoute ses angoisses. Lui, il s'est amouraché pour la pâtisserie. Il compense en préparant des gâteries et des douceurs ; des plaisirs éphémères, un semblant de renaissance.

  • le parallèle entre l'ozone et jean est intéressant. pour jean, la description de la folie de l'autre est peu amène. aussi bien la résilience de jean, l'empathie de la vieille dame et d'un diacre hors d'âge, et l'héroisme invoqué semble sonner faux. on ressent la meme chose dans l'ozone, avec une idéalité qui parait illusoire, et un regard peu amène, dirigé cette fois contre soi.
    le thème de l'ozone pause aussi la question du trou éponyme, mais il est non abordé dans ce texte ou resté en retrait dans l'oeil du cyclone.

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Default user

    Hi Wen

    • Merci pour votre commentaire. Je suis toujours très intéressé quand il y a du fond et je m'étonne à chaque fois par la manière dont le texte m'échappe, comment le lecteur s'approprie le texte.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

    • ah, c'est intéressant ta remarque, vu que j'ai écrit Ozone de manière quasi automatique.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Cp2

      petisaintleu

  • De la profondeur dans cette chronique fort bien écrite ...

    · Il y a plus de 7 ans ·
    W

    marielesmots

  • Excellemment écrit.
    J'aime ce parallèle entre l'ozone et la zone...

    · Il y a plus de 7 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

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