PARCHEMIN
Maud Garnier
Elles reposent, tel un parchemin usé d'avoir été trop déchiffré. Elles ont tenu toute une vie, un chemin parcouru jusqu'à l'usure, une écorce burinée par les années.
Si elles pouvaient raconter…
Les joies, les peines, le touché, les caresses, leurs adresses, leurs souplesses, leurs écarts. Oh, elles n'avaient pas eu leurs mots à dire lorsqu'elles étaient utilisées à tenir des outils, creuser des sillons, la nature se venge un jour d'avoir eu sa terre malmenée, les sillons sont marqués dans leur chair aujourd'hui.
Elles se sont jointes parfois pour rêver d'un paradis promis, plus clément, et lumineux, car ici-bas, elles n'ont pas déballé beaucoup de cadeaux. Puis, il y a eu Jeanne, la belle Jeanne, si douce à effleurer, toute en pleins et déliés, trouver un paradis sur terre avant l'heure funeste, est-ce pécher ?
Elles avaient exploré, soupesé les seins lourds, empoigné les larges hanches, suivi les courbes et les vallées offertes aux caresses. Quand elles avaient glissé un anneau à son doigt, il était là, le paradis !
Malgré le labeur, des années à aimer. Même au retour des champs, fourbu, Jeanne les embrassait, les embrasait et elles se faufilaient alors sous les robes légères.
Puis, un jour, elles avaient caressé un ventre arrondi sur une promesse. La vie reprend parfois les cadeaux qu'elle prête un instant.
Elles étaient bien malhabiles et maladroites pour porter cet enfant déjà parti rejoindre sa mère au paradis. L'enfer était dès lors sur terre quand il jeta des fleurs dans ce trou qui lui volait sa femme et son fils, réunis dans la mort.
Plus jamais elles ne se joindraient dans la prière, au contraire, brandies au bout d'un bras menaçant levées vers le ciel, elles insultaient les dieux et le destin cruel, défiant les soirs d'orages les éclairs zébrant le ciel qui refusaient de le terrasser.
Les larmes ruisselaient sur elles, les irriguant d'un puits sans fond. Après le désespoir, la colère, le cœur devint sec, plus de cataracte à verser, plus de corps à caresser, seul le travail de la ferme leurs restait familier, tant de fois répété : creuser, semer planter, récolter, prendre soin du bétail, scier le bois.
Les saisons couraient dans la courbe du temps. Elles soulevaient de plus en plus souvent des bouteilles de mauvais vins qui les faisaient trembler. Elles comptaient les écus gagnés « un sou est un sou », les cachaient sous les lattes du plancher. Ils n'auront rien de lui, ces neveux partis pour la ville et qu'il haïssait d'avoir délaissé, abandonné la terre.
L'arthrite déformait leurs articulations, transformées en racines sèches ou ceps de vignes noueux et douloureux.
« Plus bon à rien ! » Rageait-il parfois, s'emportant sur cette vie de misère passée à trimer, et pourquoi au final ? Finir malade, affaibli, désespérément seul.
Elles l'avaient bien secondées, toujours, sans repos… pour elles, plus de gestes tendres, sèches, ridées, creusées, tel un parchemin précieux et rare, qui aurait toute une vie à raconter, désormais inutiles, elles reposent jointes une dernière fois, les mains d'Edouard.
Triste mais... Tendresse sur cette vie dure! Grand merci !
· Il y a 8 mois ·Edouard (Astrov)
astrov
Merci Édouard
· Il y a 5 mois ·Maud Garnier
très beau, très réussi... au sujet des mains, j'ai rassemblé pas mal de choses chez pinterest: voir https://www.pinterest.fr/rechab/la-main-the-hand/ par ailleurs c'est quelque chose que j'aime bien dessiner, sous toutes positions, c'est très expressif dans le fait de tenir, pousser, soutenir, caresser, - et puis les fonctions qu'on leur donne ( prier, applaudir, ,montrer...etc)
· Il y a environ un an ·rechab
Merci Rechab, j'ignorais que tu dessinais, me suis abonnée à ta page Pinterest :-)
· Il y a environ un an ·Maud Garnier
merci... c'est d'ailleurs ma préoccupation première ( peindre, dessiner, ... et puis j'associe à l'écriture, comme dans certains posts sur https://artisstique.wordpress.com welcome !
· Il y a environ un an ·rechab
émouvant !!
· Il y a environ un an ·Patrick Gonzalez
Merci poète de me lire. Bisous
· Il y a environ un an ·Maud Garnier