Parsifal
roigoon
Parsifal
Parsifal est, pour moi, un nom magique tiré d'un opéra de Wagner. Pour des raisons que j'ignore, il a été donné à un pur-sang qui a joué un rôle extraordinaire dans ma vie. Aujourd'hui, entendre cette musique réveille en moi des souvenirs merveilleux et me projette vingt-cinq ans en arrière. Les larmes, que ces notes me tirent, sont autant de larmes de joie que de douleur car jamais je n'aurais imaginé pouvoir ressentir envers un animal autant d'amour et de reconnaissance.
J'étais jeune pilote à une époque où l'Afrique offrait aux aventuriers la chance d'accéder à des postes impossibles à obtenir par ailleurs. Pour moi, c'était un emploi de copilote dans une petite entreprise de transport de brousse. J'étais encore en phase de formation sur Antonov II, un avion mythique, dernier gros biplan monomoteur d'après guerre, que seul ce continent acceptait encore dans ses cieux.
La mission du jour était le transport d'un cheval de Niamey à Tombouctou. Un vol routinier de trois heures en grande partie au-dessus du désert. La seule difficulté était le manque de points de repères au sol. Le GPS n'existant pas à cette époque, la navigation se faisait à l'ancienne, à vue, à l'aide de cartes d'état-major. Joseph, mon instructeur, était un pilote très expérimenté. Un moustachu. Ce que l'on appelle dans le métier : un chibani. J'éprouvais à son encontre un mélange de crainte et d'admiration. Son caractère exigeant ne me pardonnait rien. On le surnommait dans son dos "Jobar", à cause de son amour immodéré pour les bars où l'alcool coulait à flot.
Le travail des membres d'équipage d'un avion de brousse était à mille lieux de celui des lignes régulières commerciales. Nous nous chargions de tout ; cela allait de la rédaction du plan de vol au plein de carburant en passant par la manutention et l'arrimage du cargo. Une formation à la dure mais oh combien idéale pour un apprenti comme moi. En général, les tâches salissantes et fatigantes étaient attribuées au copilote, prix à payer pour avoir le privilège de s'installer aux commandes d'un avion, aussi pourri soit-il.
J'étais en train de tracer méticuleusement notre route sur une carte lorsque le convoi se présenta à nous. J'étais satisfait car cette fois, la cargaison n'allait pas me casser le dos pour le restant de la journée. Notre "client", fut extrait de son Van avec soin. À voir la crainte des livreurs, on devinait la puissance de son propriétaire. Endormi pour le transport, l'animal était allongé sur une civière spécialement construite pour l'occasion. Ils n'étaient pas moins de six gros bras sous la conduite d'un toubab, un blanc, qui se présenta comme étant le vétérinaire responsable de l'opération.
J'étais, à cette époque, insensible à tout attrait animal. La beauté singulière de la bête ne me toucha point. Je me souviens tout de même de ce premier regard sur sa robe grise, tachetée de blanc, auréolée d'une longue crinière éclatante. Le soyeux de son crin trahissait un entretien méticuleux. Je compris que la valeur de notre cargaison dépassait probablement, une fois de plus, le prix de notre vieil aéronef. Son accompagnateur nous indiqua avec un fort accent belge que le cheval dormirait pendant tout le vol. Le sédatif administré devant faire effet au minimum six heures, nous étions larges. Dans tous les cas de figure, Barth, c'était son nom, nous accompagnerait pendant le voyage, au cas où…
Parsifal, inerte, fut introduit dans la cabine avec mille précautions. La porte étant trop petite pour laisser passer la civière, la manœuvre fut des plus délicates. Les cris de Barth envers les porteurs firent sourire Joseph qui me fit un clin d'œil de connivence. Le voyage allait être épique.
Une fois installé, le brancard prit tout l'espace de la cabine. Il restait juste une banquette pour l'accompagnateur. Nous devions enjamber l'animal pour rejoindre notre poste de conduite. Au moment ou je voulus attacher Parsifal, Barth s'interposa : "Hors de question, malheureux ! " cria-t-il.
Heureusement, Joseph prit mon parti et vint à la rescousse dans un langage peu diplomatique. Selon le manuel de vol, notre sainte bible, la charge devait être sécurisée ; fin de discussion. J'avais des efforts à faire pour me faire respecter si je voulais un jour devenir Commandant. Il faut dire que ma tignasse blonde et mon corps malingre m'enfermaient dans une prison de gamin grandi trop vite. Du coup, un peu vexé, le vétérinaire se rattrapa en me faisant un cours sur la méthode de transport d’un cheval. " Tu dois accrocher la corde au licol, une fois", l'entends-je encore me dire.
À cette heure matinale, la température dépassait allègrement les trente degrés. Barth installa une caisse de bouteilles d'eau à côté de lui, soit disant, pour rafraîchir son protégé. "Merci pour nous" marmonna Joseph dans sa moustache
L'envol se passa sans incident, si ce n'est le bruit de fin du monde de l'énorme moteur à pistons et cette odeur insoutenable d'huile de vidange. Il fallait avoir le cœur bien accroché et une constitution hors du commun pour supporter cette énorme chaleur. Malgré tout, j’étais heureux. Je volais.
J'avais le nez dans la carte alors que Joseph maintenait le cap de l'avion. Nous échangeâmes nos premiers mots en vol de croisière, quand le régime moteur nous le permit. Je me tournai vers Barth. Il me sourit, enfin détendu. Il me tendit une flasque de whisky que je refusai d'un signe de tête. Joseph, lui, s'en saisit et s'en envoya une longue rasade. "Jobar" dans ses œuvres, pensai-je. J'évitai de me déconcentrer, devant assurer la navigation. Je craignais de nous perdre car il y avait peu de points remarquables. Les croisements de route ou les villages étaient rares.
Nous survolions des successions de déserts, par moments caillouteux, parfois sablonneux. La planète Terre nous offrait ce qu'elle avait de plus sauvage. Les paysages étaient époustouflants. La palette d'ocre, étalée sous nos yeux, aurait fait pâlir d'envie tout marchand de couleur. De temps en temps, des oasis aux vallées verdoyantes rehaussaient le tableau d'une touche de fraîcheur.
Au bout de deux heures, J'entendis un bruit inhabituel. Derrière moi, Parsifal avait les yeux grands ouverts. Il me fixait d'un regard étrange. Barth dormait à poings fermés. Je fis signe à Jobar qui s'en amusa.
- Suis ta « nav » Gamin ! Tu t'occuperas de tes passagers quand tu seras Commandant d'un Boeing, me dit-il d'un ton moqueur.
Il n'eut pas le temps de finir que l'animal se leva brusquement. Sa tête heurta le plafonnier. Il était plus grand que je ne l'imaginais. Il se mit à hennir en tirant sur son licol. Barth se réveilla et se précipita d'un bond. Mal lui en prit ! Il reçut un coup de sabot en plein visage qui lui fit perdre connaissance.
Sans protection, il était à présent à la merci de l'animal en furie. Les hennissements aigus traversaient nos casques écouteurs. Je remerciai en silence Adrien, le mécanicien, qui m'avait appris à faire des nœuds d'arrimage résistants à toutes épreuves.
La situation était préoccupante et j'essayais de lire dans les pensées de Joseph. Il luttait pour maintenir l'avion en ligne de vol. Les mouvements brutaux du cheval nous faisaient tanguer dangereusement. Il n'y avait pas de terrains alentours où nous pourrions nous poser afin de libérer l'animal. Quand bien même, pour évacuer l'avion, nous aurions dû traverser la cabine pour rejoindre la seule porte d'accès qui se trouvait à l'arrière. Je réalisai avec horreur que cette issue était trop petite pour que la bête s'échappe par elle-même. Autant traverser un corral avec un animal fou à l'intérieur. Le piège s'était refermé.
Barth recevait régulièrement des coups de sabot. Il saignait de la tête. Il y avait urgence.
- Joseph, il faut faire quelque chose. Le Belge n'a pas l'air bien.
- Écoute Gamin, j'ai pas la moindre idée de ce que nous pourrions faire. C'est la première fois qu'une chose pareille m'arrive. Putain de "canasson" ! Tiens ! Prends les commandes un instant que je m'essuie.
Je m'exécutai et réalisai la difficulté de piloter. C'était comme si nous étions dans une coquille de noix au milieu de l'océan en pleine tempête, avec en prime, un lourdaud qui sautait dans tous les sens.
Joseph se tourna vers la cabine et se mit à crier pour essayer de dompter l'animal devenu fou. Mais Parsifal n'était pas un vulgaire chien. Il faisait partie de la race des seigneurs et nous le fit savoir à sa manière.
- Putain, il a cassé un hublot, me cria Joseph, s'il continue, il va nous envoyer au tas.
Je n'avais jamais rencontré de situation aussi stressante. Moi qui avais une grande confiance en mon instructeur, elle s'amenuisait peu à peu.
- Quoi qu'il arrive, garde l'avion en ligne de vol, me dit-il en détachant son harnais.
- Que fais-tu ? criai-je.
Il passa à l'arrière et tenta de ramener le corps de Barth vers l'avant. Malheureusement, l'animal l'en empêcha. Il l'envoya bouler d'une ruade. Cette fois, l'armature autour de laquelle il était attaché céda, emmenant avec elle quelques tuyauteries. L'avion embarqua à gauche sans que je puisse le récupérer.
- JOSEPHHHH…
Le commandant s'engouffra dans le cockpit et se jeta sur le manche. J'ai les commandes, hurla-t-il, sans même prendre le temps de s'attacher. Il réduisit les gaz et utilisa le palonnier pour reprendre le contrôle de l'appareil.
- Cette sale bête a rompu le câble des ailerons, je n'arrive plus à contrôler ce foutu avion, me dit-il avec effroi. Aide-moi à maintenir l'assiette.
Dessous, les dunes de sable se rapprochaient inexorablement. L'équilibre était instable et l'avion volait avec peine.
- Prépare-toi à un atterrissage forcé.
Je serrai mon harnais jusqu'à ce qu'il m'empêche de respirer.
- Essuie-moi, poursuivit-il.
Son arcade sourcilière saignait abondamment gênant sa vision. Je m'exécutai à l'aide de mon sac à casque. Je tremblais comme une feuille
- Je vais essayer de me poser entre ces deux dunes, là.
Ce fut ses derniers mots. Cette phrase hante encore, parfois, mes pires cauchemars. Je me souviens avoir eu une pensée fugace pour ma mère qui allait apprendre ma mort avant de recevoir cette longue lettre que je lui avais postée l'avant-veille.
J'étais agrippé au volant. Braquées à fond, les commandes étaient en butée. L'avion continuait de pencher et de descendre. C'était la fin. Le train d'atterrissage heurta le haut d'un monticule. Le choc fut extrêmement violent. Je me vois encore être projeté en avant dans un bruit terrifiant, puis, plus rien.
Des hennissements lugubres me réveillèrent. Mon corps était accroché au harnais de mon siège, la tête en bas. Il me fallut quelques secondes pour reprendre mes esprits. J'appelai Joseph sans obtenir la moindre réponse. Une odeur de brûlé finit de me réveiller. L'instinct de survie probablement.
Je me décrochai et m'extirpai à quatre pattes de l'amas de ferraille. Ce fut facile car derrière le cockpit, un trou béant m'offrait un passage vers la liberté. L'avion était coupé en deux. À vingt mètres, le reste du fuselage commençait à brûler. Parsifal, debout sur ses jambes, tirait de toutes ses forces sur sa longe qui était coincée autour d'une poutrelle tordue. Il semblait indemne. Un vrai miracle.
Sans réfléchir, je m'approchai en traînant la patte et coupai la corde avec mon couteau. Immédiatement, il s'échappa au triple galop, crinière au vent, libre. J'aperçus le visage sans vie de Barth qui crissait sous l'attaque du carburant enflammé. Une vision d'horreur.
J'avais très mal à la poitrine et ne pouvais pas m'appuyer sur la jambe. C'est presque en rampant que je m'éloignai. Je découvris soudain Joseph qui avait été éjecté. Son corps désarticulé gisait à quelques mètres de là. C'en était trop ; je m'évanouis.
La nuit était tombée quand je revins à moi. Une matière chaude et humide se frottait sur mon visage. Je fis un écart en arrière et reconnus le mufle de Parsifal. Le maudit cheval avait recouvré son calme. Il hennit comme s'il voulait me dire quelque chose. Rien n'avait bougé autour de nous. La lueur envoyée par la pleine lune découpait les débris de l'appareil en sculptures fantomatiques. Le feu était éteint, le silence assourdissant. Le cadavre de Joseph gisait toujours à trois pas de moi. J'étais déshydraté.
À cloche-pied, je me rapprochai du poste de pilotage, masse de métal démantibulé posée sur le dos comme une offrande faite au sable par le Dieu Eole. Je récupérai une lampe de poche et ma gourde. Parsifal me regarda boire et remua la tête de haut en bas. Je lui fis signe de s'approcher et creusai ma main dans laquelle je versai un peu de liquide. Sa grosse langue me chatouilla.
- Doucement, murmurai-je. Il va falloir que tu m'aides, je ne peux pas marcher et personne ne viendra nous chercher par ici.
J'eus l'impression qu'il me comprenait.
Avec un accoudoir, je me confectionnai une attelle. Heureusement, la trousse de secours était stockée à l'avant de l'appareil et je pus me soigner tant bien que mal. Mes côtes me faisaient énormément souffrir, encore plus que ma jambe cassée.
Au loin, l'aurore pointait, gommant de sa douceur les milliards d'étoiles, seules témoins de mon désespoir. J'anticipai déjà la direction à prendre pour trouver du secours. En me dirigeant vers le sud, j'avais des chances de tomber sur un village.
Je fis le point sur ce qui était encore utilisable. La ration d'eau de Joseph n'était presque pas entamée. Je ne pus m'empêcher de sourire tristement. L'aversion du commandant pour l'eau allait probablement me sauver la vie. Les bouteilles de Barth, elles, avaient fondu. D'ailleurs, tout ce qui était à l'arrière de la partie arrachée avait brûlé. J'eus un haut-le-cœur en voyant la masse noirâtre de ce qui restait du vétérinaire. Pauvre vieux ! Il était urgent que je parte. Cette vision n'aidait pas mon moral déjà au plus bas.
Je rassemblai le tout dans mon sac à casque, encore humide du sang de mon ancien compagnon. Avec une corde, je confectionnai une bride que j'attachai au licol du cheval. Parsifal resta docile. Je lui expliquai ce que je comptais faire, sans trop y croire.
J'attirai la monture devant le nez de l'avion et grimpai sur le moyeu de l'hélice. Je n'avais jamais fait de cheval de ma vie. Le plus délicatement possible, je m'assis sur son dos. L'animal fit quelques pas de côté mais n'essaya pas de me désarçonner. Je récupérai mon équilibre en me serrant à son cou, ce qui m'arracha un cri de douleur vite ravalé ; ce n'était pas le moment de l'effrayer. Une fois rassuré, je récupérai mon assise, arrangeai le sac de survie, et frappai gentiment les flancs de la bête.
Parsifal se mit en route. Il avait compris. D'un pas lent, il s'éloigna du lieu de l'accident.
- C'est bien mon cheval. Trouve-nous de l'aide, lui dis-je le cœur empli d'espoir.
Le soleil déployait ses premiers rayons et m'offrit un paysage grandiose. Pour la première fois, je réalisai combien notre équipage semblait minuscule dans cette immensité. Au loin, dans le ciel d’une pureté originelle, la traînée d'un avion de ligne zébra l’azur. J'imaginai, à l'autre bout de cette immense rature blanche, mes parents. À cette heure-ci, ils devaient se réveiller dans leur pavillon d'Argenteuil. C'était l'heure où ma mère préparait le café de mon père avant qu'il ne parte à l'usine. Mes rêves de réussite étaient aussi les leurs. Je me devais de ne pas les décevoir.
Depuis combien de temps avancions-nous, je ne saurais le dire mais les dunes de sable avaient laissé place aux chemins rocailleux. Le soleil brûlait. J'avais attaché ma chemise autour de la tête. J'avalais à intervalles réguliers quelques gorgées d'eau en la partageant avec ma monture. J'avais trouvé un stratagème en remplissant un quart métallique que je lui tendais à bout de bras. Parsifal y trouvait son compte, moi aussi car j’avais la hantise de quitter son dos réconfortant.
Lorsque mon compagnon trouvait un peu de végétation, il s'arrêtait pour arracher quelques herbes qu'il ruminait avec appétit. Nous avançâmes comme ça, à petite vitesse.
Un peu avant la tombée de la nuit, Parsifal trouva de l'eau. Un petit ru autour duquel la végétation semblait plus dense. Je mis pied à terre en m'affalant. Mes jambes ne me portaient plus. Mon corps n'était que douleur. Je restai allongé sur le dos, la tête dans l’herbe. La fraîcheur du lieu me fit le plus grand bien.
Ma jambe était violette. Je défis mes pansements pour en refaire d'autres. J'avais faim. Il me restait un demi paquet de "Choco Prince". Ces biscuits secs au chocolat prirent à mes yeux plus de valeur qu'un kilo de caviar.
Parsifal paissait paisiblement ; il avait trouvé son paradis. Je découvris à ce moment-là qu'une de ses jambes saignait. Il ne se plaignait pas, lui. Il se laissa soigner courageusement.
- Ne te sauve pas l'animal, lui dis-je, ce n'est pas le moment de me laisser tomber.
Comme la fatigue s'emparait de moi, je restai allongé la tête dans les étoiles. Je revoyais en songe mon frère, mes amis, nos virées au centre commercial, nos soirées au "pacha club", ces filles "d'une nuit". Je réalisai soudain tout l'amour qu'elles m'avaient donné. Amour réconfortant qui me faisait grandement défaut à présent. Pour passer le temps, je tentais d'associer un prénom à leur visage. Les reverrais-je ?
Mes proches enviaient tous la chance que j'avais de quitter la région parisienne, la chance de faire ce dont je rêvais depuis ma plus tendre enfance. Je me mis à prier. Pas Dieu car j'étais incroyant, mais Saint-Exupéry, mon maître. Je le suppliai de revoir ceux que j'aimais. Parsifal s'approcha de moi et m'offrit son souffle réconfortant. Il devait aimer le sel de mes larmes car il me lécha le visage. La fièvre, la fatigue, la douleur, le désespoir, avaient eu raison de moi.
Le lendemain, il était toujours là. Heureusement car je crois que je me serais laissé mourir. Cette fois, c'est à l'aide d'un rocher que je me hissai jusqu'à lui. Il avait parfaitement compris son rôle d'ambulancier. J'aurais juré qu'il faisait tout son possible pour m'aider… À sa manière.
Notre voyage reprit avec, pour ma part, la certitude que c'était la dernière étape. Dans un accès de conscience, je m'attachai autour de son cou avec le reste de corde, mon visage noyé dans sa crinière. La fièvre me fit perdre connaissance de nombreuses fois. Je n'avais plus la force de boire. Cette brave bête continua son chemin avec un courage hors du commun.
Le souvenir marquant de cette fin de journée fut le visage de ces deux enfants qui me dévisageaient. J'étais sauvé. Parsifal était à l'arrêt comme s'il attendait qu’une âme charitable vienne le décharger de son embarrassant fardeau. Une agitation rassurante se forma autour de moi. Je me laissai faire, ma propre survie étant plus importante que tout le reste. J’oubliai très vite – trop vite – celui qui m’avait sauvé. Il était certes responsable de ce crash mais était-ce vraiment sa faute ? Cet avion était-il le meilleur endroit pour lui ? N’étions-nous pas, nous, les hommes, la principale cause de cet accident?
Je ne savais pas encore que mon plus grand regret serait de ne pas lui avoir dit merci. J’étais probablement trop faible pour deviner que c’était la dernière fois que je le voyais. Son image m’habite encore et chaque fois que je croise un cheval, je ferme les yeux, hume cette odeur rassurante et pense à lui.
Aujourd'hui, lorsque je survole le Mali, à douze mille mètres d'altitude, aux commandes de mon Boeing 747, je ne peux m'empêcher de revivre cette aventure. Je saisis au fond de ma sacoche de vol le talisman qui ne me quitte jamais lorsque je pars en courrier : ce vieux sac maculé de sang séché autour duquel pend un morceau de corde. Il me protège, j’en suis sûr. Le copilote, penché sur sa tablette électronique, ne remarque rien ; ni mon silence, ni même l'humidité de mon regard qui sonde l'immensité sous nos pieds. Je sais que l'âme de Parsifal flotte au-dessus de ces contrées. Je sais qu'il veille sur moi.
Très beau récit qui ne manque pas d'émotion, un peu frustré moi aussi de ne pas connaitre l'histoire et le devenir de Parsifal... félicitations, j'ai moi même participé et été "nominé" (mention spéciale) c'est pas si mal ;)
· Il y a plus de 11 ans ·legil
Je ne connais pas la part autobiographique mais j.ai aime ce parsifal . J.aurais aimé savoir ce qu.il est devenu ... En tout cas, un très beau voyage
· Il y a plus de 11 ans ·irenemoi