Pas de Menu, juste le désert

stockholmsyndrom

Devant moi s'étend l'inconnu, l'infini térrifiant, immense tapis bosselé, j'entends chuchoter le vent, ses menaces qui glissent sur la robe du no man's land, devant moi s'étend le désert sous la lune, calme et silencieux, celui qui gobe les âmes dans la nuit noire, celui de la Camilla de Fante, celui de Walter White et de ses inavouables secrets, celui qui grouille de cadavres de Cartels Mexicains, celui des western, des moustaches, des Colt et de Sergio Leone, un bout de rêve Américain en somme, je peux ressentir tout ça en une bouffée d'oxygène. Un mélange de peur et d'excitation s'empare de mon esprit, je suis Christophe Colomb, affamé d'aventure, comptant bien braver le danger de l'immensité et de la nuit. Et puis je commence à douter, Colomb avait un but précis, sa terre promise, il n'en existait pour moi en ce bas monde, moi qui était juste affamé. J'avais lu Fante et le triste sort de Camilla, je me suis dis au fond, la pauvre fille, c'était qu'une gourde de camée fébrile et désespérée, moi, je suis un homme, un vrai, rempli d'espoir et de trippes, doté de robustesse et de couilles, quoi d'autre, c'est pas un petit bout de plage qui aura ma peau. Alors je cède à mon excitation et me fais pousser par je ne sais quelle pulsion auto destructrice dans le danger, si ça craint je ferais marche arrière.

C'est pas si méchant en fin de compte, il y a un léger vent glacial, rien de mortel. Petit à petit le décor alentour s'efface, les traces de civilisation que j'ai laissé derrière moi rétréssissent un peu plus à chaques nouveaux pas, avant de définitivement se faire avaler par la nuit. Point de non retour. Alors tu fais quoi Colomb maintenant? Je panique pas, je continue de marcher entre les premiers cactus montrant leurs têtes. L'horizon est sombre, la lune a bel et bien l'air d'être mon seul allié dans ce vaste bocal de rien. Le vent quant a lui prend un malin plaisir à soulever les amats de poussière pour me les envoyer dans les pupilles, il est froid et vicieux, me harcèle, sa montée en puissance commence à me faire frissonner, je sens maintenant l'épuisement venir infecter mes jambes. Ça sent pas bon, le périple pourrait bien tourner au vinaigre, je me vois déjà tomber de fatigue et crever là, dans le silence de la nature comme un vulgaire animal blessé, avalé par le désert, sans que personne sur ce cailloux minable ne sois rongé d'inquiétude, non, pas d'alertes, pas d'enterrement, même pas un foutu avis de décès dans le journal du coin, juste l'oubli, juste un cadeau du ciel offert aux vautours affamés quadrillant le secteur, mon nom allait s'effacer, recouvert par les ténèbres, sans jamais être cité dans un bouquin d'histoire, un dictionnaire, même pas une foutu étoile qu'on piétinerait sur Hollywood Boulevard, sans même reposer au Panthéon, nada, l'échec, merde alors, j'avais peu être eu l'ambition trop haute, équivalente à celle d'un mec d'un mètre cinquante rêvant de l'or Olympique au triple saut, mais quant bien même, crever dans le désert c'est pas une vie! Alors je continue de lutter en pensant à l'histoire, que j'allais pas priver d'un formidable chapitre, entre autre, puis à d'autres conneries burlesques prenant forme, sûrement due à la fatigue, je lutte, les poings sérrés, je lutte et vois au loin un éclat lumineux fendre la nuit au beau milieu de l'obscurité, comme un bon vieux remake universel de la vie, l'espoir qui justifie la peine, l'âne et la carotte. Je me demande si tout ça est bien réel, puis un autre faisceaux lumineux jaillit, puis encore un autre. Je suis à quelques centaines de mètres d'une route. Petit désert tout riquiqui. À demi sauvé et rassuré, je m'arrête pour faire une pause, reprendre un peu mes esprits, mon souffle. J'observe autour de moi. Un deuxième foyer lumineux surgit dans mon champs de vision, cette fois ci immobile et bien plus proche. La civilisation putain! Ça y ressemble fort. Je m'avance vers la lumière -Amen- et de plus prés je peux apercevoir des formes bien distinctes. Je me tiens devant une ferme. En face de celle ci trône une maison, certainement celle du fermier. Je savais bien que l'histoire n'aurait pu se passer de moi, au diable les vautours, au diable Dieu! Mon cœur reposera au Panthéon!

Je décide de contourner furtivement la grange afin d'y entrer, à l'abri des possibles regards venant de la maison d'en face.

L'énorme porte battante est entre-ouverte, alors je rentre.

Là dedans c'est le paradis, du foin, du foin, du foin et du foin! Auberge improvisée pour marcheur épuisé. Je m'étale dans la paille, ferme les yeux, je réussi à pioncer, du premier coup.






Je me reveille au petit matin, avec le chant d'un coq que je qualifie d'assez matinal, avec mes mots à moi.

Les rayons de soleil qui parviennent à s'infiltrer entre les brèches de la toiture boisée viennent doucement me caresser le visage, qui a dit que le monde était violent, c'est divin et je voterai bien pour une grasse matinée. Mais faut pas que je traîne, les fermiers ont une réputation de lève tôt.

Je m'étire comme ces branleurs de chats qui n'ont jamais à se soucier de rien, à peine le temps qu'il faut pour qu'un bruit hostile vienne m'agresser les oreilles, et là, je commence sérieusement à me bouger. La région jusqu'à présent m'a parue hostile, aucunes particules de sérénité dans l'air, j'avais parfois l'impression d'être Mesrine, le tueur de Kennedy, un Juif en 42, les trois mélangés, l'impression d'être un innocent en cavale, et en cavale, la discrétion est le maître mot. Le bruit persiste, s'approche de plus en plus et moi, j'en mène pas si large que ça, il faut que je vois ce qui se trame. Je repère une faille dans la charpente et observe au dehors :

Au rebord de la grange se tient un tout petit bonhomme torse nu, du genre latino moustachu tout droit sorti d'un cartoon, il conduit une enorme machine au bruit d'enfer. Le convoi passe en dessous de mes yeux, longeant la grange en quelques secondes, juste le temps pour moi de me rassurer. Je regarde le moustachu s'éloigner en tremblant de tout son corps chétif au rythme des vibrations du tracteur. Il contourne la grange puis s'efface. Ouf. Je suis soulagé, je suis transparent, je suis Arsène Lupin ouais! Puis s'il s'avére qu'on me découvre, j'ai juste à balayer d'un revers de main ce Mariachi au corps d'enfant, le boss ici, c'est moi.

La voie est libre. J'en profite pour me bouger, me secoue, faut au moins ça quand on dors sur la paille, puis me dirige vers la sortie. Devant la grande porte en bois pourri, j'observe les alentours de par les innombrables trous qui se présentent à moi :

La maison est en face, à vingt pas environ, vieille bâtisse blanche et massive, imposante mais plutôt charmante, le fermier a plutôt l'air de vivre au dessus du seuil de pauvreté en vigueur dans le coin, et ça ça fait de suite écho dans ma tête, la maison d'un paysan c'est forcément bourré d'un tas de bouffe en tout genre, qui plus est riche, c'est forcément bourré de pleins de trucs en tout genre. Il y a là des fenêtres partout sur la façade, et j'ai aucune idée du nombre de gens composant la tribu du moustachu : Vivait-il seul? Avec sa vieille mère atteinte de Parkinson? Était-il célibataire? Polygame? Très fécond? Polygame et très fécond?

DOUTE.

Combien d'yeux derrière ces vitres poussiéreuses, combien d'alarmes humaines? Détaler là en plein milieu, c'est jouer les kamikazes, dans un sens, c'est pourtant ça mon plan, foncer tout droit comme si j'étais sur une plage de Normandie un matin de Juin 44, après place au freestyle, à l'impro, libre court à mes jambes de s'exprimer pleinement, Je chasse Lupin de mon esprit, j'ai trop faim.

Je remarque un appentis trônant sous un troupeau d'arbres sur l'aile gauche de la maison. Ça me ramène aux bons souvenirs de ma mère exposant délicatement ses conserves comme des œuvres d'art sur les étagères du garage de la maison, ouais, c'est certain, cet appentis c'est l'El Dorado! depuis combien de temps je n'ai pas mangé de viande, j'en ai même oublié le goût, moi qui, pour lutter contre le cannibalisme, me tapait à l'occasion des demi sandwichs plus fades que le plus fade des sandwiches SNCF de mon vieux pays. Il faut que je mange avant de voir des steacks saignants à la place des têtes des passants que j'allais croiser dans les rues de mes futurs homicides.

Je décide de me lancer.


J'enre ouvre doucement la porte pourrie.


Une fois cette dernière assez ouverte pour pouvoir y propulser mon corps, je coupe l'air en deux! Bim, en quelques secondes je suis devant la caverne d'Ali Baba. Je patiente deux minutes pour voir si quelque chose dans les environs.


Silence radio. Tout ce cinéma pour ça.


Je pousse la porte et entre.



Il fait assez sombre et j'ai du mal à distinguer les formes, mais dès lors ou je commence à avancer dans la pièce, je peux apercevoir devant moi une masse rectangulaire prenant la quasi totalité de l'espace de la pièce, elle est entièrement recouverte d'une bâche grisâtre, certainement une voiture, le doute n'est pas permis.

Sur ma droite se tient une porte faisant indéniablement la liaison entre la maison et le garage, va falloir rester vigilant.

Dans le fond du garage, sur tout le pan de mur, il y a des étagères, je savais bien que ma mère était une source d'inspiration à travers le monde entier. Quand je les vois je m'empresse de contourner la voiture pour les rejoindre. Des rideaux qui cachent le graal, je suis le gosse devant le sapin de noël. Le rideau tombe et je découvre des conserves empilées les unes sur les autres, on peut y voir les manchons de canard se baigner dans la graisse, et c'est bien la première fois de ma vie que je désire d'autres cuisses que celles des filles qui bourgeonnent dans les rues. Il n'y a rien d'autre que des manchons, en vitrine et dans ma tête, c'est pas vraiment l'étalage de ma vieille mais j'en ai que foutre, je leurs auraient même mangé les palmes et le bec, ces foutus canard, j'ai envie de les ouvrir là même et les dévorer mais c'est trop risqué, quelqu'un pourrait arriver à tout moment, faut vraiment que je me sauve. Seulement voila, une trentaine de cuisses et mes deux bras, je suis en infériorité numérique.



Alors me vient une idée géniale.



L'idée de voler la voiture.



Idée plaisante sur le papier, enfin un moyen de locomotion, pourquoi j'y ai pas pensé plus tôt, je me vois déjà parcourir les routes de l'Ouest en crachant des os nettoyés par la vitre tout en gueulant des refrains des Doors, common baby ligth my fire! tendant des doigts d'honneur aux voitures que je doublerai, un genre de road trip de sauvageon, oui, c'est là la meilleure idée que j'ai pu avoir depuis bien longtemps.

Je fais délicatement glisser la bâche de la voiture jusqu'à ce que cette dernière soit entièrement nue. Sacrée anatomie! Devant moi flotte dans un paisible sommeil une magnifique Ford Torino, assez vieille, des années seventies à vue d'œil. Je suis pas un aficionados de voitures, ça ne m'a jamais intéressé de polisher des morceaux de ferrailles pour les faire se pavaner dans les centres villes ruisselant de monde, je suis pas vraiment un être attribuant de l'importance à l'avoir, mais cette voiture là, elle a quelque chose de mystique, elle est longue et élancée, élégante, sobre et agressive à la fois, j'ai l'impression qu'elle me parle, c'est un classique, qui inconsciemment ravive en moi les souvenirs de quelques films vus à la télévision. Je la reconnait grâce a l'insigne placée sur la grille du radiateur, ce taureau robuste, la tête baissée, semblant charger agressivement l'air innocent, cest insigne là, je l'ai déjà vue dans un Clint Eastwood. Bon, en vérité, elle est dix fois moins classe que celle de ce bon vieux Clint, on dirait plutôt celle de Starky et Hutch, en beaucoup plus malade, néanmoins, elle est séduisante et je suis persuadé que c'est un genre de voiture de collection, enfin peut être, j'en sais trop rien, en tout cas, si Moustache l'a mise ici sous une bâche, c'est qu'il doit sûrement y tenir. Cerise sur le gâteau, elle posséde un toit ouvrant, la Miss est décapotable, je suis sur le point de chevaucher une mythique décapotable Américaine, à peu prés tous les ingrédients d'un bon film Hollywoodien et j'en suis le scénariste. La peinture rouge semble avoir été vive autrefois, elle porte l'usure du temps, cette créature a l'air d'être arrivée à l'age mur, une MILF plutôt attirante qui semble bien me faire la cour, m'invite à pénétrer en elle. Ne vous inquiétez pas, j'ai laissé son pot d'échappement tranquille. J'ai regardé l'intérieur, pas une miette, pas le moindre morceau de cuir déchiré, l'intérieur est comme neuf. Je suis excité. J'attrapela poignée en espérant que la porte ne soit pas verrouillée et l'espérance porte ses fruits, click, la porte s'ouvre devant moi.

Les clefs sont sur le contact, c'était plutôt inespéré mais elles sont bien là, quand les bonnes nouvelles s'enchaînent... Moustache est peu être étourdi de naissance, ou peut être fait il tout simplement partie de cette race de gens imperméables à l'inquiétude, bref, dans tous les cas, moi, je suis sur le point de lui prendre sa caisse et ses canards, désolé vieux, on a qu'a mettre ça sur le compte de l'instinct de survie, welcome to the jungle. Je repart vers les étagères et commence à charger la nourriture dans la voiture en évitant le moindre bruit. Ensuite je monte dans la Torino, ferme délicatement la porte et pousse un grand ouf de soulagement. Je suis calme et décontracté, et j'ai pas le moindre sentiment de gêne quant à me barrer avec le bien d'autrui, j'en tire même une certaine satisfaction, je me prends vraiment pour Lupin tout compte fait et puis quoi, c'est un fermier, de la volailles et des canards, c'est pas ce qui doit lui manquer alors je vire Lupin, moi, c'est Robin des bois, mais celui des temps modernes, chacun sa merde. et la voiture ? Non, ma voiture ! Si ça se trouve, je me serai présenté, je lui aurai montré ma dégaine, l'état de mes pauvres pattes, il m'aurai pris en pitié c'est certain, il me l'aurait filée sa voiture non? Non, bien-sûr que non, qu'il aille se faire foutre.

Je met la main sur la clef que je tourne doucement. La batterie se met en route. Je suis sur le point de faire le dernier quart de tour pour allumer le moteur quand j'entends, comme si se manifestait au dernier moment la bonne conscience de ce monde pour m'empêcher de faire ce que je m'apprêtais à faire, un grincement lent venant me glacer l'épiderme tout entier. Ça viens de la porte. Je suis bloqué, tétanisé et n'arrive pas à tourner la tête, je suis figé, une main sur le volant, l'autre sur le contact et regarde droit devant moi.


Le bruit s'arrête et relaisse place au silence. Une goutte de sueur longe ma tempe, le monde s'arrête de tourner. Je tourne lentement la tête, jusqu'à pouvoir la voir :



Elle est debout sur le seuil, à quelques pas de la voiture.

Elle a à peu prés cinq ou huit ans, haute comme trois ou six pommes, a peu près, j'ai du mal à me faire une idée. Sa peau est lisse et bronzée, elle n'a pas de moustache mais il ne me faut pas trois secondes pour faire un lien d'en parenté probable avec le conducteur du tracteur. Elle porte une longue robe de chambre blanche qui lui arrive presque jusqu'à ses petits pieds nus, ses longs cheveux noirs reposent sur ses épaules, ça fait très film d'horreur, mais à la vue de son doux visage les démons s'évaporent, elle a les joues pottellettes, on dirait un ange. Dans ses bras, y'a un doudou, une sorte de peluche un peu abîmée, elle l'a colle contre sa poitrine, comme pour bien faire comprendre qu'elle se fout royalement de moi mais que s'il arrivait quelque chose à sa peluche, ça pourrait éventuellement chauffer pour mon matricule. Elle m'observe un long moment, je fais de même. Le silence est assourdissant. Ses yeux sont des billes qui n'expriment ni peur, ni surprise, elle est juste là, spectatrice d'une scène qui a l'air de l'indifférer. Je me dis alors que je n'ai pas grand-chose à craindre en la regardant. Je tourne le dernier quart de tour qui manquait au contact pour allumer le moteur, la Torino se met à ronronner, on peux entendre son envie démesurée d'avaler du bitume.

La fillette ne bouge pas d'un cheveux.

Je tend mon index que je viens poser sur mes lèvres avant de pousser un long chuuuuuuuuuuuuuut, la petite ne change pas d'humeur, stoïque et détachée de la situation. Elle pose à son tour son micro index sur ses micros lèvres, et souffle le plus long et mélodieux chuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut du monde. J'en ai jamais entendu la fin. J'écrase la pédale d'accélération viens fracasser la porte du garage. Je me retrouve dans la cour, passe la seconde, prend violemment à droite avant de reprendre l'accélération et de venir fendre le décor en deux.



Je regarde dans le rétroviseur.

Un épais nuage de poussière tourbillonne derrière moi.

Je fonce droit devant pour quitter le desert, retrouver le goudron, je fonce droit devant pour un autre ailleurs, direction nulle part.

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