"Petit frère"
hecate_xiii
Je l'ai rencontré lui parce qu'elle est morte, elle. Céline, l'une de mes meilleures amies de collège.
Quatre dans une voiture et c'est elle qui a écopé de la plus lourde peine .
Les autres ont eu des poignets foulés ou des jambes fracturées.
Elle, y a perdu ses connexions neuronales et on l'a fait doucement s'en allée.
J'en ai toujours voulu à la vie de ne pas avoir mieux réparti les séquelles. C'est une autre histoire, c'est une autre actrice de ma vie, l'une de mes premières grandes douleurs se cache derrière elle.
Lui, dans une post adolescence rebelle et chaotique, voulait traquer son meurtrier involontaire. Il n'attendait que moi pour désamorcer sa colère.
On s'est trouvés à trois dans la cour du lycée à se la remémorer. On la connaissait mais de milieux différents, de groupes opposés. On la connaissait mais sans jamais s'être croisés.
Ça a commencé comme ça entre nous. Il faisait beau, on était jeunes, on avait mal. On a réussi, avec l'aide du temps comme toujours, à passer à d'autres sujets plus banals.
Il était grand, massif. Mais à l'intérieur il était perdu, il était fragile.
Je ne me rappelle plus comment ce lien s'est consolidé. Mais il a survécu aux bifurcations de routes, aux changements d'établissements, aux différentes orientations. J'étais peut être traumatisée de cette prématurée disparition.
Tous les jours je croisais la cadette de Céline au lycée et tous les jours je lui répétais :"Il faut que j'appelle ta soeur ce soir". Trop tard. Je n'ai jamais pu lui reparler.
Alors j'ai commencé à prendre des nouvelles de mes proches régulièrement. Je prevenais ainsi tout regret s'il se produisait un accident. Je les "protégeais" ainsi comme un talisman. Si on se préoccupe des êtres aimés les anges leur laissent un sursis. Peut être que c'est pour ça, au début, en tous cas, que je me suis accrochée à lui.
Il avait une mémoire d'elle, il la faisait un peu survivre, c'était donc un morceau d'elle.
Et puis la post adolescence c'est là où on se construit. On trouve une identité et les amis qui vont avec. On se fait un clan, un cocon où on nous comprend à demi mot. Sans jugement. C'est rassurant. C'est reposant.
Il venait me chercher à l'école supérieure sous les regards médusés de mes "chères" camarades manucurées, collets montés, "conformisées". Vous ne me connaissez pas vraiment mesdemoiselles! On ne partage qu'un seul bout de monde et notre future activité professionnelle n'en est pas la plus grosse part. Ça aussi c'est une autre histoire...
Il s'est lié d'affection avec mon premier grand amour alors il est resté dans mon univers. Et il est passé du statut d'ami à celui de "petit frère". Celui qui partageait mon sang s'évertuant à me tenir le plus éloignée possible de son chaos. Mais ça aussi c'est une autre douleur que j'emporterai au tombeau.
Il a donc squatté notre canapé lorsqu'il y parvenait, à quatre pattes, après une soirée arrosée. On l'a soigné lorsque son visage a croisé quelques éclats de verre brisé. Il faut dire que, dans un de ses coups de sang légendaires, papa avait quand même fini par traverser un panneau de verre. On n'a pas tout compris mais on lui a servi une bière.
On a pansé son coeur, on l'a bordé et le matin j'allais le réveiller à ma façon: prise d'élan, fosbery sur le lit, "Rominou !!! C'est l'heure du petit déjeuner !!!!".
Rominou... Il est grand, il est fort mais c'est mon petit frère d'âme. Tous mes amis ont leur surnom propre. Ridicule si possible. Ça n'est pas voulu. C'est juste mon coeur qui parle.
Lui de son côté faisait muraille autour de mon agoraphobie en concert. Il fut un rocher de loyauté quand j'ai perdu mon père.
On s'est disputés un jour. Enfin non. J'ai juste arrêté de lui parler après l'une de ses tumultueuses séparations. Pas de cris, pas de pleurs, pas de scène. Je voulais juste mettre le plus de distance entre lui et son obsession. Éviter son harcèlement de questions, de peine et de pression.
Il a un léger défaut qui peut prendre soudainement beaucoup de place, proportionnel à son mal être du moment. Une susceptibilité atroce qui peut vite virer à la douce paranoïa si personne ne lui fait barage.
Il voit du non respect partout. Dans les comportements des gens, dans leurs mots, dans mes phrases.
Sa colère reprend alors le dessus. Il remet sa carapace de gros dur avec les étrangers. Avec moi, ça ne prend pas, alors il joue à l'affecté, au blessé. Ça a plus d'impact sur mon empathie exacerbée et lui, transforme son image: un ours touché en plein coeur ? Une bête qui se met à nu ?! C'est forcément lui la victime. C'est donc MON erreur...
Quand je pense qu'on me reproche de retourner les situations. Comment as-tu dit déjà? De me victimiser, de faire diversion.
Quoi, petit frère ? Des années à se soutenir. Des années à faire bloc. En fait juste DES ANNÉES .. 16 ans. Et à chaque nouvelle blonde l'histoire se répète inlassablement. Ta compagne veut toujours tellement coller à ta réalité et à ton univers, elle accepte donc tout docilement... Dans un premier temps.
Même cette meilleure amie que tu présentes mal. Pour qui tu en fais des montagnes.
Pour moi c'est flatteur. Je t'aime. Tu m'aimes.Ou alors ça fait juste partie du personnage que tu veux faire paraître ? Un ami, sincère, impliqué, dévoué et fidèle.
Elles, acquiessent, fragiles, soumises. Bien sûr qu'elles acquiessent. Comment se faire aimer autrement ? Comment pénétrer ton univers sinon ?
Mais ce sont des femmes petit ours. Des femmes. Les femmes manipulent. Pas par la force, jamais en s'imposant. Toujours plus insidieusement.
Sous couvert de prendre soin de leur mâle. Beaucoup plus fatal... :"Tu sais je crois que... Tu sais je n'aime pas quand elle... Tu devrais peut être... Ça te rend malheureux quand...". De jolies armes dans des mains douces et frêles. De jolies phrases dans des bouches suaves. Une larme, même, parfois ornée de rimel.
Et sur un homme ces stratégies ont fait leurs preuves.
Tu te délectes de leurs effets, tu t'en repais, tu t'en abreuves.
Tu as un don pour choisir tes compagnes parmi les moins affirmées. Elles sont automatiquement attirée par ce mâle viril qui les protégera envers et contre tout, quitte à affronter toute l'humanité. Ça flatte ton instinct de chef de meute. Le mâle alfa, qui les fera exister en société.
Toute femme pense naïvement qu'avec elle ça sera différent: "Tu avais besoin d'elle AVANT mais je suis là maintenant".
Parce que bien sûr, un monde où on n'est que deux c'est tellement enrichissant...
C'est surtout plus facile à contrôler. Des maniaques du contrôle. Des femmes sans personnalité. De petites filles blessées. À la langue acérée.
Et je suis toujours la femme en rouge. Je serais la tentatrice. Je suis une menace sur votre monde idyllique.
Laissez moi rire...
Vous le fantasmez sous forme de Dieu. Mais il n'en a jamais été question une seule seconde entre nous deux.
J'aurais trop de poids dans sa vie alors ? Je croyais qu'il était inébranlable dans ses convictions, je croyais qu'il était fort ?
La vraie image vous ne la voulez pas. Pas au départ.
Une jolie tenture jetée sur la réalité. De petites filles qui veulent rester dans leur rêve doré.
Il me confie ces choses que vous voulez dissimuler.
"Si elle entre dans notre intimité alors elle va savoir".
Mais ce que vous voudriez occulter je l'ai déjà accepté. Oui votre ours a des faiblesses, des défauts.
Je ne l'en aime que plus, je ne l'aime que trop.
Les débuts sont toujours roses, merveilleux, parfaits. Plus tard, juste un peu plus tard on a besoin d'une sphère personnelle, d'un jardin secret.
On veut une pièce capitonnée où on peut hurler que l'être aimé à beau être adoré on voudrait le frapper, l'étrangler, même le tuer. Et si une oreille attentive est là c'est encore plus salvateur.
Ça a juste besoin d'être crié, confié et souvent tout est oublié, sans la moindre douleur.
Mais toujours dans ces débuts fusionnels on oublie ce besoin impérieux.
On oublie qu'on aura besoin de nos amis. Que la parenthèse enchantée va devenir trop étroite, va nous contraindre, nous enserrer au point de nous étouffer.
L'air vital sera ailleurs qu'en ce lieu.
Juste pour une soirée, on aura besoin d'autre chose que d'amour pour pouvoir exister.
Un jour je suis tombée malade. Pas une maladie que le monde entier connaît et reconnaît. Une maladie avec un nom court, plutôt joli qui plus est.
Mais une maladie déniée.
L'ours désormais joyeux m'a abandonnée.
Seule à me tordre de douleur. Elle m'entrave, elle m'enroule. Elle me replie. Elle me fait m'imaginer devoir changer de vie.
Personne ne se figure, personne ne comprend. Le vieil adage est atrocement vrai, soudainement réel, alors au début j'ai justifié ton absence: mon tourment est trop lourd pour lui, trop dur, trop pesant.
Mais je me rends vite compte qu'en fait tu t'en moques un peu. Tu ne veux plus désormais que du rose, du miel et des fleurs bleues.
L'aider à surmonter ça ? Non, ça prend du temps, ça demande de la présence et tu n'en as pas à donner. Pas à moi.
Pourtant fut un temps où tu t'es accroché à moi. Dans tes pires moments c'est à moi que tu t'es arrimé, moi que tu as réclamée. Tu t'es enroulé autour de ma vie, de mes moments de libres quand tu étais au plus mal, perdu, déséquilibré.
Aujourd'hui elle oeuvre et tu n'écoutes plus qu'elle. Tu analyses chacun de mes mots, tu retournes ta susceptibilité contre moi, tu t'inventes des séquelles.
Tu t'armes comme si soudain j'étais une menace. Je serais dangereuse, "Ouvre les yeux, chéri, il faut y faire face" ...
Mais guerroyer de front entache la réputation de ces saintes.
Alors elles manoeuvrent, en sous-marin, déguisées, toute lueur combattante éteinte.
On me laisserait même le bénéfice du doute, en surface.
La partie immergée de l'iceberg est plus aigüe, tranchante, fatale.
Des espionnes aux pattes de velours.
Une louve meurtrie qui justifie son jeu par "l'amour".
Que vient faire ce dernier au milieu de notre amitié ? Ça n'a pourtant rien à voir. Les territoires se sont téléscopés ?
Tu deviens à ton tour une de mes plus grandes douleurs.
Marquer ma vie, déjà couturée, en noir plus sombre, lui ôter encore une couleur.
Le gant de fer s'est donc resserré autour de ton cou, le lien autour de tes poignets, le cul entre deux chaises, une bague, bientôt, autour de ton annulaire.
Alors tu m'as lâchement dit au revoir petit frère...
Hécate XIII. Le 15 septembre 2014.