Petite contribution au concours

danmarron

LES GROTTES PETRIFIANTES DE SAVONNIERES

            Nous sommes en l’an 1547, dans un coin reculé de qui deviendra Région Centre quelque quatre cent ans plus tard. Une petite famille de cultivateurs y est installée depuis des générations. Comme chaque samedi, Marie et Jean Palissy aidés de leur fils Bernard[1] quittent leur ferme de Villandry pour se rendre à la grande foire de Turons[2] afin d'y vendre leurs légumes. C'est aussi et surtout l'occasion pour la petite famille de rencontrer leurs amis marchands comme eux et de faire la causette, de raconter les derniers potins du coin, d'échanger leurs idées. A l'époque, c'était le seul moyen de se tenir informé. Les nouvelles ne circulaient que par le « bouche à oreille » ou par des ménestrels[3] de passage. Parfois, Marie laissait son mari seul à l'étal pour aller faire ses emplettes, acheter du tissu, de la laine, pour les petits entretiens vestimentaires de la famille. Bernard était un adolescent de dix sept ans très complexé par sa petite taille. Il était certes très mignon avec ses cheveux longs bouclés d'un blond comme les blés et ses grands yeux verts lui donnant une apparence d'ange. Mais malgré l'amour de ses parents, son physique l'avait contraint à une grande solitude. Loin des quolibets et des moqueries de ses congénères, ces samedis de foire où il y avait tant de monde, Bernard, préférait s'isoler loin des railleries de ces gens à la moralité et aux jugements qui lui faisaient si mal. C'est au pied de la vieille tour du château de Turons, que l'adolescent laissait son esprit divaguer dans ses rêves de devenir un jour troubadour. Il ne se séparait jamais de son petit calepin et de son crayon de bois. Il pouvait ainsi y noter, y dessiner tout ce qui lui passait par la tête. Car même s'il se trouvait bien à la ferme avec ses parents, le travail était rude et ingrat. Son rêve était de prendre la route avec son rebec[4]. Traverser la France de long en large et s'arrêter où bon lui semble pour faire le  spectacle. Chanter, conter, transporter lui aussi l'information dans les moindres recoins de son pays. Enfin et surtout, faire fi de son apparence.

            Ce jour-là, sur le chemin du retour, les parents étaient tout heureux de leurs ventes car pour une fois la charrette paraissait moins lourde à tirer qu'à l'habitude. Profitant de cette joie familiale, Bernard dit à son père qu'il allait rentrer à Villandry par son chemin de traverse, un raccourci qu'il connaissait bien, pour l'avoir très souvent emprunté. Sans attendre le moindre signe d'approbation paternel, Bernard quitta le chemin de pierres et se faufila entre deux rangs de vignes. A petites enjambées, il parcourut quelques centaines de mètres avant de se retrouver dans la plaine verdoyante et encore éclairée par un très joli soleil couchant. Il en connaissait les moindres recoins de cette plaine, des buissons aux moindres ceps de vigne. Cela faisait des milliers de fois qu'il parcourait le secteur, il le connaissait par cœur. Il constata que les pluies diluviennes tombées ces derniers jours avaient transformé toute une parcelle de la prairie en un immense marécage. Il pensa donc contourner cette tourbière inattendue, sous peine de rentrer à la ferme tout crotté. A peine eut-il le temps de finir cette pensée ô combien sage, que soudain le sol se déroba sous ses pieds. Il tomba dans un trou, pas très profond mais suffisamment pour disparaître totalement de la surface verdoyante. Bernard n'avait pas mal  mais il fût pris d'un grand sentiment de surprise, puis d'angoisse.  Où était-il ? Cet endroit était froid, humide et surtout lugubre ! Depuis le temps qu'il passait par là, pourquoi n'avait-il jamais vu ce trou ? Aucune réponse sensée ne parvenait à le rassurer. Alors que Bernard entamait ses premiers efforts pour s'extraire de cette excavation, il entendit une petite voix ricaner derrière lui. Il n'était donc pas seul dans ce trou perdu au milieu de cette immensité ? Il fit volte-face et aperçut dans la pénombre un tout petit être de cinquante centimètres à peine, assis sur une pierre. Il s'en approcha timidement. Mais qu'est-ce que c'est ? Pensa t-il. Le petit être ricanait de plus belle.

            « Hi hi hi ! Bonjour Bernard. Quelle surprise de te voir ici ! »

            La voix était nasillarde et fluette. Bernard était interloqué. Comment ce petit être venu de nulle part, connaissait-il son prénom ?

            « Bonjour à toi petite créature. Qui es-tu ? Comment connais-tu mon prénom ? »

            « Ben, je suis un farfadet ou lutin si tu préfères. Mes amis et moi-même vivons là depuis des siècles et des siècles ! Nous avons élu domicile ici dans cet endroit paisible de Saponaria[5], il y a très longtemps. Vous humains, habitants de la surface, vous vous êtes servis de ces grottes pour vous protéger des envahisseurs normands et vikings. C’était pour vous tous à l'époque des « souterrains-refuges », comme en Vendée, car c'était là que tous les habitants du coin venaient se réfugier quand les barbares débarquaient. Et comme depuis très longtemps, vous ne les utilisez plus ces fameuses  grottes souterraines, nous en avons fait notre cité à nous ! Je connais ton prénom car souvent, tu ne nous vois pas mais nous sommes là, juste à coté de toi et de ta famille ! En fait, nous vivons proches des humains car nous nous nourrissons de lait, de crème et de gâteaux de miel que nous venons, le soir, vous chaparder. Puis, il y a ta petite taille qui te rend bien différent des autres au-dessus. Tu es comme nous mais toi tu vis à la lumière, là-haut ! »

            Bernard n'en croyait pas ses oreilles. Devait-il avoir peur et prendre ses jambes à son cou ou rester en espérant en savoir plus sur cet étrange monde parallèle. Il s'approcha encore un peu plus de son interlocuteur et manqua de crier face à ce personnage au physique si ingrat. Le farfadet était vraiment petit, le visage ridé, brunâtre et vêtu de vieilles frusques vertes et d'un bonnet. Le pire de tout, était qu'il n'avait pas de nez ! Devant l'état de dégoût que Bernard ne pouvait contrôler, le petit lutin reprit :

            « Je te vois très surpris de mon physique. Tu sais, depuis tous ces siècles passés ici-bas dans ce milieu hostile, peu de lumière et très peu d'oxygène, la nature nous a supprimé notre nez et fait de grands yeux pour voir dans la pénombre. On s'est adapté à notre environnement. Nous sommes vêtus de hardes[6] car pourquoi être beau alors que personne ne nous voit. Tu sais, malgré notre allure, nous sommes des êtres gais, de très grands farceurs et un peu filous ! Faut bien vivre ! »

            Tout à coup, Bernard fut pris d'une grande panique. Ses parents devaient être rentrés à la ferme et ils allaient s'inquiéter de son absence. D'habitude, ils le laissaient rentrer par le raccourci,  ainsi, quand ils arrivaient, Bernard avait déjà mis des bûches dans la cheminée. Mais là, c'est sûr, ils étaient arrivés et le bois serait toujours dehors. Son père allait courir dans tous les sens en criant Bernard ! Où es-tu ? Sa mère se mettrait à pleurer car jamais depuis toutes ces années passées, le fiston n'avait failli à cette tâche et surtout n'avait jamais accusé le moindre retard. Ils penseraient certainement que quelque chose de grave était arrivé à leur fils. Le petit lutin discerna dans les yeux de Bernard cette grande angoisse. Et comme s'il avait deviné ce dont il s'agissait, il dit :

            « Eh petit, ne sois pas affolé comme ça ! Tu sais, tes parents sont certes arrivés à la ferme depuis longtemps mais j'ai arrêté le temps. Lorsque tu rentreras chez toi tout à l'heure, tes parents n'y auront vu que du feu. Tu te rappelles, nous sommes des farceurs ! Hi hi hi ! Tiens, comme tu es ici, je vais te faire visiter notre antre. Ne t'inquiète pas, je passe devant ! »

            Bernard emboîta le pas au lutin. Au fur et à mesure qu'ils s'enfonçaient dans le boyau étroit et bas de plafond, des lumières s'allumaient. Plus de milles feux brillaient. C'était les compagnons du lutin qui se mettaient à scintiller, à éclairer le passage dans une immense gaieté. Lutin expliqua que l'endroit était exigu pour éviter toute invasion ennemie et qu'il y avait même des pièges. La chatière par exemple qui à l'époque, obligeait l'attaquant à rentrer couché le rendant ainsi vulnérable aux réfugiés qui de l'autre coté l'attendaient pour le trucider et que le fond de la galerie servait autre fois à stocker les victuailles composées essentiellement de blé. Qu’à l’époque gallo-romaine, les Romains y avaient même installé des sépultures. L'éclairage était assuré par des lampes à huile. Au plafond et sur les cotés des voûtes transpirait un liquide blanchâtre, formant de-ci de-là stalagmites et stalactites qui en se rencontrant élaboraient de véritables chef-d’oeuvres. Tout n’était que féerie. Un paysage insoupçonné de concrétions étincelantes. On pouvait imaginer un gigantesque orgue de barbarie, un enchevêtrement de corps distendus avec sa faune préhistorique dans cette véritable cathédrale de lumière. Rien de tout cela n’existait à la surface. Saponaria avait bien quelques monuments valant le détour telle que son église Saint Gervais, son moulin des Fontaines datant de l’époque Romaine où ces derniers y  confectionnaient leurs savons. La seule eau qu’il avait pu voir jusqu’à ce jour, était celle du Cher. Une eau claire, limpide sous sa petite embarcation, cette rivière, poumon économique de la commune. Les transports de bois, de nourritures et d’hommes se faisant essentiellement par ce cours d’eau.

            « Eh p’tit d’hom, je te vois intrigué par cette eau blanche qui dégouline un peu partout ici. En fait, c’est sa très forte tenue en calcaire qui lui donne cette couleur. On dirait du lait ! Le lait nourricier de la terre ! Hi hi hi ! Tiens, suis-moi ! »

            Bernard s’empressa de suivre le lutin dans les méandres de cette grotte. Jusqu’à ce qu’ils aboutissent dans une immense galerie où s’étendait un lac. Un lac d’eau saturée en calcaire.

            « Tu vois, tu es ici- même au centre de notre territoire et de notre secret. Cette étendue d’eau souterraine est magique. Après avoir circulé en surface, dans les prés, cette eau s’infiltre dans la roche calcaire en y emmenant avec elle plein de particules de calcite. Arrivée ici, elle transforme tout ce qui l’approche en pierre ! Vois-tu là-bas au fond, tu peux apercevoir des objets au départ en bois et qui au fil du temps, sont devenus cailloux. Nous avons ici notre maître en la matière. Il cisèle, creuse, sculpte des formes dans du bois et les dépose ici sous la fontaine. Au bout d’un certain temps (assez long), il les retire et comme par miracle, ces objets ont pris l’apparence de pierre ! On dit que nous sommes dans une « grotte pétrifiante ».

            Plus la conversation se prolongeait, plus Bernard se sentait sur une autre planète, mais en toute sérénité maintenant. Que lui arrivait-il ? Il y a encore peu de temps, il était avec ses parents dans la joie d'un bon samedi passé. Sa promenade dans les vignes (son raccourci) et tout à coup, il se retrouvait dans ce monde surnaturel, irrationnel. Il se pinça pour être sûr de ne pas être dans un rêve mais la douleur au bras lui indiqua qu'il ne fabulait pas ; il était bien dans un monde parallèle. Le farfadet continua.

            « N'as-tu jamais remarqué que certaines fois, lorsque tes parents t'envoient scier du bois dehors, en un rien de temps, tu te retrouves avec un stère coupé aux bonnes mesures prêt à être stocké près de la cheminée et ceci sans fatigue ? Comment crois-tu que ça arrive ? Parce que les amis lutins sont là ! Dans une parfaite invisibilité, nous sommes là pour t'aider, pour vous aider ! Nous ne sommes apparents qu'aux âmes gratifiées d'un émotionnel hors norme. Si tu me vois, si tu me parles, c'est que maintenant, mais juste pour l'instant, toi-même tu es doté de ce pouvoir. Tout à l'heure, quand tu seras ressorti d'ici, tu n'auras plus qu'un vague souvenir de notre rencontre, cela aura été comme un rêve. »

            Au détour d'un petit couloir, Bernard aperçut dans un recoin, un petit être assis sur le sol qui ne semblait pas ressembler à ses congénères. Cette créature était jolie, avait un teint de peau halé, de longs cheveux bruns, de très beaux yeux et surtout un nez.

            « Mais qui est-ce ? »

            « Ah ça ! C'est heu ! On dira une erreur ! Je ne sais pourquoi mais comme tu vois, c'est l'inverse de nous. Elle est belle et triste. Nous l'avons surnommée Mutine à cause de son mauvais caractère, elle ne rit jamais et préfère être seule dans son coin à rêver de je ne sais quoi, plutôt que de venir jouer, rigoler avec nous ! Elle doit être malade ! »

            « Ah ! Je vois. Mutine est très belle en effet ! Ce qui est étrange, c'est que Mutine est ici-bas ce que je suis à la surface ! »

            Bernard, commença à ressentir comme un vertige. Son cœur battait fort. Il tombait tout à coup  amoureux de Mutine. Le coup de foudre ! Elle était si belle et tellement différente des filles rencontrées là-haut qui ricanaient à son passage, ou pour un rien. Il remarqua dans les yeux de la belle une lumière semblant lui dire « Emmène-moi avec toi ! ».

            « Lutin, je crois que Mutine est très malade ici dans ce tunnel avec vous. Si elle est d'accord, je l'emmène avec moi à la surface, dans le monde des lumières. Peut-être guérira-t-elle de ses souffrances. Je te jure de m'occuper d'elle comme toi tu t'es occupé de moi jusqu'à présent ! »

            « Ben l'ami, tu n'y vas pas par quatre chemins ! C'est tout à ton honneur. Et bien sûr que si Mutine est consentante, elle peut sortir de ce tunnel avec toi. »

            Mutine ayant assisté à la conversation, ne put retenir son tout premier beau sourire. Cette joie incontrôlée la propulsa dans les bras de Bernard. A nouveau, tous les lutins se mirent à scintiller, à éclairer toute la galerie en riant aux éclats. Ils étaient heureux d'être les témoins de cet instant magique.

            « Dis-moi lutin, si j'ai tout compris, vous êtes des êtres surnaturels, vous avez des pouvoirs magiques, vous vivez dans un endroit chimérique. Toutes vos facultés extraordinaires, vous les mettez aux services des humains, ceux qui vivent au-dessus de vous. »

            « Oui Bernard ! Mais attention je te vois venir. Ne va pas croire que désormais tu vas rester oisif là-haut avec Mutine et que c'est nous qui allons travailler à ta place. Non, non, non ! »

            Bernard osa malgré tout poser la question embarrassante.

            « Lutin, tu sais, le travail de la terre ne me plait guère. Labourer, semer, récolter, c'est un travail harassant qui ne rapporte pas autant que l'on souhaiterait et qui laisse peu de place à l'imagination, à la rêverie. De plus, ma petite taille ne se prête pas à toutes ces activités. C'est pour cette raison que j'aimerais plus tard être ménestrel. Le plus grand ménestrel de Turons, de France et de Navarre ! Mais pour réaliser mon rêve, j'ai besoin d'être doué. D'être le virtuose du rebec, de savoir lire et conter des histoires, des légendes de notre région ou même d'en inventer. Être un artiste quoi ! Ce qui est loin d’être mon cas actuellement. »

            Le petit lutin se gratta le bonnet d'un air très pensif. Ménestrel, en voilà une idée  pensa t-il.

            « Bien, je vois ! Le jeune homme a un petit côté artiste qu'il veut exploiter pour en vivre, en faire son métier. Tu veux te servir de mes pouvoirs enchanteurs pour gagner ta vie en chantant ! Hi hi hi ! Mais tu sais, si je t'aide, il faudra que toi, tu redoubles d'efforts. Tu devras travailler ta voix, apprendre par cœur tous les textes que tu chanteras ou que tu conteras. Ce sera un travail très difficile et long à réaliser. Il te faudra beaucoup de patience. Je t'aiderai évidemment mais tu devras y mettre du tien ! Et surtout petit homme, ne parle JAMAIS de notre rencontre à qui que ce soit ! Notre secret doit rester pétrifié entre nous ! Quant à Mutine, tu devras l'aimer, la choyer, sinon... »

            « Oui Lutin, n'aies aucune crainte ! »

            Bernard ce soir-là rentra avec Mutine à la ferme et comme l'avait prédit le lutin, ses parents ne s'étaient nullement aperçus de son retard considérable. Après leur avoir  présenté son nouvel et grand amour, il alla chercher deux ou trois bûches qu'il déposa dans la cheminée. Ses parents étaient toujours comblés de cette fabuleuse journée. De belles ventes et leur fils avait rencontré l'inespérée âme sœur. Bernard plus que jamais heureux et amoureux garda secrète cette rencontre improbable avec Lutin, pour l'éternité.

            On dit que quelques-temps plus tard, après cette journée incroyable, les saponarians croisaient par les routes et les chemins un ménestrel beau comme un ange en compagnie d'une créature de rêve se promenant de village en hameaux, de villes en villes avec son rebec. Qu'ils avaient tous deux une voix magnifique remplie d’émotion et qu'ils contaient à qui voulait les écouter l'histoire des « Grottes Pétrifiantes » de Saponaria.

Tout deux, après avoir tant souffert de leurs « différences », étaient enfin acceptés. Seul comptait leur immense talent de musicien et de conteur. L’anecdote dit aussi qu’ils ne se séparaient jamais d’un « bas-relief » les représentant tout les deux sous forme d’une plaque pétrifiée pour l’éternité.

« Monsieur ! Monsieur ! Il est l’heure, la visite est terminée ! Le musée va fermer ! »

Cette voix me sortit de mes songes ô combien étrange. Je mis un certain temps à revenir dans le monde du réel tellement le voyage avait été surnaturel et chargé d’émotions. Mais qu’avais-je dans ma poche ? Un tout petit bas-relief très ancien en calcaire sur lequel on pouvait distinguer deux petits personnages.

 

 

 

 

LE VIEUX CHÊNE ET SA ROSE

            Cela faisait quelques décennies que j’étais planté là, seul, oublié au beau milieu d’un pré perdu dans cette campagne isolée de Normandie. Une vie paisible, certes mais ennuyeuse au possible. Il ne se passait jamais rien. D’ailleurs, quelles auraient pu être les occupations d’un chêne de pratiquement cinquante ans ? J’avais bien des amis merles qui venaient égayer de leurs chants ma morne vie aux moments des nichées. Panache, un petit écureuil qui avait élu domicile dans mes branches et qui venait stocker ses graines dans un orifice de mon tronc. De temps en temps, au dessus de la haie, j’apercevais Monsieur Jean s’en allant avec son percheron livrer son bois à la menuiserie dans la commune voisine. C’était en gros mes seules distractions.

            Un jour, à quelques longueurs de mes racines, des ouvriers équipés de pelles et de pioches, vinrent creuser un trou assez long et assez large pour y construire une petite bâtisse. En neuf mois, peut être dix, une petite maison était sortie de terre. Je prenais espoir de ne plus être seul. Enfin, la vie humaine allait venir vers moi, moi, immobile depuis ci longtemps. Une petite famille vint s’installer. Le père, un grand gaillard solide comme un roc, bourru, au verbe haut, la mère, plutôt petite et silencieuse et leur petite fille Rose, 14 ans, une très jolie brunette. Dans leur petite demeure, je les entendais vivre, même rigoler des fois. Sûrement tous heureux d’être chez eux. Tout allait donc pour le mieux. Malheureusement les parents criaient souvent sur leur enfant, surtout le soir venu. Je ne comprenais que des brides de conversation :

            « Rose ! Tu as encore oublié de nettoyer la cuisine cet après midi ! Tu n’es qu’une grosse fainéante ! »

            « Papa, j’ai pas eu le temps ! J’avais mes devoirs à finir et je suis allée ensuite ramasser des légumes pour la soupe de ce soir ! »

            « Je ne veux rien savoir ! De toute façon, des devoirs pour quoi faire ? On t’apprend quoi en classe ? A faire le ménage ? La cuisine ? Non bien sur ! Mademoiselle fait la belle, elle apprend à lire et écrire que de l’inutile ! D’ailleurs, avec ta mère, j’ai décidé que tu n’irais plus à l’école ! »

            Voila en gros les propos que je pouvais entendre certains soirs. Malgré mes faiblesses dans la compréhension de ce qui se disait, ces disputes avaient le don de m’énerver. Comment des parents pouvaient s’en prendre ainsi à leur propre fruit ? Ce joli petit fruit. Rose, cette petite adolescente.

            Pour leur fille, les parents avaient attaché deux cordes reliées à une planche à une de mes branches, la plus robuste. La petite Rose pouvait ainsi faire de la balançoire à l’abri de mon feuillage. Elle chantait souvent :

            « Balan balan balançoire. »

            Je veillais sur elle en quelque sorte. Je me sentais investi d’une mission protectrice. J’étais même devenu son ami, son confident. Souvent, elle venait me voir, s’asseoir à mon pied sur une racine pour me raconter ses petits soucis de la vie.

            « Oh ! A toi je peux tout dire, tu n’iras rien répéter. J’en ai marre de jouer les Cosette ! Je dois me lever tôt le matin, préparer le déjeuné de mes parents, faire le ménage, aller à l’école et travailler au champ ! Si une de ces taches n’est pas parfaitement accomplie, je suis punie. Mes parents me tapent et m’enferment dans le grenier avec pour seul repas de l’eau et du pain ! »

            Un petit coup de vent vint me faire bouger le feuillage en forme d’approbation. Puis elle rajouta :

            « Puis tu sais, ils veulent que j’arrête l’école. Tu sais, c'était pour moi la seule issue que j'avais pour sortir de cette vie misérable ! »

            Évidemment que je ne le répéterais pas pensais-je. Comment un végétal pouvait communiquer ? Mais je ne supportais pas ce genre de confidences. Que pouvais-je y faire ? Rien !

            Un matin, j’entendis le père annoncer à sa femme :

            « Ah, ce chêne commence à m’énerver ! Un de ces quatre, si le vent souffle trop fort il va nous tomber dessus et détruire le fruit de notre travail ! Je vais contacter Jean le menuisier pour qu’il l’abatte ! On devrait en tirer quelques sous, vu sa taille ! »

            « Non papa ! Il ne faut pas l’abattre ! Tu sais, si on a de l’ombre l’été, c’est grâce à lui ! Si la maison est abritée du vent, c’est grâce à lui ! Si on entend tous les matins les chants d’oiseaux c’est grâce à lui car ils viennent nicher sur ses branches ! »

            Le père devant tant d’objections se mit à réfléchir pour une fois et tomba d’accord sur le fait qu’il n’y avait pas vraiment urgence à le faire abattre. Il y avait des choses plus importantes à régler.

            Les jours passaient, les semaines, les mois et toujours le même rituel. Quand la nuit commençait à tomber, au moment du soupé, instant qui aurait dû être qu’harmonie familiale, la paisibilité[7] d’une famille réunie devant le soupé, dans ces moments là, s’engageaient les crises de violences. C’était toujours la petite Rose qui faisait l’objet des sarcasmes de ses parents. Tout y passait !

            « Tu n’as pas fait ceci, tu as oublié de faire cela, t’es qu’une gourde ! Puis pour aller au village, tu as vu comment tu t’habilles ? On dirait une … »

            Certaines fois, j’entendais des bruits me laissant penser qu’aux paroles devaient se joindre les gestes. C’est donc souvent que je voyais la petite Rose venir pleurer à mon pied.

            Un après midi où Rose était seule, ses parents sûrement partis en ville, elle vint me voir et me parla longtemps puis grava sur mon écorce un cœur. Un joli cœur avec ses initiales R M, laissant suffisamment de place pour y graver un jour deux autres lettres. Dans ces instants de communion, je me haïssais. Pourquoi n’étais-je qu’un chêne, pourquoi j’appartenais à ce monde végétal ?

            « J’ai fais un beau cœur sur ton écorce et j’y ai laissé un peu de place pour graver plus tard les initiales de mon amoureux ! Tu ne m’en veux pas mon gros chêne ? Heureusement que tu es là ! Des fois je me dis que j’aurais dû être comme toi, un arbre, une plante, une fleur (je n’ai eu que le prénom). Les gens aiment les végétaux ! »

            Ah ! Rose si tu savais, je sens en moi ma sève bouillonner. Je n’en peu plus. J’aurais voulu la prendre, l’envelopper de mes branches, la protéger avec mon feuillage.

            Un soir, pas comme les autres ou du moins encore plus violent que d’habitude, j’entendis Rose annoncer à ses parents qu’elle allait partir, quitter le foyer familiale pour aller vivre en ville.

            « Quoi que vous disiez, quoi que vous fassiez, j’ai décidé, je pars ! Je vous quitte ! Désormais j’ai dix-huit ans et je m’en vais vivre ma vie ! J’ai trouvé un travail, un studio et surtout un petit ami ! Avec lui, je sais que je vais vivre heureuse car lui, il m’aime comme jamais on ne m’a aimé ! Pour finir, je suis enceinte de deux mois. Je sais et mon ami aussi que nous allons être très heureux tous les trois. Que notre enfant sera choyé, aimé et éduqué dans le bonheur comme il se doit ! Quant à vous, je vous haïs et allez au Diable si il existe »

            « Comment ça ! Où as tu été encore imaginer ceci ? Tu es majeure certes mais moi ton père j’ai mon mot à dire ! Non seulement tu ne sortiras pas d’ici comme çà mais en plus, je vais aller trouver ton sagouin de copain et lui foutre une tourniole comme il n’en a jamais eu ! Pour ce qui est de ton rejeton, laisse-moi faire et tu verras qu’il ne verra même pas son premier Noël ! »

            Ce fut pour moi la pire nuit de toute mon existence. J’en avais pourtant vécu des moments difficiles où pendant la seconde guerre mondiale, des GI étaient venus se protéger des tirs ennemis derrière mon tronc. J’en avais gardé quelques séquelles d’ailleurs. Mais là, c’était l'apothéose !

            La nuit fut longue, très longue. Vers trois heures du matin, j'aperçus Rose sortir à pas de loup de la maison avec une chaise et une corde. Je n’osais imaginer ce qu’elle allait faire. Elle vint à coté de moi, lança sa corde sur une de mes branches, monta sur la chaise et passa la corde autour de son cou. Elle me regarda une dernière fois en me chuchotant :

            « Excuses moi mon gros chêne ! »

            Puis en moins de temps qu’il en faut pour le dire, elle sauta de sa chaise et tomba dans le vide.

            Tout ayant été si vite que je n’eu pas le temps de faire quoi que ce soit. Il était trop tard. Je fis le maximum pour que cette branche, (ma branche) casse mais rien n’y faisait. Je l’ai donc veillé jusqu’au petit matin. Elle paraissait reposée, blanche comme un linge mais apaisée. En quelques heures, j’avais perdu tout mon feuillage. Un tapis vert recouvrait le sol maintenant à mon pied et à ceux de Rose. C’était ma seule façon de lui montrer  ma communion, mon amour.

            Au petit jour, c’est le père qui fit la triste découverte. Dans un cri à effrayer toutes vies végétales endormies, il dit en détachant sa fille :

            « Mais qu’est ce que tu as fais ma petite Rose ! Pourquoi nous faire ça ? Nous tes parents qui te chérissions ! Pourquoi ? Pourquoi ? »

            La mère vint rejoindre son mari en pleure. Tout les deux maintenant ramenaient le corps de Rose dans leur maison sous des cascades de larmes, de cris.

            En début d’après midi, le Jean se présenta à la maison, suivi du curé. Les parents étaient toujours atterrés par ce qui venait d’arriver. Le curé leur promis de faire la plus belle des messes en l’honneur de Rose. Oui, les parents étaient très croyant. Pour le coté économique, le père pris Jean à part et lui dit :

-                                  « Dis moi Jean, évidemment que c’est toi qui va être chargé du cercueil mais tu sais, nous n’avons pas trop le sou alors je te propose le chêne que tu vois là en échange de quoi, tu me feras un beau cercueil pour ma fille et le reste du bois tu le garderas pour toi. Top là ! »

            Jean vit de suite que le marché lui était fort favorable et topa sans aucune hésitation.

            Le lendemain, au petit jour, Jean débarqua sur le terrain armé d’une tronçonneuse et de cordages.

-                                 « Je savais que l’instant était venu pour moi de dire adieu à la vie. Mais quelle vie d’abord ? Celle d’un chêne, d’un végétal, d’un bon à rien qui n’a même pas été capable de sauver cette petite Rose. Non, pour moi, cela allait plutôt être une délivrance ! De plus, j’avais entendu dire que ma vieille carcasse serait débitée en planches cella même qui serviraient de cercueil à la petite. Ainsi, je serais pour l’éternité avec elle ! Ma petite Rose ! »

 

 

 

 

 

L'ARMOIRE D'EMILIE

            Bonjour ! A la base, je suis une armoire tout à fait ordinaire. Sauf que j’ai appartenu pendant des années à une petite fille extraordinaire.

            Mes propriétaires, un jeune et charmant couple, m'avait installée dans la petite chambre d'Émilie. Âgée de huit ans à peine, c’était une jolie petite blondinette dotée d'une remarquable intelligence, et ô combien guillerette. Certes, je n'étais pas le seul meuble dans sa chambre. Il y avait un petit lit et un petit bureau. Nous étions tous les trois du même style, colorés vieux rose. Dans sa chambre mansardée au premier étage, il n’y avait comme seul œil sur l'extérieur qu’une petite fenêtre. Nous étions son lieu de réconfort. Propices aux connivences, aux révélations, aux jeux. Nous étions sa chambre de princesse ! Elle y était même la reine. Combien de fois Émilie est venue se mirer dans ma grande glace, déguisée en fée ou dansant en tutu. Mademoiselle, tous les mercredis, allait à ses cours de danse. J'étais aussi sa confidente. C'est vers moi, assise en tailleur sur le sol qu'elle se tournait pour me raconter ses petits tourments d'enfant.

            « Tu sais, Sébastien, il fait rien qu'de m'embêter, il m'énerve ! Il n'arrête pas de me chahuter pendant la récré ! Même en classe, il copie sur moi ! J'en ai marre ! » 

            Émilie était très joueuse, et même taquine. Fréquemment elle s'amusait à cache-cache avec ses parents et c'est souvent dans ma penderie qu'elle venait se réfugier. « Émilie ? Émilie ? Où es-tu ? » Criaient ses parents, complices. « On va te trouver ! » Je ne disais rien ! Je jouais le jeu ! Intérieurement, je riais aussi fort qu'Émilie. Parfois elle choisissait de se cacher sous son bureau. Les éclats de rire de tous, égaillaient la chambre. Ah ! Sur ce bureau, combien de fois elle y a fait ses devoirs. Une bonne élève assidue à ses exercices, ses leçons, attentive et réfléchie. Le soir venu, sur son lit, la petite chipie avait son rituel, son quart d'heure de défoulement. Roulés-boulés, galipettes, c'était la fête. La joie de vivre une enfance insouciante. Elle était dans sa chambre de princesse. Elle en était bien la reine ! Nous étions tous les trois heureux d'être là. Garants de son confort, témoins de son éveil.

            Puis un jour, ce fût le grand silence. Un matin, très tôt, une ambulance est venue la chercher pour l'emmener. Notre Émilie était partie pour je ne sais quelle raison et je ne sais où. Nous nous sommes retrouvés tous les trois, abandonnés là à ne savoir que faire. Pendant des jours et des jours, nous sommes restés seuls dans cette chambre. Le décor n'avait pas changé. Il y avait toujours un poster des Simpson collé à l'intérieur de ma porte droite. Mais celle-ci restait close. Son linge, toujours sur mes étagères, ne bougeait plus. Plus de gaîté, plus de rire, plus de vie. Quelle angoisse ! Il n'y avait que ce maudit silence. Jeanne, la maman venait quand même faire les poussières. Notre seule visite hebdomadaire. Je l'entendais certaines fois maugréer après un soi-disant Dieu. Un soir, je perçus à travers le parquet, Jeanne et Pierre parler d'Émilie. Aux tons de leurs voix, je devinais qu'ils n'étaient pas optimistes.

            « J'ai eu le médecin cet après-midi. Il nous demande d'être très patients. Il y aurait une complication respiratoire. » 

            « Qu'avons-nous fait pour être ainsi frappés par le destin ? »

            « Je ne sais pas mais je sens qu'il va falloir être forts ! »

            Qu'était-il arrivé à notre petite reine ? Pourquoi cette disparition soudaine ? Où était-elle ?

            Ce n'est que plus tard que je compris ce qui était arrivé à notre petite Émilie. Elle était malade ! Hospitalisée depuis trois semaines pour une maladie dont je ne connaissais rien. D'après les informations qui remontaient par le plancher, Émilie avait beaucoup de fièvre et du mal à respirer. Des mots revenaient souvent dans leurs conversations. « Grippe A », « Contagions », « Isolement », « Pneumonie », … Qu'était-ce ce charabia ? J'aurais donné cher pour pouvoir lui rendre visite, la rassurer, lui tenir compagnie. Mais je n'étais qu'une armoire immobile sensée n'être que de bois. Il fallait me résigner à attendre son retour. Que notre Émilie nous revienne en parfaite santé, pensions-nous tous. Que sa gaieté, sa joie de vivre remplissent à nouveau notre chambre.

            Et quelques semaines plus tard, ce bonheur tant espéré arriva. Émilie, pour la plus grande joie de ses parents et de la mienne, rentra au foyer. Elle était très amaigrie, affaiblie mais déjà son tempérament de petite fille taquine avait repris le dessus. Dans sa chambre, en soirée, pendant notre tête à tête, elle me raconta qu'elle était heureuse de me retrouver, moi, sa chambre, son univers. Qu'elle s'était bien embêtée à l'hôpital car hormis la télé et quelques visites de ses parents ou des médecins, elle n’avait rien à faire. A l'écouter, j'avais envie de la prendre dans mes portes et de la serrer très fort. De petites larmes me coulaient le long de mon miroir. Mes étagères tremblaient. Elle n'en sut rien. Ô Émilie si tu savais comme je t'aime ! Comme nous t'aimons tous ici !

            Les années passèrent vite, trop vite même. Un jour, le père pris Émilie à part et lui dit :

            « Tu sais ma fille, tu vas avoir quinze ans et ta mère et moi pensons t'offrir une nouvelle chambre ! Celle-ci est belle certes mais ne convient plus à une jeune fille de ton âge. C'est une chambre d'enfant, pas d'adolescente ! Qu’en penses-tu ? »

            « Ben papa, tu sais, j'ai toujours vécu dans ma chambre de princesse mais c’est vrai qu'elle fait un peu bébé pour mon âge ! Mais si vous m'offrez une nouvelle chambre, que va devenir la mienne ? Vous allez la jeter, la vendre ? »

            « Je n'y ai pas encore trop réfléchi. Je pensais la donner. Mais l'armoire, pourrait aller au garage, pour que je puisse y entreposer mes outils, tout mon bazar qui traîne et qui fait tant râler ta mère. »

            « Et c'est ainsi qu'aujourd'hui, je suis passée de l'armoire de princesse, à l'armoire à outils. Les beaux habits d’Emilie ont laissé place aux clés, aux tournevis en tout genre. Je suis dans un coin de l'atelier avec pour seule compagnie, deux vieux placards usés et aigris portant  les stigmates d’une vie pas très rose. Émilie vient rarement me voir mais je l'entends encore courir, rire à travers le plancher. Vivre quoi ! N'est-ce pas le principal ! »

[1]    Bernard PALISSY est le véritable découvreur (inventeur) des grottes pétrifiantes en 1547.

[2]    Turons deviendra plus tard Tours.

[3]    Musicien conteur au Moyen-âge.

[4]    Violon du Moyen-âge.

[5]    Saponaria était le nom de la commune de la « Savonnières » au moyen-âge.

[6]    Guenilles

[7] Néologisme à rapprocher de « bravitude »

  • Un très beau récit rempli de beauté et de rêverie. La rencontre de deux mondes que tout oppose ! L'histoire se passe au Moyen Age mais pourrait sa place ici, en 2011 !
    Bonne lecture à vous tous.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Colonne1 orig

    danmarron

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