Pleine lune.

effect

Aujourd'hui c'est pleine lune et elle est en gémeaux.

Dans mon jardin il y a une fusée prête à décoller. Tel un motoculteur se désolant de ne retourner la terre qu'une seule fois par an pour planter quelques patates, quelques curieux devant la maison me demandent « Vous la louez ? » et de leur répondre « Non, même pas à un Thomas Pesquet ! »

Louer ma fusée serait un peu comme de louer ma femme ou ma Mercedes, j'aurais trop peur qu'elle ne me revienne dans un sale état. Lui laisser faire un aller-retour dans l'atmosphère, abîmerait son corps. Car oui, dans la nomenclature spatiale, l'enveloppe d'une fusée s'appelle le corps, alors que dans la mécanique automobile et pour ma Mercedes, l'on parle plutôt de tôle, comme dans les 2 exemples cités ci-dessous :

« Putain j'ai embouti la bagnole, j'ai bouffé les tôles ! »

« T'avais bu la gnôle ? »

« Non, pourquoi ? »

« Alors, c'est la faute a pas d'bol ! »

Dans le langage aéronautique l'on dirait :

« Putain j'ai embouti la fusée, j'ai bouffé son corps ! »

« Qu'est-ce que t'as glandé ? »

« Qu'est-ce que j'en sais ? »

« Alors, c'est un coup du Pesquet ! »

Ma fusée est rouge, non pas comme celle de Tintin, mais rouge comme le tracteur Massey Ferguson de mon grand-père, un rouge qui tend entre la Ferrari et la cerise. Par amour des bonnes et belles choses et pour se rendre à l'église du dimanche matin afin d'aller boire un pichet de blanc avec les copains, mon grand-père disait de lui:

« On va pas y aller avec la 4L de la mémé, elle pue trop l'ail et les cornichons, on va prendre le Testa Burlat, j'l'ai tout débouzé hier ! »

Mon grand-père était fier de son Ferguson, il représentait sa réussite sociale et faisait plus d'un envieux au village. Au crépuscule, il le bâchait pour pas que les mouettes viennent lui chier dessus.

« Au prix qu'est la bête, manquerait plus qu'elles le crotte ! »

Avec le Ferguson on allait à marée basse retourner les poches à huîtres. Selon mon grand-père, la zéro étant l'huître la plus grosse donc la plus lourde, je devais me contenter de retourner les poches à petites mailles, celles contenant les naissains ou les N°5.

« Quand t'auras les muscles du Pépé, tu pourras te taper les plus laiteuses ! Une laiteuse, si elle est bien bichonnée, tu peux en tirer un bon prix !»

A l'approche des fêtes de Noël il ne rentrait presque jamais et préférait dormir dans la cabane qu'il s'était construite sur le sable dunaire tout proche de son parc. Une ficelle attachée à son orteil assurait la garde, un vieux poêle à mazout un semblant de chaleur.

« Avec tous les vauriens du coin qui trainent autour, vaut mieux surveiller ta production si tu veux pas te faire bouffer la culotte ! L'hiver, c'est 2/3 de la recette ! La saison des sapins ramènent les épines ! Saloperies d'sapins !»

Mon grand-père est mort un midi en semaine, à l'endroit ou j'ai posé ma fusée, en cueillant du persil plat pour 2 litres de moules que préparait sa femme. Le tracteur tourne encore pour quelques fêtes et défilés de chars, quant à la cabane, elle sert de cabine de plage à Scarlett Johansson ou Virginie Efira.

Voilà.


Signaler ce texte