Plus loin vers l'ouest...

sisyphe

Comme une fatalité, les aiguilles ne s'arrêtaient plus de tourner, piquaient mon cœur de banderilles implacables, affichaient cyniquement minuit et trente six minutes. Là sur la table, je contemplais le cadavre refroidi d'un repas d'amoureux...Connerie. Le fumet s'était mué en une vague odeur de déception. Les bougies s'entêtaient à se consumer un peu plus, tant que la nuit dure. Mes seuls soleils.

Encore une minute à rajouter à l'addition de mon attente. Elle n'était toujours pas rentrée et pourtant, j'entendais d'ici le vacarme de sa nuit...Connerie là aussi. L'attendre était un tunnel dont je ne voyais pas le bout. Un traître coup de vent balaya le salon et souffla sur les bougies de cet anniversaire funeste. J'avais laissé une fenêtre ouverte. En allant la fermer, des airs de ces doux soirs où l'été commence parvinrent sur le bout de mes doigts, de mes lèvres. Je pouvais presque les embrasser.

Alors je me suis décidé. J'ai attrapé les clés qui traînaient près de la porte, griffonné quelques mots acerbes à son intention. Désormais, qu'elle vienne ou pas, rien ne comptait plus. J'ai claqué, tout, en même temps que je claquais la porte. Elle a résonné longtemps dans le couloir, suivant mes pas d'un glas heureux. Ce soir, je taille la route.

Dans le garage de l'immeuble, ramassis de cages, mes pneus crissèrent, une dernière fois. Sans phares, aucune voile dehors, sans un mot ni un regard pour mes lambeaux de servitude, je suis partis. Les vitesses se laissaient passer avec une douceur inouïe. Les lucioles oranges du tableau de bord me bordaient dans ma fuite, que c'était bon...

Deux lignes blanches m'accompagnaient, une de chaque côté de mes roues qui avalaient du bitume à toute allure. Une belle portion de route comme on l'aime quand on fuit. Alors, tous phares allumés, j'ai défié l'ombre qui s'étendait au loin, bien après les derniers panneaux d'indication pour Paris, Nantes ou Rennes. Un appel de phare pour tous mes camarades des autres rives. Pour tous les gars perdus dans les maisons et les immeubles et à qui les sirènes de la route ne cessent de chanter leurs appels. On se connaît les gars, pour le coup, résistons pas.

Une légère pression de mon doigt déclencha l'autoradio. Like a rolling stone, vieux Bob Dylan...

Les chemins bifurquaient. Bientôt, il y aurait des ponts à traverser, qui surplomberaient les plus beau fleuves jamais imaginés où les lumières se marieraient dans un miroitement divin. Plus loin, il y aurait des statues immenses de braves Écossais et des collines toujours plus vertes qui se détacheraient d'un ciel toujours plus gris, plus beau. Plus tard il y aurait des routes, toujours, pour fuir, toujours.

Le vent file, s'effile, s'allonge et se rompt comme un fil sur les lignes de la voiture. Pas un soleil qui ne vient troubler ma nuit. Le brouillard m'avale, si j'en ressors, ce sera grandis, comme jamais. A l'aube, guettez à l'ouest. La route à toujours mené vers l'ouest.

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