Plutôt pute que mère au foyer!
same
Alors que je tortille le sachet de sucre posé à côté de ma tasse de café qui refroidit, le regard figé sur la table, je me pose cette question: Quel genre de pute? Quel genre de pute vaut mieux que moi?
J'accepte la maladresse. Mon amie, face à moi, est enceinte. Je mets cette phrase sur le compte des hormones.
Je rentre accomplir mon travail. Faire chauffer des carottes, mettre du feu sous l'eau des pâtes, poêler la côtelette. Avec la côtelette, je prends un risque. Midi passé, c'est le coup de feu, je cours. Je jongle. Je m'assois et me relève. Laver la fourchette tombée par terre, couper du jambon, elle n'aime pas la côtelette... J'espère 14 heures et 14 heures arrive. Enfin. Elle dort! Elle est si mignonne! Je range, balaie, serpille, étends la machine et je me fais un café. Un bon café noir et une cigarette! Je regarde devant moi la ville qui s'agite. Sans moi. Et moi? Je m'agite dans huit clos domestique. Domestique? Madone? Pute?: "Plutôt être pute que mère au foyer!"
La phrase prononcée par mon amie, me trotte dans la tête, elle me suit partout. Texto: mon compagnon reste boire un verre avec des amis après le travail. J'avais oublié: c'était bien de débaucher. A 22 heures, après trois rappels théâtraux de ma fille, je suis enfin libre de toutes obligations. Je me débouche une bière. Je m'installe à nouveau sur la petite terrasse. La ville s'endort.
Contrariante de nature, je ne pensais pas l'être à ce point quand j'ai pris la décision (à demi consentie) de m'occuper de ma fille. Dans les livres, dans l'inconscient collectif, la "mère au foyer" reste bloquée dans le cliché de la dévote soumise aux bons vouloirs de son conjoint sorte de madone figée dans le sacrifice d'elle-même. Quand il s'agit des femmes les stéréotypes ont la vie dure et les critiques ne font pas dans la nuance, ne s'empêchant aucune maladresse. Ont-ils tort?
Il n'y a pas si longtemps, je me rends à un apéro chez une amie intermittente. Il y a un couple d'intermittents. J'ai moi-même était intermittente. Ce sont des gens sympathiques, quoiqu'un peu suffisants. En me tendant la panière à pain, la jeune femme s'adresse à moi, pour la première fois, depuis une heure et demi, elle me demande ce que je fais dans la vie. Je lui réponds naturellement: "je m'occupe de ma fille". Elle ne sait alors plus quoi me dire.... et, tout naturellement, change d'interlocuteur, après avoir passé quelques secondes à me regarder. Elle ne s'adressera plus à moi. S'est-elle aperçue de sa maladresse?
Alors, c'est ça? Je suis devenue transparente. Ma personnalité s'est-elle envolée? Apparemment, mon statut de "mère au foyer" s'est contenté de m'en priver. Au yeux de la société, je ne rentre plus dans le jeu de l'appareil économique si ce n'est pour acheter des couches et des fringues pour bébé. Aux yeux des femmes actives et "intelligentes", je suis devenue la boniche, consentante de surcroît. Pour mon mec, je suis là. Juste là. Sans risque: Je fais partie des meubles et au diable les maladresses!
Invisible. Ce n'est pas faux. Je me sens hors champ. En parcourant des revues, je distingue l'image d'Épinal de la Femme telle qu'elle doit être aujourd'hui. Plus encore que devrait, elle doit être: indépendante financièrement (et ça c'est essentiel), sexuellement hyperactive, sportive, bien gaulée, chargée de production ou comptable ou designer ou chargée de communication ou écrivain. Elle doit d'avoir 40 paires de pompes, se maquiller chic, porter de "belles matières", fréquenter les spas, être hyper amoureuse, et s'occuper parfaitement bien des enfants, ne rien manger...Ben voyons! Elle ne doit pas être moi, surtout pas moi..Paradoxe ou pipo? Je serais bien curieuse de savoir quel pourcentage de femmes cela concerne vraiment? A vouloir rendre la femme confiante, on l'a faite complexée... Par maladresse?
Je suis "mère au foyer".
Pourquoi la Mère devient-elle l'ennemi de la Femme si elle fait le choix de revenir (un temps) à la maison pour s'occuper de ses enfants? Pourquoi un choix personnel devrait-il être préjudiciable à l'ensemble de la cause féministe, si tant est qu'elle existe encore? Pourquoi en 2016 ne respectons-nous pas le choix sans jugement ou, en tout cas, les femmes dans leur diversité. N'est-ce pas cela La liberté, le respect du choix?
Je suis une "femme au foyer " qui veut tenir son rôle de Mère pour ensuite mieux se retrouver en tant que Femme. D'ailleurs, je ne sais pas pourquoi je conserve cette phrase si ce n'est pour la critiquer. Je n'aime pas cette scission qui a tendance à être faite entre la Mère et la Femme. Comme si je pouvais me couper en morceau. Pourquoi nous coupe-t-on toujours en morceaux? Quand je me regarde dans une glace, je suis toute seule. Si la mère devient quelqu'un d'autre qu'une femme devant son enfant comment alors une fillette peut-elle avoir une image réaliste de ce qu'elle sera en tant que femme? De quoi faire encore des générations et des générations de névrosées...On ne se scinde pas à mon avis, on se contrôle, au mieux.
Alors, qu'est-ce qui a bien pu se passer dans ma tête pour vouloir devenir un temps une "mère au foyer". Qu'est-ce qui peut pousser une femme "moderne" à accepter de perdre sa précieuse indépendance financière?
Mais l'Amour pardi! le manque aussi, voire une certaine forme d'exigence ou d'inconscience.
La philosophe, Elisabeth Badinter suppose dans son livre "Le conflit, la femme, la mère" que c'était mieux du temps de nos mamans. Cette époque légitime du "moi d'abord". Je suis née à la fin des années 70, décennie où la femme pensait que la libération sexuelle avait été faite pour elle et où il était nouveau de pouvoir décider ou non de sa maternité. La femme se libérait (enfin!) de l'enfant et quand elle devenait mère elle ne voulait plus lui "sacrifier" sa liberté. Quoi de plus compréhensible, en 1979. Elle expérimentait sa liberté si chèrement acquise en lisant en diagonale Dolto.
Ma mère ne sait pas quand j'ai mis ma première dent... Elle ne sait pas exactement quand j'ai fait mes premiers pas...J'ai eu une enfance solitaire avec la télé pour principale occupation. J'aurais aimé autre chose et c'est cet autre chose que je veux pour ma fille. L'entre-deux, entre la conservation de mon espace de liberté et mon rôle de maître Jédi. Je suis hyper exigeante et stressée de l'être.
J'ai arrêté de bosser pour capturer le temps. Parce que j'avais le choix. Un drôle de choix... que je devais faire alors que ma fille, trop légère, n'avait qu'un mois. J'ai écouté mes sentiments, je me suis sentie forcée.
C'est un peu plus tard que j'ai pris la mesure du choix que j'avais fait. Ce choix qui allait m'exposer aux critiques, aux jugements. Un choix qui me rendrait aussi immobile qu'une bibliothèque en chêne massif.
Le statut de "mère au foyer" m'a qualifié d'emblée comme "personne peu digne d'intérêt". N'est-ce pas l'activité la plus annihilante que la femme n'est jamais connu?
Et si le choix d'être mère au foyer pouvait-être un choix intellectuel?
J'ai choisi de regarder grandir ma fille comme une pousse qui sort de terre pour devenir une fleur, pas une plante verte. Observer un être humain depuis sa naissance, pourquoi ne serait-ce pas intellectuel? C'est magique. Passionnant. La beauté dans sa plus pure expression.
S'occuper d'un bébé à temps plein, ce n'est pas facile. Je suis consentante. Je vis en tête à tête avec Louise. Son univers à ma portée. Moi à la sienne. Toujours gaie, disponible. Comme je peux... Parfois, le soir j'attends un homme qui a besoin de se détendre.
La maternité change les directions. J'apprends. Je semble immobile. Rien ne l'est. Je n'accepte rien.
J'ai découvert une autre part de moi-même dans la maternité et je ne me suis pas arrêtée pour régresser mais au contraire pour progresser. Pour analyser.
J'ai pris la décision de m'occuper de mon jeune bébé par besoin d'accomplissement! Comme d'autres. Quelque part, j'avais l'opportunité de faire quelque chose de bien, qui me fasse du bien. A la fois pour tenter de combler un manque personnel qui est irrattrapable mais surtout pour éviter de reproduire les maladresses qui m'ont moi-même blessées. J'ai des regrets, je ne voulais pas de remords.
Je ne peux pas réduire ma décision à l'aspect "mère dévouée au bien être de son enfant", ce ne serait pas honnête. La naissance de ma fille était aussi l'occasion de prendre le temps de la réflexion. Peut-être pour la dernière fois. Ce temps de la réflexion qui semble si vulgaire de nos jours. A 15 ans, on doit déjà savoir qui on sera à 50 ans, alors que la stabilité professionnelle n'est qu'un honteux mensonge.
Réfléchir sur soi! C'est aussi cela la maternité, un moment où la réflexion sur soi devient inévitable, le moment où on se la prend en pleine face. C'est un facteur de transformation. C'est une nouvelle vie. Bouleversante. Il n'y a rien de plus intellectuel. En regardant l'immobile on se regarde à l'intérieur.
Surtout, je ne veux pas opposer les femmes. Je fais partie de celles qui ne se sont pas trouvées. Je suis une vraie complexée. Cette pause pour moi est un moment de réflexion. Si j'avais eu une carrière satisfaisante, je n'aurais pas fait ce choix. Cette recherche. J'aurais aimé être à l'aise avec moi-même et ne jamais avoir à ressentir ce besoin de me justifier.
J'avais envie de consigner pour Louise chacun de ses progrès. Parfois infimes. Si importants. Écrire pour elle les petites choses qui la construisent jusqu'à ce qu'elle lâche ma main. Une façon de lui laisser un héritage à ma portée: Sa mémoire. Je n'acceptais pas que quelqu'un d'autre assiste à son éveil au monde à ma place. J'en étais jalouse! C'était à moi de lui apprendre à vivre. J'ai quitté mon emploi. On m'y a un peu forcé car la loi s'arrange avec le choix....La liberté des uns commence où se termine celle des autres. J'en conviens.
Ce choix, je l'ai fait pour moi, pour elle, mais aussi pour aider mon compagnon qui ne le reconnaît pas. Avant qu'il ne soit trop tard.
"Louise, mon étoile. Pars découvrir le monde! Je te suis ! On prend ton tricycle ! Je m'occupe des biscuits!"
Un jour, ma fille adolescente me dira peut-être que je suis une mauvaise mère. Que je n'ai pas su être un exemple. La mère de sa copine Noémie elle, sera médecin. Elle aura réussi. Elle. Peut-être...
Je lui pardonnerai sa maladresse. Je lui balancerai que sa méchanceté est due à l'immaturité de son cerveau pas fini d'adolescente. Qu'être une petite conne maintenant lui évitera des années de psychanalyse une fois adulte. Du temps perdu à parler de moi. Je serai blessée, je serai méchante. Je pleurerai certainement.
Je regrette que les pires ennemies de la cause des femmes soient les Femmes elles-mêmes. "Pestes entres elles, disent-ILS..." Le machisme s'est toujours affranchi des catégories socio-professionnelles quand le "féminisme" commet la maladresse de les diviser. Imaginons qu'il nous unisse autour d'une tolérance fédératrice?
Et puis un jour, Louise viendra vers moi. Elle saura. Elle viendra son Moleskine violet à la main.
Je serai quelqu'un malgré toutes mes maladresses.
Vous etes toujours drole, juste et mordante? Pourquoi ne pas mettre à profit vos années d'amour avec Louise qui passeront vite quoiqu'en soit le résultat une fois Louise adulte, en écrivant un roman sur Louise. Et vous emmerderez de tout votre coeur toutes ces putes en votre qualité d'écrivain ou scénariste ou auteur de livres d'enfants ... ? Vous avez la talent je crois pour le faire, un peu le style à Gavalda.
· Il y a plus de 8 ans ·Isabelle Polle
Je rajoute en votre qualité d'écrivaine mère au foyer par amour de son enfant.
· Il y a plus de 8 ans ·Isabelle Polle
Bonjour Isabelle, je découvre votre commentaire qui me touche sincèrement. Quelque part un recueil me trotte dans la tête. En tous cas je lierai ces textes pour les offrir à ma fille afin que cela lui soit utile le jour où elle se posera ces mêmes questions. J'écris ces textes quand ils deviennent nécessaire mais pour transmettre aussi. Il y a tellement de légendes sur la maternité et si peu de transmission. J'aime l'idée de transmettre l'expérience comme les femmes avant le faisait dans des clans. Merci.
· Il y a environ 8 ans ·same
Ah ! Mouflette, être femme n'est vraiment pas une sinécure ! On nous juge toujours, on guette le moindre de nos pas. Avant, il fallait rester à la maison, sinon on était de mauvaises mères. A présent, il faut être la femme dynamique, jamais fatiguée, qui gère tout avec le sourire aux lèvres ! Moi, je dis NON et NON. Pour mes deux premiers enfants, que de larmes rentrées lorsque je voyais leurs propres larmes lorsque je les laissais chez la nourrice tous les matins. Si j'en ai eu un troisième, c'est parce que j'avais décidé de l'élever, m'en occuper, c'est le mot plus exact pour moi, un bonheur ! Et j'étais très bien dans ma peau et il a eu plein de câlins, et il m'en a remercié plus tard. Ma fille, elle, m'a reproché de n'avoir pas eu assez de temps perce qu'en rentrant le soir, il y avait tout à faire et en plus le mari dont il fallait s'occuper ensuite ... Remarque, je n'avais pas eu le choix au départ, pas assez d'argent. Bon, bref, profitez bien de votre fille chère mouflette, sans complexe aucun. Ah ! j'ai trouvé votre texte formidable ! C'est l'émotion que l'on ressent en le lisant qui compte, et puis c'est très bien écrit !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
Merci Martine! Ça me touche beaucoup. Je ne regrette pas mon choix car c'est incroyable d'observer ma fille s'éveiller au monde et en être pleinement maitresse mais mes sentiments sont mélangés. Ce choix est aussi un révélateur cruel sur la féminité, la maternité, le couple....
· Il y a presque 9 ans ·same
Oui, les instants partagés avec votre fille, vous ne les oublierez jamais et elle non plus, je vous assure. Ces premières années de la vie sont si précieux, mais passent si vite. Et puis, vous n'avez à rougir de rien, vous êtes journaliste, franchement, plutôt que d'être une simple dactylo, j'aurais bien aimé avoir un tel métier ! Toute mon amitié Mouflette !
· Il y a presque 9 ans ·Louve
précieuses
· Il y a presque 9 ans ·Louve
c'est très intéressant, très bien analysé, mais franchement trop sérieux. N'ayez pas peur de couper dans la longueur. Je n'ai pas pu vous lire jusqu'au bout, être concis cela donne de la densité et de l'intensité à vos idées. Je ne vous dis pas cela par esprit de contradiction. Je suis écrivain depuis 40 ans, et je m'applique les mêmes règles que ceux que je vous ai formulés. Sur le fond d'accord avec vous sur tout.
· Il y a presque 9 ans ·elisabetha
J'avais aussi ce sentiment. Merci, pour cette critique, c'est ce que je cherche ici. Je vais en tenir compte.
· Il y a presque 9 ans ·same