Point culminant

petisaintleu

A onze, je me suis lancé un défi. Après avoir appris tous les pays du monde et leur capitale, reconnu tous les drapeaux imprimés en page de garde et de fin du dictionnaire offert par la mairie pour mon passage en sixième, je m'attaquais à ce qui m'apparaissait alors comme un Everest des connaissances géographiques. J'apprenais leur point culminant.

Je suis aujourd'hui bien incapable de les nommer. Bien que je sois toujours à la recherche de sommets dont je suis le seul à en comprendre le moteur qui me pousse toujours plus haut. Même si je sais qu'en haut des pics, je serai toujours asphyxié par l'effroi de contempler en contrebas mes abysses de désespérance. Attiré par le vertige des travers que j'ai semés comme autant de chausse-trappes pour me damner.

Ainsi, je les connaissais sur le bout des doigts. À longueur de journée, je me les récitais comme je l'aurais fait en égrenant des Ave Maria sur un chapelet. Pourtant, ce n'était pas à moi qu'aurait dû revenir le triste privilège d'expier mes fautes. Croyez-moi, à onze ans, j'étais encore l'innocence faite homme. Jusqu'au jour où on me poussa, contre nature, à devenir homme. Dès lors, je n'avais pas d'autre choix que d'attaquer l'ascension dans l'éternel espoir de trouver un air moins vicié. Cette année-là, c'était celle de ma communion. Le crâne farci de catéchèse, j'espérais trouver la compassion. On a dû se louper avec le Très Grand au plus haut des cieux. Après avoir gravi les  pentes les plus abruptes, je ne trouvais à chaque refuge que la désolation. Ma nature ayant horreur du vide de la solitude que je cherchais à combler, je l'occupais cahin-caha mais en général de manière chaotique.

Le soir, pour rechercher le sommeil, j'avais trouvé mes ovins : K2, Elbrouz, Mont Ararat. Depuis je les ai remplacés et je joue à saute-moutons avec, en guise d'arrière-train, toutes les croupes sur lesquelles j'ai croisé le fer pour chercher à combler le trou béant de ma matrice inexistante.

Je suis conscient qu'au-delà de l'atmosphère, je ne trouverai que le néant de l'espace infini, sans l'espoir d'un retour plus terre à terre.

Alors, dans l'espace sidérant, il me reste toi pour espérer que tu me satellises. Je sais que tu n'es pas Gaia, la mère nourricière originelle. Je ne t'en demande pas tant. Je ne souhaite que peu de choses. Ne sois pas un météore, laisse-moi un peu t'apprivoiser et découvrir en toi suffisamment de vertes vallées et de sources limpides pour reprendre pied. Tu ne seras qu'une hâte provisoire mais salvatrice grâce à ta gentillesse et à ton hospitalité, pour me permettre d'être suffisamment approvisionné pour reprendre ma quête solitaire.

Depuis plus de quarante ans, la sonde Pioneer émet toujours dans le froid et le vide aux confins du système solaire. En sera-t-il autant entre nous dans quatre décennies ? Nous que le hasard nous a fait nous rencontrer. Ou reprendrons-nous nos propres vies, nos propres espoirs, nos propres désillusions, nos propres désespoirs ?

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