Portrait inachevé de Matildhe

silhius

Son port était austère et contrastait avec la sensualité sauvage qu’elle exprimait en faisant l’amour. Un regard froid et dur, une moue souvent boudeuse. Les cheveux étaient tirés en un minuscule chignon qui dominait son crane. Une taille fine, des épaules assez carrées, Elle se tenait toujours droite et fière. Habillée de vêtements passe partout, pantalons stricts, pulls aux couleurs sombres, seuls parfois ses hauts talons laissaient deviner ses envies de supériorité.
Elle s’était persuadée de n’avoir aucun talent intellectuel. Elle avait passé les deux dernières années à préparer son diplôme avec un certain acharnement mais sans grande conviction. Elle l’avait finalement eu, mais était convaincue que c’était uniquement à cause de son cul. Elle était devenue putain par ennui. Elle aimait le sexe et avait trouvé la une manière d’allier l’utile à l’agréable. Soudain, les hommes se mirent à la courtiser, la flatter. Tant d’hommes charmants,  aucun ne s’imposait par la force.  Quelques mots justes, des perversités qui rejoignaient les siennes et surtout des billets qui lui donnaient le vertige.  Elle découvrit vite qu’ils étaient prêts à tout pour la rencontrer. Elle avait compris la faiblesse des hommes, elle allait en profiter. Elle ne disposait pas uniquement de leurs sexe, mais aussi de leurs culs. Elle pouvait les baiser, les frapper, les insulter, les humilier, leur demander de lui servir de larbins, d’esclaves, de chauffeurs, se faire inviter, partir au soleil. Tout était soudain possible sans aucune limite. Grisée, elle plongeât car c’était peut-être son unique ressource de talent. L’argent l’avait rendue soumise au désir des hommes.

Elle enferma son cœur solitaire et froid dans un égoïsme sans fond. Un homme l’aimait pour ce qu’il pensait qu’elle était vraiment. Elle l’utilisa un temps, tant que les quelques scrupules qui l’animaient encore la freinaient de devenir une putain à plein temps. Il essaya de la retenir, effrayé par cette avidité sans fin. Elle se vengeât en lui cachant la comédie de ses désirs. Elle s’amusa avec lui, remplie de mauvaise foi, de mensonges et d’arrogance. Il encaissait, faisait semblant de croire que les mots de la putain étaient sincères, alors qu’elle ne les clamait que pour mieux jouir du spectacle de cet homme qui sombrait, achevé par la méchanceté dont elle faisait preuve à son égard.
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Elle a peut être rêvé quand elle était une petite fille. Il n’y a eu que des garçons qui lui ont fait croire que seul son cul méritait leur attention. Elle ne leur a de toute façon montré que cela, le reste elle l’a caché. Mais y a-t-il autre chose? Finalement, elle ne vaut pas plus que les billets qu’on lui tend pour profiter de ses charmes.

Les hommes concupiscents se précipitent à sa porte, tentent de faire preuve de séduction pour grappiller quelques instants de plaisirs. Un jour ils se détourneront d’elle, car la splendeur se ternie, quelques ridules accableront le regard qui s’éteint et le corps qui se flétri rejoindra son âme depuis si longtemps desséchée. Un jour s’évanouiront tous ces hommes qui n’ont vu en elle qu’une apparence, un sourire de circonstance, des plaisirs immédiats et sans conséquences.
Demain, restera peut-être le souvenir d’un fantôme qui l’aima à la folie, cru à ses mensonges, chercha à ne pas voir ses trahisons. Les pathétiques efforts qu’il entreprit furent très vite piétinés par ses sarcasmes et ses humiliations. Parce qu’il avait osé montrer son attachement, elle l’asphyxia dans les eaux-troubles de son cynisme. Enivré par ses belles paroles, il ne vit pas qu’il n’était la que pour servir de cobaye. Elle joua avec lui, non pas pour unir leurs envies respectives, mais pour mieux affirmer ses envies de prépotence sur l’autre.
La putain aime le soumis car s’il gémit sous sa hargne c’est de plaisir. Le soumis sait attendre dans sa niche qu’elle daigne s’intéresser à lui. Elle le siffle et il accourt la langue pendante, la queue frétillante vers sa maitresse. Peut importe qu’elle lui prodigue caresses ou coups, il se satisfait de ces quelques instants d’attention. Elle n’aime rien d’autre que d’utiliser le chien, sans rien lui offrir en retour, si ce n’est sa morgue hautaine et méprisante. Les masochistes avides de petits plaisirs minables, jouissant de ses insultes et de son regard hautain peuvent s’en délecter.
Beaux bergers, vous qui un jour peut-être croiserez les beaux yeux de la gourgandine, fuyez à grands pas. Ou bien tel Ulysse, sachez garder raison pour ne pas vous laisser envouter. Goutez à ses lèvres, osez butiner son cul, mais surtout n’ouvrez jamais votre âme, cachez votre flamme sous peine de subir les foudres de la garce qui n’y verra que faiblesse. Ne faites pas comme lui, qui se laissa emporter par les remous bruissants de ses mots. Ils ne sont qu’un appât posé sur le piège de sa cupidité.
Si comme lui vous plongez, bientôt vous flotterez dans les brumes froides et humides qui recouvrent les champs stériles d’hiver, chantant indéfiniment la complainte des amants morts.

Elle a certainement du habilement se trouver une petite cours de fidèles thuriféraires qui la soulagent dans ses tâches quotidiennes, la divertissent, assurent son bien-être financier et accessoirement sexuel. Le miché et le soumis ont le grand avantage de ne jamais rien exiger qui pourrait importuner la vie de la catin. Elle n’est plus obligée d’inventer une fiction pour satisfaire ses petites envies égoïstes. Elle peut profiter de leur générosité sans vergogne. Ainsi tout lui tombe tout cuit dans la bouche et le cul. Rien à partager et offrir (si ce ne sont ses orifices, quelques coups de fouets et quelques instants de sa précieuse vie mais elle est rémunérée pour cela), juste profiter et utiliser. En plus, après, elle peut aller papoter avec ses copines putes et se goberger d’eux.

La petite comptable sans avenir, s’est laissée grisée par ce pouvoir qui se refusait à elle depuis si longtemps et qu’elle est incapable d’obtenir autrement qu’avec son cul. Pour enfin avoir l’impression d’exister, elle s’est enfoncée dans l’imposture sentimentale et mercantile, paradant avec son masque vaniteux, condamnée à plaire pour offrir une séduction fallacieuse, pleine d’ingratitude et de désirs qui se fanent dans l’heure, étalant sa prépotence de pacotille, simplement pour oublier qu’elle n’est rien.


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