Progression dramatique.

Justine a une zoophobie. Elle a une peur panique des serpents. Une phobie n'est pas une crainte rationnelle, elle ne repose pas sur un risque réel. Justine ne peut pas regarder une image de serpent, quel serait le risque d'un serpent de papier ? Mais l'image qu'elle voit, suffit pour déclencher l'angoisse en elle et jeter le magazine qu'elle feuilletait au milieu de la salle d'attente de son dentiste, sous les regards étonnés et réprobateurs des autres patients… Justine est phobique.

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Le boa est un beau serpent, pour celui qui voit de l'esthétisme dans ce tuyau ondulant et fuyant comme une fouine. Personnellement, à part pour les mots croisés, je ne vois guère son intérêt. Les serpents nagent très bien, enfin celui-ci nageait très bien. Il évoluait dans un conduit d'une circonférence à peine plus large que lui. Par la reptation de son corps inachevé, il progressait dans l'eau sur des portions parfois totalement verticales. Sa souplesse lui permettait de passer des siphons aux courbes serrées, rien ne l'arrêtait. Il sortait à l'air libre quand il le pouvait et se retrouvait dans des pièces carrelées, que pouvait bien savoir cet esprit reptilien de l'environnement qu'il découvrait loin de toute nature. Rien ! Un serpent ne se pose pas de questions existentielles, il ne se pose pas de question, du tout !  Il progresse, sent de sa langue fourchue, voit de ses yeux fendus et réagit par instinct primitif. Le serpent est un grand intuitif !

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Justine habite un appartement parisien au 6^e étage. Elle aime sa déco bobo, le confort cosy de son home sweet home. Elle aime bien recevoir ses amis, aussi et leur préparer de petits plats. Justement ce soir elle a des invités.

-         Dis, ma chérie, je peux utiliser tes toilettes, j'ai une envie pressante.

-         Bien sûr Cathy ! C'est la première porte à gauche.

-         Merci ! Tu me fais un mojito en attendant, s'il te plait, je meurs de soif !

Justine prépare un deuxième dring à son amie qui tarde à revenir. Puis elle discute avec ses autres convives et ne pense plus à Cathy.

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Le boa est en apnée depuis trop longtemps, il lui faut de l'oxygène, il passe un dernier, droite, gauche et peut enfin reprendre son souffle la tête à l'air libre. La faim le tenaille, plus d'un mois qu'il n'a rien mangé. Les serpents constricteurs mordent leurs proies pour les maintenir et s'enrouler sur elles pour les étouffer. La pression est si forte que les organes intérieurs de la proie explosent, ils broient les os pour faciliter ingestion. Ses mâchoires se désolidarisent pour qu'ils puissent avaler des corps bien plus gros que le sien. Notre boa, langue sortie, comme les cornes d'un diable, ressent des vibrations qui se rapprochent, il se connecte en mode défense.

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Cathy est revenue, elle remercie Justine pour le mojito et en la tirant par le bras, un peu à l'écart, lui demande.

-         Pourquoi il y a une grille au fond de tes toilettes ?

-         Oh, laisse tomber, une lubie !

-         Je l'ai retirée, je ne voulais pas faire dessus.

-         Ce n'est pas grave, je la remettrais.

-         Tu m'expliqueras ?

-         Oui… mais plus tard !

Justine ne tenait certainement pas à lui expliquer, ni maintenant, ni plus tard, qu'elle avait lu dans un magazine qu'un serpent était remonté par le conduit des évacuations des eaux usées pour se trouver nez à fesses avec la locataire légitime de l'appartement. Maintenant, qu'elle savait que la grille manquait, elle ne se sentait pas en sécurité. Un sentiment de malaise l'oppressait. Elle s'éclipsa pour remettre la protection.

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Que voulez-vous savoir de ce qu'il se passe dans la tête d'un serpent ? Il sent une présence par des récepteurs thermiques et hésite entre deux actions, la fuite ou l'attaque. Généralement c'est la fuite qui prime, mais le serpent n'a pas encore pris assez d'oxygène pour replonger, il attend pour voir.

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Justine pense qu'elle aurait dû demander à Jean-Pierre qu'il remette la grille, lui, connait bien sa phobie, il l'aurait comprise, mais elle ne l'a pas trouvé, il a dû aller s'acheter des cigarettes, il n'en avait plus. « Oh, eh, arrête un peu ta parano, ma fille, tu remets la grille, tu l'as clips et tout rentre dans l'ordre ! Ce n'est, quand même, pas sorcier ! » S'encourage-t-elle.

Elle ouvre la porte, attend, puis rentre.

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Le boa n'a toujours rien décidé, pas assez d'informations pour produire un réflex cérébro-spinal, il attend dans un vide d'émotions, le serpent n'est pas un grand émotif.

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Justine réapparait blanche comme un drap, essoufflée, mais réconfortée. « Putain ! Quelle idiote je fais, de me faire des peurs pareilles, t'es vraiment complètement cinglée, ma pauvre fille ! » Elle va se préparer un autre mojito, elle en a besoin. Elle sourit de toutes ses dents nacrées à tous, comme si elle venait de gravir l'Himalaya. Elle est rayonnante dans son petit haut moulant et sa jupette courte. Très Belle Fille, cette Justine !

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Le serpent n'a rien compris. Il y a eu un choc, du noir, puis plus rien.

-         Marcel ! Viens voir, ça ! J'ai foutu un coup de pelle à un lézard de deux mètres dans tes chiottes.

-         Quoi ?

-         Viens voir !

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Quand je vous le disais que les serpents étaient cons comme des tuyaux d'arrosage, même pas foutu de se rendre à la bonne adresse. Il s'est trompé d'étage, de bâtiment, de ville, de pays et de continent. A la Havane le Boa du Cuba n'effraie plus personne. Il est en voie d'extinction, car il ne sait même pas lire les plans.