Promenade au Père Lachaise.

Simonne Carre

Je suis née à Paris dans le 20ème arrondissement au 62 bis, rue des Rondeaux. Les fenêtres de notre appartement donnaient sur le cimetière du Père Lachaise. Aucune tombe ne s’offrait à notre vue ; seulement un parc de verdure dont l’horizon se boursouflait du dôme du crématorium. En ces années 1920, les crémations étaient rares et lorsque mon jeune regard voyait les fumées s’élever de la cheminée je ne manquais pas de poser à mes parents des tas de questions parfois surprenantes ! Nous étions catholiques et à cette époque l’église interdisait la crémation, ce qui rassurait pleinement… Je ne passerais pas mon éternité réduite en poudre… et enfermée dans une de ces petites urnes scellées le long d’un mur ! Allez-vous me croire si je vous dis que jusqu’à mes 6 ans je n’ai connu qu’un square : le cimetière du Père Lachaise ! Ce que j’ai pu courir sur les pavés de ses larges allées bordées d’arbres centenaires ! Je garde surtout un souvenir ému pour un certain petit chemin aux tombes alignées moussues, assez vétustes du reste dont la pierre parfois s’effritait. Avec maman nous fréquentions cet endroit inconnu des promeneurs curieux, qui venaient rechercher une histoire oubliée d’un personnage connu. Maman affectionnait ce tout petit sentier désigné simplement sous le nom de « sentier des chèvres ». Assise sur un pliant, écoutant les oiseaux, elle dépliait l’ouvrage qu’elle avait emporté tout en gardant un œil sur l’enfant remuante que j’étais ! Quant à moi, j’emportais des jouets. Des tombes abandonnées me servaient de support. De minuscules chapelles oubliées abritaient mes ébats. C’étaient… de « vrais palais »… où j’installais « ma vie » et celle de ma poupée. Je posais des questions et maman répondait. Le cimetière me comblait en tous points. Je me souviens, entre autre, d’une statue équestre, très haute que l’on vouait de loin. Juché sur un cheval, un maréchal d’empire tenait d’une main ferme les rennes de la bête. Scène de bataille sans doute. Le cheval se cabrait, la scène semblait vivante. L’ouvrage terminé, on inaugure l’ensemble. Désespoir du sculpteur qui s’aperçoit d’un coup qu’il avait oublié le mors du cheval… Ne pouvant supporter cette erreur de travail, il revint le lendemain, monta sur le haut de la tête du cheval et s’élança dans le vide. Il mourut sur le coup. Le cimetière à lui seul est un livre d’images. Plus tard, quand je grandis, nous ne fréquentions plus le cher petit sentier. Je fis d’autres rencontres avec le passé. Musset et sa maman et ce saule planté près de sa tombe. « Mes chers amis, quand je mourrai plantez un saule au cimetière j’aime son feuillage éploré et son ombre me sera légère à la terre où je dormirai. » Je crois que ce fut le premier poème que j’ai appris. Je restais pétrifiée devant le monument du jugement dernier. Ces hommes et ces femmes nus pleurant en s’accrochant à la porte de l’enfer me remplissaient de peur. Maman avait toujours une anecdote à me raconter. A n’importe quel âge et à n’importe quelle occasion, elle trouvait le moyen de m’enrichir l’esprit. Elle me parlait des maréchaux de l’empire, de la tombe d’Allan Kardec dont le buste chaque jour est fleuri de fleurs fraîches. Près de lui se trouvait une sorte de mausolée en pierres nues, sévères. J’ai oublié le nom de celui qui y repose mais je me souviens de l’histoire qui s’y rattache. Ce monsieur avait fait le pari de vivre un mois dans son monument. Une énorme porte munie de croisillons en fermait l’ouverture. Il est mort au bout de deux jours par manque de circulation d’air. La tombe de Géricault elle aussi m’intriguait. Sorte de parallépipède sur lequel le peintre,  à demi allongé tenait palette et pinceau. Sur une des faces du monument la reproduction du célèbre « radeau de la méduse ». J’aimais voir les bustes : Balzac, Delacroix, Félix Faure. Je « leur » posais des questions… et maman me répondait !S’installait ensuite une sorte de dialogue qui, en grandissant devait être sans doute de plus en plus intéressant. Il me revient pourtant en mémoire l’embarras de maman lorsque nous passâmes devant la tombe de Victor Noir… La pierre tombale est recouverte d’un gisant représentant ce monsieur tout habillé. Le bronze foncé faisait ressortir autant ses rides que les boutons de son gilet. Pourtant un détail attirait immédiatement l’œil du passant. Une rotondité rutilante gonflait le pantalon… « Maman, pourquoi ça brille en haut des jambes du monsieur ? ». Ma chère mère ne pouvait me dire que tous les soirs certaines femmes se faisaient enfermer dans le cimetière pour y passer la nuit et s’allonger sur le gisant ! Maman faisait mine de ne pas comprendre et m’entraînait vivement vers le clos du Bon Pasteur ramenant son troupeau de brebis ! Là, comme par miracle je retrouvais ses commentaires avec en… prime… celle qui s’était égarée et qu’il ramenait sur ses épaules. Cela ne captivait qu’à moitié mon attention. Je préférais de beaucoup aller vers la tombe d’Héloise et d’Abellard. Adolescente j’étais incollable sur ce philosophe qui tomba follement amoureux d’une de ses élèves. Ils se marièrent secrètement puis au bout de quelques années durent se séparer. Elle entra au couvent et continua une correspodance éperdument amoureuse avec lui. L’histoire de cette passion me faisait rêver ! Une fois par an se déroulait une cérémonie au mur des Fédérés. La gauche, sous la houlette de Duclos sortait de l’oubli les fusillés de la Commune de 1871. Les derniers Fédérés retranchés dans le Père Lachaise laissèrent leur vie contre le mur du cimetière dans les émeutes d’une semaine sanglante d’un Paris surchauffé. Le Père Lachaise contient encore beaucoup d’histoires… C’est le plus grand espace vert de la capitale, 43 hectares. A l’origine, c’était une propriété de campagne, La Folie Regnault devenue un lieu de retraite de Jésuites. C’est la que vécut le Père Lachaise qui n’avait pas toujours été le saint homme que j’imaginais dans ma cervelle d’enfant…Confesseur du Louis XIV il avait, tout comme son célèbre pénitent, profité de bien de charmes et tentations offertes par la vie et que ce digne révérend, optait bien souvent pour des retraites … pas toujours catholiques ! Mais ça, ce n’est pas maman qui me l’a appris !

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