Putain de dimanche!

ysee-louise

Détestable dimanche, haïssables dimanches, putain de dimanche !!!

Je suis en colère, j’ai peur, je pleure, j’ai envie de hurler, je hurle à l’intérieur, je tremble, je chavire, je me noie, mes entrailles ne sont qu’angoisse. Le salop !

 Doux dimanches

 Petite fille, j’attendais toujours le dimanche avec une grande impatience. Samedi, que nenni, jour de ménage, de course, des choses à faire, des visites, des sorties. Dimanche, oh ! Magnifique, sublime dimanche ! Grâce matinée après le ciné du samedi soir au Gaumont du Pont de Sèvres ou Champs-Elysées, tous les quatre confortablement installés dans le canapé bleu-mauve. Steack haché-frites, ou poulet-frites, ou gnagna-frites, mais des friiiiiites…miam, des frites ! En plus des frites fraiches, patates épluchées par maman et papa, joyeuse discussion dans la cuisine. Engueulade après pour savoir qui lave la friteuse, mais pas grave, frites quand même ! Comme si un bonheur ne suffisait pas, avec les frites, le feuilleton du dimanche. Starsky et Hutch, et puis quelques années après, Les trois drôles de dame. Mais ce n’est pas tout, non, ce n’est pas tout.

 Il y a mieux encore ! Les dimanches papa et les dimanches maman. Tout de même les frites et le feuilleton, mais pas de grâce matinée. A la place, un programme d’enfer : toute la matinée, avec l’un rien que pour moi, pendant que l’autre n’est rien que pour mon jumeau. Au choix, plaisir, plaisir ou plaisir. Par exemple, confection d’un gâteau qui sera le dessert de notre déjeuner enchanté. Ou alors, plongeon dans la piscine et tang à l’orange à la sortie. Et puis l’après-midi, on inverse, l’autre rien que pour moi, et l’un rien que pour mon frangin. Au programme, dessin géant, confection de coussins avec du tissus hawaïen et nos prénoms brodés à la machine à coudre, sortie récolte de châtaignes à faire griller pour le goûter… Les plus merveilleux papa-maman du monde !

Dimanches copains

 Collège, les après-midis chez Manu. Aux beaux jours, parties de foot dans son jardin ou dans les bois juste à côté ; L’hiver, musique à fond dans sa chambre, toute la bande vautrée dans un imbroglio de jambes et de bras sur son lit. Quelques essais de films enregistrés à la sauvette le samedi soir sur canal, mais rien de très concluant de ce côté. Indiana Jones, c’était quand même mieux !

 Puis, fin lycée, début de fac, la bande des ingénieurs. En moyenne, tous, 5 bonnes années de plus que moi. Petite sœur qu’on trimballe partout, la coqueluche du groupe, avec laquelle on ne couche pas mais dont on ne peut se passer. Je fais de bons gâteaux, je fais rire tout le monde, et je suis toujours partante pour tout, un vent de joie dans le groupe. Les sorties du samedi soir, dodo chez les uns ou les autres parce que plus de transport pour rentrer à cette heure tardive. Mon petit sac à dos solidement vissé aux épaules, kit de rechange pour squat de nuit chez les autres ou les uns. Et puis le lendemain, réveil un peu chiffonné, brunch de fortune, foot avec tout le monde dans le parc de Vincennes, ou alors grande ballade en forêt et chocolat chaud à Saint-Maurice. Enfin, toujours un pour se dévouer pour me ramener en voiture dans ma banlieue à l’autre bout de Paris. Trop sympas les gars, trop chouette les dimanches entre potes !

Dimanches lascifs

 Ces dimanches là, ça me fait mal au bide aujourd’hui de les raconter. Maintenant, ça me tord, me blesse au-dedans, grosse boule piquante et brulante sous le plexus. Mais à l’époque, c’était si merveilleux… oui, ces dimanches là méritent tout de même d’être contés, parce qu’ils ont tant compté…

Toulouse, la chambre d’étudiant. Un lit moins-d’une-personne, étroit comme un lit de l’armée, coincé entre une planche fixée de mur à mur sous la fenêtre en guise de bureau et un lavabo en émail blanc avec un seau jaunâtre en dessous. Sous la planche, une chaise et un petit frigo acheté la deuxième année. Au dessus, un petit téléviseur couleur et un poste de radio-cassette.  Près de la porte, face au lavabo, un haut placard étroit et une plaque électrique posée sur une chaise. Un château, un palais, un pays enchanté ! Peu importe le manque de place, puisque ces murs abritaient notre amour, notre passion.

 Il faisait les courses le vendredi matin au Monoprix, séchait les cours, remplissait le frigo, faisait le ménage à fond, changeait les draps et courrait à la gare, attente interminable du dernier T.G.V. en provenance de la capitale. Dans son impatience à me voir, il m’avoua plus tard qu’il arrivait souvent plus d’une heure à l’avance, quel que soit le temps, et employait ces soixantaines de minutes à arpenter rageusement le quai de la gare Matabiau de long en large. Enfin, il me serrait dans ses bras et nous ne quittions que rarement la chambre, en tout cas les premiers temps, ayant tout ce dont nous avions besoin : la peau de l’autre, le souffle de l’autre et de quoi manger dans le réfrigérateur.

 Plus tard, nous avions troqué les dimanches lascifs contre des expos, rétrospectives cinématographiques et autres promenades le long de la Garonne ou sur les places animées. Mais quoi que nous fassions, le peau à peau ne cessait jamais. Si je n’étais pas dans ses bras, il m’enlaçait la taille, ou, si nécessité l’exigeait, il me tenait la main, mais, même au restaurant, il ne pouvait se décoller de moi. Il fallait un contact, du pied, de la jambe, du bout des doigts, mais un contact tout de même. Délicieux dimanches, fébriles des plaisirs dont nous savions qu’ils allaient prendre fin dans quelques heures pour se muer de nouveaux en désirs insatiables jusqu’au dimanche de la quinzaine suivante.

 Dimanches heureux et doux

 Nous vivons ensemble. Fini les dimanches à se morfondre en attendant le dimanche suivant avec tant d’impatience que c’en est douloureux physiquement. Enfin, se savoir là, l’un pour l’autre, chaque jour et chaque nuit. La paix, la douceur, la satiété. Rituels bien rythmés : un dimanche par mois, visite chez Manou. Elle l’adopte comme son propre petit-fils, elle le gâte, le ressert, lui fait ses gâteaux préférés, poire ou ananas, c’est selon. Le reste du temps, déjeuné en famille, chez son frère, chez sa sœur, chez son autre sœur, ou bien chez sa mère, mais de toute manière, toujours, avec tous les frères et sœurs, sous la houlette de belle-maman. Ça cancane dans la cuisine, ça parle voiture et ordinateur dans le salon, et puis les femmes servent leurs hommes, et puis finalement tout le monde mange, ces repas interminables qui durent des heures et font prendre le dessert à l’heure de goûter.

Mais c’est gai, les couples sont tous jeunes et amoureux, les enfants ne sont pas nés, il n’y a pas encore ni la fatigue, ni l’usure du temps.

Dimanches mornes, mornes dimanches

 La routine, la routine. Arrivent les enfants, la joie et l’enfermement tout à la fois. On voit moins la famille, on ne voit plus du tout les amis, priorité aux bébés. S’il a un petit rhume, une colique, une dent qui pousse, tout s’arrête, le monde disparait, on se calfeutre à la maison, et surtout, surtout, on ne bouge plus ! Petite distraction tout de même, s’il ne fait pas trop froid, la sortie-poussette aux étangs de Ville d’Avray. C’est beau, ça fait du bien.

Dimanches tristes, dimanches vides.

 Les enfants grandissent. On retourne voir la famille tous les dimanches. Et puis, déménagement. C’est trop loin, on les voit de loin en loin. Je vais voir Manou toute seule, les enfants la fatiguent trop. Il va parfois seul voir sa famille ; Vaincue par trop de critiques de belle-mère et belles-soeurs je reste seule à la maison. Sinon, on profite du jardin, du parc, de la forêt de Montmorency. Mais, il faut se rendre à l’évidence, malgré les efforts de chacun, nous avons de moins en moins de choses à nous dire, de moins en moins de choses à partager, de moins en moins de choses en commun.

 Le dimanche, je m’ennuie, et je me surprends à attendre avec hâte l’arrivée du lundi, pour être enfin tranquille, faire des choses de la maison ou des choses pour moi, mais sans lui, sans ennui.

Dimanche de merde !

 Il est des dimanches où on ferait mieux de ne pas se réveiller du tout, attendre le lundi matin pour sortir du lit ! Il y eut ce dimanche mémorable et hallucinant, retour de mon mari au petit matin, encore tout imbibé du parfum de l’autre, chemise bleu turquoise pétante toute neuve, sourire aux lèvres :

« - Chérie, j’ai quelque-chose à te dire. C’est merveilleux la vie, on peut aimer sincèrement deux personnes en même temps. Elle est tout aussi magnifique et intelligente que toi. Elle sera mon amoureuse du dimanche et des distractions. Toi tu restes mon épouse, la mère de mes enfants… »

Bon d’accord, je ne l’aime plus. Bon, d’accord, dans un certain sens ça m’arrange, ça m’aide à prendre ma décision, mais tout de même, c’est un choc, un coup de massue. Il en rajoute, je me décompose.

Détestable dimanche, haïssable dimanche, putain de dimanche !!!

 Samedi soir agréable. Ma copine m’a invitée avec les enfants pour fêter mon anni un peu en retard. Elle est décidément beaucoup trop gentille, a acheté deux gâteaux à la boulangerie, fait deux quiches… Elle a fait venir sa copine vierge folle comme moi, qui a apporté le champagne. On a eu droit toutes les deux à un cadeau. Les filles m’ont écrit une chanson qu’elles ont tapée à l’ordi pour que je l’emporte chez moi. Répétition générale secrète dans la chambre du fond, puis concert privé de la joyeuse troupe de loulous au complet, rien que pour moi, « Joyeux anniversaire, tu es vraiment super, Laur Laur, on t’adore… ». Retour à la maison un peu trop tard, pas raisonnable, mais bon, c’est une fois l’an. Monsieur m’attend. Il est allé au ciné avec un copain, mais il ne s’est pas couché en rentrant, il veille et surveille.

 Le lendemain matin, tâches ménagères, montagne de linge sal à abattre. Repas mitonné, parce qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien, et que je ne suis pas mesquine. Je ne vais pas cuisiner pour les enfants et moi et le laisser manger seul. On déjeune tous ensemble, c’est mieux pour tout le monde. Je prends sur moi parce que je n’ai rien à lui dire, pas envie de discuter avec lui. Mais bon, il est là, les enfants sont là, je fais un effort.

 Les enfants ne veulent pas de dessert. Ils montent jouer « au club » dans leur chambre. Dessert à deux, j’en profite pour remettre doucement sur la table le sujet qui m’importe : « Que fait-on ? Est-ce qu’on vend la maison ? Comment s’organise-t-on pour les enfants ? » Il me dit de nouveau qu’il ne sait pas, que je dois lui laisser 3 à 6 mois le temps que sa situation professionnelle se stabilise, qu’on verra ensuite. J’augmente la pression d’un cran, en douceur, mais d’un cran tout de même. Je fais valoir le fait que le choix du mode de garde doit être indépendant de sa situation professionnelle, qu’il doit me dire ce qu’il veut lui et ensuite à lui de faire en sorte que ça devienne possible. Il me parle de garde alternée, mais dit de nouveau qu’il me confirmera cela dans 3 à 6 mois. Je ne suis pas d’accord, je râle, je veux être fixée sur mon avenir parce que ça devient impossible pour moi de vivre ainsi sous le même toit sans savoir.

 Il garde le silence un instant. Semble réfléchir très sérieusement. Je crois qu’il va enfin me donner la réponse que j’attends, me dire ce qu’il veut, que nous allons pouvoir commencer les démarches, mettre en place un protocole d’accord. Finalement, il ouvre la bouche, et me dit le plus sereinement du monde « J’ai la solution idéale, mais avant, il faut que tu signes les papiers pour l’assurance de la maison parce que je me suis rendu compte que nous avions oublié de les signer. Moi je l’ai fait hier soir, il faut que tu le fasses maintenant. On va anti-dater, c’est pas grave. »

 Il monte, me rapporte les papiers, ainsi que d’autres documents dont je reconnais l’entête, des caisses auxquelles il cotise du fait de son statut d’indépendant. Il me fait signer le papier d’assurance puis m’explique comment fonctionne sa caisse d’assurance perso. Ensuite, il enchaîne, le plus calmement du monde :

« Voilà, je vais faire comme ton oncle, je vais me suicider. Comme ça, tu pourras garder la maison. Tu n’auras plus qu’à payer 25% du crédit, ce qui est tout à fait faisable même si tu n’as pas un gros salaire. Et puis, grâce à mes cotisations à la cipav, tu percevras une rente mensuelle pendant un temps, puis une indemnisation annuelle, qui te permettra d’élever les enfants dignement. Ne t’en fait pas pour les enfants, ils sont jeunes, ils s’en remettront. De toute manière, j’ai tout prévu, je vais maquiller mon suicide en accident, comme ça, pas de culpabilité pour toi, ni de traumatisme pour les enfants. Un père qui meurt dans un accident de voiture, ce sont des choses qui arrivent. Je te connais, tu sauras très bien les consoler, et puis tu vas leur trouver un beau-père et ça ira très bien après quelques années… »

 De nouveau, la quatrième dimension ! De nouveau, l’horreur absolu sortant de sa bouche souriante et sereine. Je hurle, je m’insurge, je l’insulte, je lui interdis de le faire, je pleure, je tremble. Il se fâche, me dit que je suis égoïste, que je ne pense une fois de plus qu’à mon petit bien-être et que, si, pour une fois, je m’efforçais de penser un peu rationnellement, je me rendrais compte que c’est la solution la plus optimisée et la plus viable !!!

Est-il vraiment nécessaire de décrire l’état dans lequel j’étais en allant avec les enfants chez ma grand-mère ?

Il est maintenant 21h17. A mon retour de chez mes grands-parents, je suis repartie à la charge. Hors de question de me laisser faire. Je l’ai engueulé et je ne l’ai pas lâché jusqu’à ce qu’il entende raison. A la fin, il s’est tout de même rendu à mes arguments. Mais je suis sortie lessivée, et surtout intimement blessée de cet affrontement. Malgré notre « séparation », il réussit encore à me faire du mal. Il est 21h17, et il vient d’entrer dans la chambre dans laquelle je me suis réfugiée pour pouvoir écrire tranquillement et me libérer de la douleur et des angoisses qui m’ont poignardé les entrailles. Il est 21H17 et il me regarde avec tristesse et tendresse à la fois, regard implorant et toujours aussi amoureux. Il me demande pardon. Il est désolé. C’est le stress, la pression. Il n’aurait pas du me dire ça. Il ne faut pas que je m’inquiète. Il ne fera pas de bêtise. Il ne voulait pas me blesser. Désolé et re-désolé.

Mais la véritable désolation, elle est à l’intérieur de moi, parce que là où il n’y avait plus rien, il vient de semer de la colère. La colère est rare chez moi, vous le savez bien. Et j’en ai marre de ces dimanches semeurs de colères.

  • Oui Daniel, c'est un de mes textes exutoires. Le jeu est toujours dans mes écrits de démeler la réalité de la fiction, l'imaginaire du vécu, les fantasmes du réel. Mais pour une fois, tout est vrai, tout...c'était il y a un an. Depuis, la neige a recouvert le gris de sa douce blancheur, et de nouveau j'ai renoué avec de jolis dimanches.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Xgk 2125 orig

    ysee-louise

  • si c'est vrai... C'est très triste... ca fait quelque chose au coeur.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Default user

    Daniel Macaud

  • Très beau

    · Il y a environ 14 ans ·
    Default user

    pseudo

  • Incroyablement bien écrit. Chapeau bas Ysée-Louise. Quelle écriture divine !

    · Il y a environ 14 ans ·
    Extraterrestre noir et blanc orig

    bibine-poivron

  • Merci. C'est très étrange d'être lue, parce qu'on donne à voir l'intime de l'intime, le fond du fond de soi...poser les maux sur des mots les allègent. On les met devant soi, les emprisonne dans l'encre. Ils sont loins maintenant, poursuivent leur vie propre, et moi je poursuis mon chemin. Dimanche prochain sera un joli dimanche...

    · Il y a environ 14 ans ·
    Xgk 2125 orig

    ysee-louise

  • Enchâssée dans la roue de la vie, la ronde des dimanches qui soudain dérape et donne à entendre davantage que des tranches de vies bien écrites.

    · Il y a environ 14 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • Je suis très très touchée! Tant par le fond que par la forme.

    · Il y a environ 14 ans ·
    Bambou orig

    ko0

Signaler ce texte