Quand j'étais chanteur

petisaintleu

Ils avaient l'air trop cools. Leurs nouveaux bureaux situés dans un quartier bobo, dans le genre ancien atelier transformé en loft, l'âge moyen de l'équipe qui dépassait à peine la crise de la puberté, un langage décontracté auraient laissé penser qu'IIIlikeMuse était enfin la start-up qui permettrait de faire émerger de nouveaux talents, s'affranchissant des majors et de leurs tubes formatés par la direction du marketing.

Les premiers mois émergèrent sur leur site des ovnis qui laissaient penser qu'un nouvel âge d'or était possible. Le punk côtoyait joyeusement le chanteur à texte engagé, le slameur enragé croisait des boute-en-train qui déterraient la chanson paillarde, le régionaliste tirait la bourre à des perles pop que l'on aurait juré débarquées de Liverpool ou de Manchester. Un joyeux bordel donnait un grand coup de pied dans la fourmilière, les décibels ondulaient sur le web comme un accord majeur, un pied de nez à l'industrie musicale qui s'était aplatie comme une galette devant le diktat des directions financières.

Des concours thématiques furent lancés. On était loin des radio-crochets aseptisés, l'imagination était au pouvoir, avec pour mamelles l'irrévérencieux et le décalé. C'est étonnant les pépites qui émergèrent, disques d'or d'estime pour un public averti qui ne s'était jamais laisser duper par les bouses que les ondes imposées.

Puis arriva le temps du bilan. Si celui de la notoriété était au beau fixe, le fiscal tirait la gueule. Il y avait un couac, on avait l'air mais pas la musique, c'était la valse déveine. Finie la toccata, on risquait d'entendre bientôt claironner un De profundis qui laisserait de marbre les major companies. Il fallut se mettre au diapason et construire un business plan pour rassurer les banques. On se sépara des créatifs pour rassurer les créanciers, pour qu'ils retrouvent une oreille attentive au projet, dans l'attente du bruit métallique de la monnaie sonnante et trébuchante et le retour du ROI, le return on investment.

Ils n'eurent guère le choix et mirent un genou à terre pour se faire adouber par Chouchou FM, Cynic Music et les Cocoterribles, un magazine spécialisé qui avait depuis longtemps retourné sa veste. Les membres historiques sentirent le vent tourner. Ils ne furent pas dupes que, du jour au lendemain, d'illustres inconnus, poulinés par les partenaires des concours proposés, se mirent à tout rafler. Il y eut des désistements mais qu'importe, les indicateurs étaient au vert.

Ça partit en live. Un partenariat avec Connexion Pantin pour des partitions sur le thème de « L'amour toujours », qui seraient reprisent lors de la tournée de Francis Bertrand, l'idole que les jeunes de moins de soixante ans ne peuvent pas connaître, fut un succès. Ce fut un festival de niaiseries sirupeuses, de rimes aussi pauvres qu'un plat de pâtes qui n'a pas six œufs au kilo. En messagerie privée, ça critiquait dur. Rares étaient ceux dans un monde où il est de bon ton de ne pas faire de vagues qui eurent le courage d'émettre quelques critiques.

Dès lors, la start-up se transforma en un site où il fallait être cool, mais avec prière de la fermer. Il en allait de son développement de taire toute tentative de contester la ligne éditoriale. Les plus vindicatifs des membres furent dégager, sans autre forme de procès, prétextant qu'ils avaient une grande gueule, qu'ils n'étaient pas constructifs, qu'ils n'étaient pas cools en somme.

Mais, qu'importe, l'honneur est sauf. La start-up pouvait désormais se targuer de dizaines de milliers d'abonnés. Quelques anciens étaient rentrés en résistance larvée, pleurant sous le manteau le paradis perdu, quand les bel canto faisaient tout feu de leur organe avant que les chantres mous ne prennent le pouvoir.

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