Quand refleuriront les déserts de nos âmes

enzogrimaldi7

Lu au Théâtre La Cité (Marseille) en présence d'Alain Damasio
 Il y a 400 000 ans l'homme découvre le feu. Il y a 200 ans l'électricité. Il y a 100 ans le nucléaire. En 2020 il découvre qu'il faut planter des arbres pour sauver la planète...


  Il n'était aucune fois un monde fini. Un monde sans imagination. Un peu comme une insulte à l'écrivain des Trois Mousquetaires, à celui des Fleurs du Mal, au compositeur de Clair de Lune, à celui de L'Hymne à la Joie, au réalisateur d'A bout de Souffle, d'Andrei Roublev, à l'auteur des Mangeurs de Pomme de terre, à celui de Jeanne Hébuterne, du Penseur ou de La Femme accroupie et à celles et ceux qui les ont inspirés.


Pour tous ceux-là et bien d'autres, l'angoisse de la feuille blanche fut toujours une vaste plaisanterie tant de couleurs, d'émotions, d'inspirations, de mélodies et d'esquisses avaient-ils à partager, badigeonneurs de nos noires profondeurs, créateurs d'univers infiniment galvaniseurs, de personnages formidables, touchants, géniaux, volatiles, sublimes, terribles, énormes, sensibles ou discrets.


Dans les salles de danse il nous semble encore voir virevolter les insaisissables Nureief, Bejart, Pietragalla, Dupond(t), réalisant cet impossible exploit de sculpter l'espace de leur chorégraphie, remplissant le vide et le silence de figures en 3d grandeur nature, d'une poésie à faire pâlir le grand Rimbaud. Nous les associons à tous les gens du théâtre ayant joué de leur corps et de leur voix pour donner à ce monde, quelques lettres de noblesse.


Dans les salles de cinéma, les bobines projettent le regard bleu d'Henry Fonda dans ''Il était une fois dans l'Ouest'', le baiser de Mastroianni et d'Ekberg dans ''La Dolce Vita'' , la tirade de Rutger Hauer dans ''Blade Runner'', le discours de Pacino dans ''Any Given Sunday'' et la démarche de Bellucci dans ''Malena''. Autant de scènes, répliques, postures et tournages mythiques qui renvoient à des moments de rédemption, de grâce, de mise au point, de déclaration.


Dans les salles de concert, il nous semble encore entendre les cordes de guitare virevoltantes de Paco de Lucia, le piano de Liszt, le violon de Yehudi Menuhin, le violoncelle de Jacqueline Dupré, la trompette de Chet Baker, le saxophone de John Coltrane, la basse de Jaco Pastorius et la batterie d'Elvin Jones. Des sons ciselés, distordus, puissants, délicats, violents et doux venus d'un autre monde en voie de disparition.


Dans les ateliers de peinture, Renoir esquisse ''Les Canotiers'', Rubens le ''Portrait de Brigida Spinola Doria '', Le Caravage ''Medusa'', Goya ''El tres de Mayo'' et Botticelli sa ''Venus''. Fiévreusement chacun d'eux, touche après touche, a construit son style et sa légende, cassant les codes, se surpassant et dépassant leur maître avant de passer à la postérité.


Ces vertus là, se sont envolées. Au fur et à mesure que tout ou presque, en matière d'art  était créé, au fur et à mesure que le monde consacrait le profit au dessus de tout comme jamais. Au nom du modernisme, et du libéralisme, les poignets se sont relâchés, les doigts sont devenus gourds, les yeux voilés, les cerveaux embrumés, le cœur sec. On a continué de peindre, chanter, danser, filmer, sculpter, inventer. Mais les vraies œuvres devinrent invisibles tandis que l'imposture s'imposait.


Entre temps on a vu que la planète dépérissait et là, comme par enchantement des tas d'intellectuels, pour la plupart jusqu'alors bien discrets ou préoccupés par d'autres thèmes moins urgents, font feu de tout bois. Où étaient-ils, il y a trente ans alors que la problématique était grosso modo la même, quand il était encore largement temps d'éviter le pire ? Absents, car il ne faisait pas bon aller contre cette machine infernale qui s'était ébranlée à coup de corporations et d'actions ou d'obligations. Pour rien au monde, hormis une poignée d'entre eux, ils auraient nagé à contre-courant.


Et puis est arrivé ce virus qui grossit à la loupe toutes les carences d'une idéologie putride, responsable de plusieurs décennies de bûcheronnage de valeurs intrinsèques et de forêts ''oxygénatoires'' étouffant les ultimes volontés humanistes sous l'éteignoir mondialiste. Tous d'accord tout à coup pour dire plus jamais ça. S'ouvrent cependant les prémices d'un espoir que l'on sait fugace mais qui interviendrait au bon moment pour refleurir les déserts de nos âmes asséchées par la bêtise.


Cette épreuve a démontré que nous étions bien malades, et, paradoxalement surtout dans les pays où l'idéologie ultralibérale est  dominante. Comme un être n'ayant pas été épargné durant son enfance, l'humain né de cet engrenage développe des pathologies mortifères. En voulant aller plus vite que la musique, les avides et parricides adorateurs du progrès coûte que coûte ont oublié que la gestation va au delà des neuf mois, qu'elle est en fait nécessaire jusqu'à la majorité, sans cela, le reste de l'existence est un chaos.


Laissons-nous accroire que le 21eme siècle s'ouvre aujourd'hui, et avec lui, la vie. Un peu comme si on s'était trompé d'une vingtaine d'années, un peu comme si le 20eme siècle ne pouvait se terminer que sur une tragédie queue de poisson nommée covid(e), un peu comme si nous avions encore trente ans et que tout était possible à nouveau. Une autre fiction, un autre départ, changeons de siècle maintenant, abolissons noël, annihilons les frontières, détruisons Las Vegas, nettoyons les océans, sauvons les indiens et les migrants, rabattons le caquet des imposteurs, oublions wall street et le cac(a) 40, réhabilitons les poètes, écoutons les vrais musiciens, dressons une statue à Vangogh. Vivons. Enfin.

                                                                                     2020

Illustration: La Terre Mère 

Musique: Ghosts,  Thomas Newman

https://www.youtube.com/watch?v=BPFhc-v93A0

  • Magnifique texte et terrible question. La beauté suffira-t-elle à les arrêter ?

    · Il y a environ 3 ans ·
    389154 10150965509169069 1530709672 n

    sophiea

    • Je rêve comme vous, que ce soit la beauté qui les arrête mais j'ai peur qu'ils soient trop aveugles. Par contre la trouille va enfin leur faire ouvrir les yeux.

      · Il y a environ 3 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Espérons-le...

      · Il y a environ 3 ans ·
      389154 10150965509169069 1530709672 n

      sophiea

  • Quel texte ! Cela me soulage, je n'aurai pas besoin de l'écrire, d'ailleurs je n'ai pas votre talent ! :o) Oui, après l'hymne à la joie nous avons eu droit à l'hymne à la connerie et bizarrement il a plus de succès que le premier et surtout, il rapporte plus de pognon. Oui, vivons enfin, mais ça va être dur, les doctrines intéressées sont tenaces.

    · Il y a presque 4 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Cadeau pour vous Daniel:
      https://youtu.be/W-YD2Y8ojYE

      · Il y a presque 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Quel texte magnifique ! Notre monde est devenu celui de la médiocrité qui est sublimée, portée sur un piédestal, organisée en concours abêtissant encore plus participants et spectateurs, l'imagination, pire ! la créativité s'est tarie. C'est effrayant… Nous revenons vers l'obscurantisme, la chasse aux sorcières et les bûchers pour expurger tout ce qui pourrait apporter de la connaissance et donc de la réflexion, de l'esprit d'analyse critique.

    · Il y a presque 4 ans ·
    Coquelicots

    Sy Lou

    • Très heureux que ce texte vous plaise. J'ai essayé de créer des émotions. Je les dois entièrement, ou presque, à tous les gèants cités ici, ce sont eux qu'il faut louer.

      · Il y a presque 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Lu et approuvé.
    Ravi que vous citiez Claude de France et son "Clair de lune" :)

    · Il y a presque 4 ans ·
    275629861 5656871610996312 6495493694404836520 n

    Mario Pippo

    • Je n'ai pu , hélas , en citer bien d'autres. Il y en a tant...

      · Il y a presque 4 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Et il y a aussi tant de gens qui ne les connaissent pas :)

      · Il y a presque 4 ans ·
      275629861 5656871610996312 6495493694404836520 n

      Mario Pippo

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