LES TROIS VALSES
suemai
Il y a de cela une vingtaine d'années, alors que j'atteignais mes dix-huit ans, une étrange histoire bouleversa ma vie toute entière. Ma mère s'afférait à la préparation d'un fastueux dîner, propre à taire notre faim, suite à ce jeune du Yom Kippour que nous pratiquions chaque année. Je suis juive du coté de mon père, Yaound Abramovitch. Ma mère, quant à elle, naquit en Suède avant d'émigrer au Canada. Ils se rencontrèrent à Montréal lors d'une de ces parades colorées du nouvel an. Enfant unique, mon père mourut très jeune : en fait, il disparut mystérieusement à ce que tous disaient. Jamais ma mère ne commentait cet événement.
Donc, un délectable fumet se faufilait dans tous les recoins de la maison. Tougris, mon chat, en salivait à l'avance, sachant que je lui offrirais une part de ce délicieux rôti d'agneau, une spécialité de ma mère. Je m'amusais à lui enseigner à jouer à roule-roule, lorsque maman m'appela. J'accourus aussitôt.
— Naïda, nous manquons de sel. Tu peux te rendre à la ville m'en procurer. Voici les sous dont il te faut.
C'est ainsi, qu'enfourchant mon vélo, je décidai d'emprunter le chemin de la crique, ce qui me faisait gagner environ dix minutes. Normalement, si je ne traînais pas en court de route, ça me faisait vingt minutes de trajet, aller-retour. Je pédalais de bonne allure quand, soudain, je crevai. « Me voilà dans un piètre état me dis-je. » Le sol se tapissait de glaise à plusieurs endroits, ce qui ne facilitait pas les choses. J'allais repartir tout en poussant ma bicyclette, que j'entendis la voix d'un jeune homme. Apeurée, je tentai de fuir, mais l'étranger me rattrapa aussitôt.
— Puis-je me rendre utile, mademoiselle? Je vois que vous êtes victime d'un fâcheux incident.
Je demeurai aphone. Il sortit de nulle part quelques outils et répara le tout avec une étonnante dextérité. Après remerciements, j'allais repartir, lorsqu'il me demanda, avec gentillesse, si je désirais l'accompagner et prendre un rafraîchissement quelque part. Je supputai la situation. Mon sauveteur avoisinait mon âge, quoique légèrement plus vieux. Il me semblait honnête. Il se dégageait de lui un quelque chose de réconfortant. De plus, en y regardant de plus près, il affichait un très joli visage et ses yeux me scrutaient avec insistance, mais amabilité. Je ne sais toujours pas pourquoi, mais je lui emboîtai le pas. Après moins de cinq-cents mètres, dans un tournant, une bâtisse apparut en pleine forêt. On pouvait entendre quelques rires s'en échapper. Il me tint la porte et j'entrai. Je me retrouvais dans un bistrot luxueux aux jolies tables recouvertes de nappes d'un rouge bourgogne. Lustres et plafonniers laissaient s'écouler une lumière douce et agréable. De hautes fenêtres, aux draperies harmonieuses, s'alignaient tels de petits écoliers en chocolat. Quelques serveurs œuvraient à satisfaire la clientèle. De douces mélodies, provenant de musiciens s'exécutant devant une jolie piste de dance, enchantaient l'oreille. Mon bel inconnu, avec grande élégance, soutira une chaise et je m'assieds. Il m'offrit un Margarita et commanda un vin dont j'ai oublié le nom, mais qui se donnait les allures d'un véritable nectar. Il parlait peu et moi pas du tout. Il retira cette cape lui servant de gabardine. Sous sa veste noire, il portait un Haut cour, saillant, d'un rouge sang. Tout lui conférait une prestance et un style de classe. Je me sentais un peu ridicule dans mon jeans et mon sweet.
— Vous aimeriez vous restaurer… et, sauf votre respect, je ne connais vraisemblablement pas votre prénom?
— Naïda, monsieur…je vous remercie, mais un dîner m'attend à la maison. Puis-je connaître le vôtre à mon tour ?
— Je me nomme Angélus, mademoiselle Naïda, et fort heureux de vous rencontrer.
Devant toute cette obligeance, je prétextai la salle de bain. Lorsque j'ouvris, qu'elle ne fut pas ma surprise d'y découvrir une jolie robe d'un souple taffetas blanc perle et des escarpins aussi fins et confortables que des chaussons de ballerine. Sur une carte épinglée s'inscrivait mon nom. Je compris qu'il s'agissait d'un cadeau de mon cavalier. Je me lavai le visage de quelques taches de boue et j'enfilai le tout prestement. Je terminai en me crêpant les cheveux d'un rapide chignon. Puis, je rejoignis Angélus, qui ne cessait de me complimenter. Je le remerciai pour ce magnifique présent.
Le petit orchestre entama une valse. Aussitôt Angélus m'invita à une dance. Naturellement, même si je ne connaissais que les slams ou autres musiques électroniques, quelque chose me disait que j'apprendrais fort rapidement. Angélus passa son bras autour de ma taille et me souleva délicatement la main. Elle se fondit dans la sienne. Une chaleur, une douce chaleur m'enveloppa comme si je me dorais à la flamme d'un feu apaisant. C'est ainsi que, virevoltant au gré des envies de mon partenaire, rigolant et enfilant des Margarita, je me retrouvai rapidement pompette. Après trois valses, je m'effondrai. Voilà ce dont je me souviens. À mon réveil. J'étais allongée tout aux cotés de mon vélo. Vraisemblablement, j'avais chuté et percuté le sol.
***
Encore imprégnée du charme de cette soirée. Je roulai rapidement à la ville. J'achetai le sel et je revins aussi vite que possible. J'étais dans les temps : vingt-deux minutes exactement. Lorsque j'entrai, je trouvai la maison vide. Tout en passant devant un miroir, je me regardai et je ne me reconnaissais plus; j'avais vieilli de vingt ans. Aussitôt je contactai la police. Un inspecteur me confirma qu'on avait retrouvé le corps de ma mère dans la cuisine, victime d'un arrêt cardiaque, vingt ans plus tôt. On effectua des recherches, en ce qui me concernait, mais sans résultat. Je me retrouvais subitement en 2036 et je n'y comprenais plus rien. Je consultai tant que je pus, mais personne ne pouvait me fournir de réponses sensées. Je suis retournée à ce bistrot près de la crique. Naturellement, tout avait disparu. Grâce aux assurances-vie de mes parents, je pus subsister.
***
Un soir, un miaulement de chat se fit entendre. J'ouvris la porte. Tougris entra et me fit des roule-roule à n'en plus finir. Je le pris dans mes bras et je m'assieds au salon. Nous nous regardions, tous les deux, d'un air hébété. Tougris, avant mon départ, portait fièrement ses douze ans. Étendu sur mes jambes, il ronronnait et je réfléchissais. « Ce chat, me dis-je, aurait donc plus de trente-deux ans. » l'impossible frappait de nouveau. Ne demeurait, alors, que la confusion la plus totale.
***
C'est ainsi qu'après avoir valsé trois fois avec un bel inconnu, je me retrouvais, vingt ans plus tard, dans la plus horrible et incompréhensible des solitudes.
Et bien, voilà un texte étonnant !... pauvre Naïda qui a perdu 20 ans de sa vie !..... ;-)
· Il y a environ 8 ans ·Maud Garnier
le diable a de ses diableries ^^
· Il y a environ 8 ans ·suemai
Bonjour, une histoire vraiment étonnante. Ça me fait le frisson de seulement songer à danser trois valse avec le "Diable" Il est redoutable et je le connais bien. Votre écriture me séduit totalement. Vous évoquez tant de choses et, comme vous dites, qui était ce bel inconnu... un très beau récit, une oeuvre remarquable. Au revoir.
· Il y a plus de 8 ans ·fiany
bon, bon, bon, tu connais la règle pour le vouvoiement...interdiction formelle! Le diable tu dis, pourquoi parler du Diable. En effet, je tente de reprendre le mythe de Faust à l'inverse. STP, pas trop de compliments, ça me donne de l'urticaire. Gentille d'être passée par ici, amicalement, Sue
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
C'est moi :) Nadou
· Il y a plus de 8 ans ·Et bien oui il est superbe ton texte !
nadege-chatellier
ben dis donc, te voilà toute mignonne et plus... merci pour le texte. Tu comprends la raison de ma démarche actuelle. Allez, bises Sophie/Sue
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
c'est joli Chatellier. ^^
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
Entier...Chatellier de Montaigu..'la lignée de Guillaume le conquérant d'après l'arbre généalogique familial. Le "De Montaigu à sauté avec un ivrogne qui a vendu le titre et tout le reste :) ha la la....ça m'aurait fait une belle jambe le De Montaigu ! C'est dommage car ça sonnait bien :))))
· Il y a plus de 8 ans ·nadege-chatellier
surtout avec ta si jolie bouille^^
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
Merci du compliment très chère !
· Il y a plus de 8 ans ·nadege-chatellier
Quelle belle surprise, un texte plein de surprises. Dans un style si sage, un histoire d'abord limpide, claire comme cette idylle qui se dessine. Et la raison défaille devant l'inexplicable. Devant l'inexpliqué...
· Il y a plus de 8 ans ·Et c'est bien.
thesecretgardener
alô, ami cher à mon coeur, tu dis juste tout comme Louve, tu as su regarder au delà des lignes, des mots et des lettres. Bises, Sue
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
Ton histoire accroche bien Sue ! Tougris est peut-être la réincarnation de ce beau jeune homme qui ronronnait d'aise sur tes genoux ?
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
alô Louve, grande protectrice, qui sait, possible que Toutgris soit un prolongement de l'inconnu, mais il semble aussi surpris en regardant Naïda. Remarque qu'il s'agit d'une pure fiction. Tout comme la narratrice nous ne savons pas ce qui s'est produit. Mais pourquoi vieillir de vingt ans alors que, dans la tradition, ce type de mec offre un rajeunissement? Vingt ans et 22 minutes. Par contre, le charme de la rencontre est indiscutable. C'est un peu se payer du bon temps avec l'argent du loyer :-)) heureuse de te lire bise +++
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
Bises ma Sue !
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
Bises
· Il y a plus de 8 ans ·suemai
Diable !Diablement diabolique, un texte d'enfer !
· Il y a plus de 8 ans ·Patrick Gonzalez
alô, :-))) d'enfer... un diable qui vieillit les gens maintenant^^ bise +++
· Il y a plus de 8 ans ·suemai