Quelquechose de Pattaya

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Dans mon compartiment, une jeune fille en sari orange regardait le sol. Un indien de quinze ans son aîné, dans un costume trop petit, l’accompagnait. Il me dévisageait comme j’en avais pris l’habitude en jeune européenne voyageant seule.

 

Je détournais les yeux pour le défilé du paysage par la fenêtre : la campagne verdoyante et les rizières. Des paysans, certains âgés dans leurs costumes traditionnels, étaient déjà au travail.  Des adolescents présentaient aux voyageurs des sourires amusés. Ce pays m’apparaissait accueillant depuis que je m’y promenais et je m'y sentais à ma place.

 

Les yeux tristes de cette jeune mariée, selon l’anneau qu’elle portait à l’orteil et la trace rouge dans ses cheveux, revenant comme moi de Pattaya, m'amenaient à penser que le paradis avait un arrière-goût amer. Ils étaient en quête de confort occidental tandis que je cherchais à présent, l’âme orientale.

 

J’avais pourtant rêvé ce lieu idyllique : palmiers, ciel et mer bleu absolu, plages de sable fin. Allongée sur un transat, on me verrait enfin  sur la carte postale !

 

Un endroit parfait pour l’oublier. Si le manque se faisait plus pressant, un cocktail alcoolisé et une demi-heure de ski nautique en viendraient à bout.

 

Mais une fois sur la riviera Thaï, je ne parvenais pas à ignorer l’envers du décor doré : ces visages et ces corps exhibés au club. Ces thaïlandaises m’en avaient rappelée une autre devenue parisienne. Quelle ironie ! Voilà que cette destination nous rapprochait en même temps qu’elle m’éloignait de mon amour, son mari. Il fallait, que je quitte ce lieu pour engloutir mes idées noires avec des kilomètres.

 

Me revenaient ses mots visant à me dissuader du voyage, les années usées dans l'espoir d'un engagement qui avaient fait de moi une mendiante semblable à ces petites soeurs dénudées. Mais un sursaut d’orgueil, de survie, m’avait poussé jusqu'ici.

 

De là, je parvenais enfin à le voir tel qu’il était : tout petit. Je pensais à ces femmes comme celle en face de moi, qui n’ont pas de destin à elles. Je pensais au mien que  je suspendais à un mirage.

 

En enfilant mon sac à dos, pour la première fois, je devenais moins prisonnière que ne l’était son officielle, confinée dans sa grande maison avec lui, leurs enfants et leurs mensonges.

 

J'accrochais le premier train menant à Bangkok et laissais le couple deux arrêts plus loin. J'avançais vers le nord sans certitude et après une heure de marche, je découvrais perdu au milieu de la végétation un édifice gigantesque : le temple de la vérité, aux multiples visages.

 

J’entrais, je m’agenouillais au milieu de la communauté. Après avoir cherché en vain à croiser un regard, je fermais les yeux et parvins à ne plus penser à rien. En les rouvrant, un moine aux cheveux rasés me faisait face. Je le saluais, il me sourit et s’adressa à moi dans un anglais approximatif qui valait le mien. Je l’ai écouté respectueusement mais pas religieusement et quelque chose s’est produit. Il m’a parlé de ma vie et j’ai su qu’il disait vrai.

 

En sortant, j’étais comme étourdie, si légère, que j'aurais pu toucher le ciel avec la bouche. La blessure, le grand vide, guérie, envolé.

 

Je n’ai jamais été aussi secouée qu’à l’occasion de ce voyage ! Moins par les bus surchargés et les tuk-tuks empruntés que par la découverte de mon paysage.

 

Je lui envoyais dès que possible, un mail l'informant que j'avais retrouvé ma liberté, sans rancoeur ni regrets.

  • belle ambiance, le décor est placé, quelques petites choses manquent au récit pour qu'on puisse rentrer dans l'histoire, mais si il y a une suite ce sera très bien !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    woody

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