Qu'est-ce qu'écrire ?
heathcliff
Qu’est-ce qu’écrire ?
Est-ce simplement poser des mots les uns à la suite des autres, dans une continuité logique ou poétique ?
Plus j’avance dans ma recherche, plus il me semble que la démarche est en fait gigantesque, qu’elle implique plus que le seul terme d’écrire. Plus encombrante, cette démarche, plus omniprésente. Pouvons-nous alors parler d’addiction à l’écriture ? Est-ce que tremper un fragment de métal dans l’encre ocre et en faire de la prose est jouissif ?
C’est à ces questions que je voudrais premièrement répondre.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours créé. Du moins, voulu créer. Je commençai par dessiner. Comme la période où je ne savais ni lire, ni écrire me paraît lointaine ! J’ai parfois du mal à me la remémorer. Puis-je qualifier de hasard mon aptitude précoce à ces disciplines ? Comme c’était bon d’enfin dévorer ces lignes, de m’en délecter, de savoir.
Je pense qu’écrire est autant un acte qu’une pensée. Le désir d’écrire est le premier pilier de cette pensée. Si vous ne pouvez demeurer stoïque devant une feuille vierge et un stylo qui se présentent à vous, remettez vous en question. Comme tout acte de création, l’écriture est une envolée, un oubli du réel et une forme de liberté. Ecrivez le texte le plus réaliste possible. Ce faisant, vous réaliserez qu’en dépit de votre volonté de peindre la réalité, vous vous empêtrez dans une illusion, vous vous détachez totalement du réel au contact de l’encre sur le papier.
L’écriture n’est-elle pas une immense poésie ? Faut-il ranger chaque fragment d’oeuvre dans une catégorie particulière ? J’aimerais dire que non. Mais s’il plaît aux académiciens de l’affirmer, je ne puis qu’effacer mon humble silhouette de leur champ de vision.
Au fil de mon écriture, j’oublie progressivement les questions auxquelles je me devais de vous répondre car chaque interrogation invite à une autre et je ne parviens pas à m’empêcher de raisonner en me questionnant. Chaque question est une réponse, en elle-même. Je crois qu’il n’y a que peu de choses plus importantes que la description de cet acte et de cette pensée de l’écriture, pour un écrivain. Dois-je citer des noms, évoquer tous ces récits qui, indirectement ou non, nous entretiennent de l’écriture ? L’écriture est un prétexte. C’est une parole écrite, un puissant moyen d’expression. C’est également une recherche. Certains ont voulu accéder au Beau, d’autres à la Vérité. D’autres, encore, au Style.
Prenons Les faux monnayeurs, d’André Gide. L’intrigue, délicieusement complexe, aux points de vue multiples, aux péripéties entremêlées entre elles, est un outil pour l’écrivain. Elle lui permet d’exposer ses réflexions, sa conception de la vie, ses idées sur le roman et l’écriture, ses affinités sentimentales, etc. Pourquoi Gide a t-il écrit ce récit ? Pour parler de l’écriture ? Pour écrire, tout simplement... Nous pourrions écrire des centaines de milliers d’ouvrages sur l’écriture, l’acte d’écrire en lui-même, les motivations de l’écrivain. Le sujet ne me paraît pas tarissable. Peut-être en se basant sur des fictions, des récits, des inventions et des intrigues en tous genres et toutes formes les écrivains ont-ils voulu se limiter, conscients de l’ampleur du projet ? Peut-être ont-ils voulus se plier à cette contrainte, pour ne pas s’égarer dans les méandres de l’acte seul d’écrire ? Ces interrogations paraîtront insensées, stupides ou absurdes à certains. Je ne fais, après tout, qu’exposer mon point de vue. Nul doute que dans dix mois ou dix ans, il se sera radicalement métamorphosé.
Je répèterai ensuite, à défaut de l’avoir inventée, une conviction universelle : L’écriture est étroitement liée à la lecture ; Ce sont elles qui font la littérature, comment l’a s bien expliqué Sartre. J’irai jusqu’à dire qu’elles fusionnent pour ne faire qu’une. Seulement, la lecture possède cette propriété d’indépendance qui fait défaut à l’écriture ; On peut lire sans écrire, on ne peut écrire sans lire. Pour ma part, pas un livre ne passe entre mes mains sans que l’envie irrésistible d’écrire sur le champ ne m’assaille. Je dois ainsi combattre ce sentiment lorsque je lis, et m’empêcher de jeter à terre le livre, aussi extraordinaire soit-il, pour m’emparer de quoi satisfaire mon appétit monstrueux de prétendue écrivaine. Je veux tout écrire.
Je me bats de la sorte à chaque lecture. Parfois, c’est parce que les lignes qui passent devant mes yeux m’apparaissent si odieuses que je persuade aussitôt que je pourrais faire quelque chose de meilleur. Mais le plus souvent ce que je lis est si sensationnel que mon orgueil et mon admiration m’intiment de faire tout le possible pour égaler et surpasser les plus grands.
Il y a tant à dire et j’écris si peu ! L’élément le plus tragique de mon existence est le temps. S’il m’était donné de fabriquer des heures neuves quand l’envie m’en prend, j’offrirais tout pour pareil miracle. J’offrirais tout, excepté mon âme. Elle est de ces choses indispensables qu’il me faut pour écrire. Peut-on écrire sans âme, sans sentiments, sans émotions ? Un inhumain ne pourrait écrire que ce mot sur des pages infinies :
écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire. écrire.
Je ne sais d’ailleurs si on lui accorderait cette subtilité qu’on trouve dans la ponctuation. Aussi, cela donnerait plutôt :
écrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrireécrire.
Mais ce serait fort laid. Finalement, il supprimerait sans doutes les accents et fondrait deux e en un seul :
ecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrireecrire
Si nous continuions à suivre ce raisonnement, on finirait par lui interdire de poser les points sur les i. Et alors, plus rien n’aurait de sens. Laissons l’inhumain à son lamentable état, donc, à défaut de lui procurer une âme. Revenons à l’humain qui écrit. Cet être subtil qui écrit est possédé par des sentiments, des émotions, des ressentis, des intuitions, en enfin, des pulsions. Un de ces sentiments, désirs ou pulsions est le pouvoir. S’affirme comme être supérieur et dominer. La création tend, sans nul doute, à une part de cette obsession. « Tout homme rêve d’être dieu », déclare Malraux, à travers Gisors.
Nous y voilà. Ecrire pour publier. Peu de ma personne est vouée à cette volonté, pourtant. la célébrité ne m’intéresse pas assez pour en faire une raison de vivre. Le prestige, en revanche...
Publier, c’est une nouvelle fusion entre l’écriture et la lecture. Pourtant, le combat demeurerait le même. Si je devais lire mot pour mot un livre dont je suis l’auteur, ce serait cent fois plus insupportables que de coutume. ce serait une torture, à vrai dire. Cela m’écoeurerait. Cela m’est déjà arrivé, d’ailleurs.
Durant un été, je me consacrai à un recueil de courtes nouvelles sur lesquelles je passais des heures. Je m’efforçais de polir chaque mot, d’enjoliver chaque phrase, de parfaire chaque syllabe. Je connaissais chaque récit par coeur. Ce n’est qu’au bout de quelques semaines que je réalisai véritablement que ce recueil constituait mon plus important échec jusqu’à ce jour. C’est amèrement que je le fis lire à quelques proches, espérant un avis neuf sur la question. Mais les critiques ne m’aidèrent guère. Elles me vexèrent au plus profond de mon être, bien que je sois entièrement de la même opinion. Je finis par abandonner l’idée de retravailler ce texte. ç’eût été une souffrance.
J’ai pourtant conscience que voir mes propres productions se fondre dans des pages et des pages de caractères imprimés serait une fierté, et un plaisir immense. Ce serait un pas minuscule vers la postérité.
En étant à ce point terrifiée par la mort, plus précisément par la non-existence, j’ai longuement cherché et je cherche encore, un moyen de l’exorciser. Pourtant, Jorge Semprun m’a prouvé que cette démarche était vaine, mais cet but me fascine et me possède, il me tient compagnie. Je veux être immortelle.
Peu m’importe, au fond, que l’on n’aime pas mon écriture. Elle n’appartient qu’à moi, je demeurerai à jamais la seule à l’interpréter comme elle doit l’être. J’écris pour moi, pour combler des rêves inassouvis. Je voyage à une vitesse éclatante à chaque ligne. Je me prélasse dans cet acte unique. Et si ce n’est pas le talent qui m’anime, ce n’est rien d’autre que la vie.
« Ecrire est un acte d’amour. S’il ne l’est pas, il n’est qu’écriture. » Jean Cocteau.
Écrire c'est prendre à la nature humaine sa blancheur assassine et s'inspirer d'un second regard pour arracher la pétale à la fleur et revenir à la première absurdité.
· Il y a presque 14 ans ·Farid Adafer
Je me retrouve dans vos mots, dans vos sentiments et vos sensations.. je crois que nous en sommes tous là.. arrêter de rêver est un voeu impossible,alors écrivons.. pour nous d'abord et toujours sans nous perdre dans le dédale de l'écriture pour écrire et rien que pour plaire! merci à vous.. n'hésitez pas à nous recommander vos textes!
· Il y a presque 14 ans ·thelma
merci de faire vraiment la part des choses et de ramener les bonnes questions en face des trous...avant d'entreprendre l'acte magnifique d'écrire , exiger, de nous, de changer, magiquement, tout l'état des choses - se montre plus que disproportionné, déraisonnable, pervers et très déloyal...clair que c'est pas nous les méchants...et que ces pressions ne nous interdirons de mettre les points sur les i...décidément tout ce qui est prétendu "difficile" me plait de plus en plus.
· Il y a presque 14 ans ·gun-giant
Nous ne sommes pas les seules voyons ;) Merci d'avoir lu (:
· Il y a presque 14 ans ·heathcliff
"Je voyage à une vitesse éclatante à chaque ligne. "
· Il y a presque 14 ans ·C'est exactement ce que je ressens moi-même ! Vraiment intéressant à lire ;)
Pauline Doudelet