Qui porte une fourrure se gratte

Bastien Bachet

Bien qu'isolée au milieu d'une vaste forêt, la demeure de notre hôte était pleine. L'ambiance était bonne, estivale et l'alcool aidant, les gens se marraient bien. Les vannes fusaient et les blagues étaient légion. Fait exceptionnel, j'avais même réussi à provoquer quelques sourires en raillant le maître de maison, quand il avait essayé de piquer mon mojito sur une table. Je ne pense pas qu'il m'ait bien cerné puisqu'après ça, il commença à me tendre tout un tas de perches plus ou moins lourdes pour prolonger le plaisir. Il voulait faire rire et il avait besoin de quelqu'un pour l'aider, un interlocuteur, il avait décidé que ce serait moi. Manque de chance, je ne me risque jamais à l'humour car je ne suis pas doué pour ça. La plupart du temps je me ramasse et j'avoue, c'est toujours blessant. Donc j'évite. Toujours est-il que j'essayais de me débiner alors qu'il ramassait la fourrure à tête d'ours qui ornait le sofa du salon et s'en couvrait pour me foncer dessus. Je ne sais pas si j'étais sensé mimer une bataille ou m'étaler au premier round mais je n'étais pas à mon avantage : sous les projecteurs. Le maître de maison nous gratifia de grognements et je devais admettre ma défaite avant même que la lutte ne commence. On m'ignora après l'épisode.

Plus tard dans l'après-midi, il faisait toujours aussi chaud et je me joignis à une promenade instiguée par le maître des lieux. À l'ombre des forêts j'étais content, car l'humour n'était plus la priorité absolue, le bucolisme l'avait remplacé. La troupe parcourait les bois en silence, le nez en l'air à observer la cime des arbres géants. L'alcool avait embrumé les sens et le vent s'engouffrait dans les branches, les ombres se déplaçaient à travers les feuilles comme des menaces. La forêt était immense et regorgeait d'animaux sauvages, nous dit-on, alors chacun se mit à scruter la nature en surveillant ses arrières, l'instinct en éveil, on nous avait parlé d'ours et de loups, il y a de quoi impressionner. Quand le maestro recommença à me vanner pour faire rire une fille, je ne voulais pas renouveler l'expérience alors je restais coi.

Il insista, et devant le groupe qui se servait de son humour pour évacuer la crainte de l'animal menaçant, il continua.

Alors je rebroussais chemin en me disant qu'ils pouvaient tous aller se faire foutre, avec leurs moqueries de merde. La fraîcheur de la maison apaisa les fourmillements dans mes tempes et c'est en voyant la fourrure de l'ours sur le sofa que je réalisais que j'allais à mon tour bien faire marrer tout le monde. L'animal me regardait de son œil torve et sa gueule ouverte montrait des crocs à filer des cauchemars.

Je ressortais dans la chaleur épaisse de la fin de journée, éblouit par la lumière, et j'allais m'installer à l'orée du bois derrière un bosquet. J'attendais en me concentrant sur ma respiration, le dos contre un chêne au tronc râpeux. L'idée était simple, bondir sur le maestro en grognant, et lui montrer qui était le plus drôle, en définitive. On verrait s'il avait autant de réparti face à un ours le prenant au dépourvu. Quand j'entendis les voix qui se rapprochaient, je glissais ma tête sous celle de l'animal trépassé et recouvrais mon dos avec le reste de la pelisse. Je me bidonnais rien que d'y penser.

Ce que je n'avais pas prévu, c'est que le maître de maison tiendrait un bâton dans la main et qu'au moment de lui sauter dessus, il aurait un mouvement de recule et m'en ficherait un coup magistral dans les boules. Passé le sursaut général et les cris d'effroi, tout le monde rigola bien, en effet. Sauf moi, qui couché par terre le souffle coupé et les mains entre les cuisses, me retrouvais à grimacer dans ma transpiration, le front et les épaules irrités par la fourrure, en me lamentant une fois de plus de ne pas avoir été à la hauteur.

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