Reflets du vide (extrait)

wic

Un extrait en forme de Teaser pour vous annoncer la mise en ligne prochaine de mon premier recueil de textes et nouvelles. Cet ouvrage sera disponible en téléchargement GRATUIT courant septembre 2016.


http://wictorien-allende.over-blog.com/2023/01/publications.html 


[...]

Je suis sorti de l'avion sans vraiment y faire attention. L'air dehors était lourd, chargé d'une humidité que je n'avais jusque-là jamais ressentie. Il y avait quelques lumières côté terminal mais tout autour, l'ambiance restait résolument nocturne.

J'ai laissé derrière moi la cabine et son air conditionné.

Et en descendant les marches en alu, j'avais à l'esprit la vieille image de Gerald Ford. Celle de 75 et son voyage en Autriche, l'image de la lamentable gamelle qu'il se paye en descendant la passerelle.

Or jusqu'à ce jour, pour entrer ou sortir des avions de ligne que j'avais empruntés, j'étais toujours passé par des sas plastifiés dans des aéroports dont on ne distinguait pas les limites tellement ils étaient vastes. Alors cette sortie directe sur le tarmac était une première pour moi. Et j'ai fait gaffe, réellement gaffe.

Trois visages fatigués sous des cheveux pour l'une blonds, pour l'autre frisés et pour moi bruns, trois visages épuisés pour autant de véritables sourires, tel était le tableau que nous proposions quand on a récupéré nos bagages. Et pourtant, la nuit était déjà là et il nous fallait encore chopper un taxi, dénicher le camping et monter la tente...

Cette virée en Corse, on l'avait attendu tout l'été.

Il nous avait fallu patienter deux longs mois avant de quitter enfin nos apparts respectifs. De très longues semaines durant lesquelles nous avions subi sans broncher, départs chambreurs comme retours bronzés de nos collègues.

Mais cette fois, on y était.

À vol d'oiseau, Bastia n'était qu'à un peu moins de 900 kilomètres de Paris et pourtant, le grand écart était incommensurable. Car plus que tout, nous changions résolument d'univers avec ce vol de 90 minutes.

Nous laissions notamment derrière nous des semaines insupportables. Avec des journées qui n'en finissaient plus et cette chaleur infernale du mois d'août à Paris, une chape de plomb qui enveloppait tout, ralentissait les mouvements et poursuivait les êtres vivants jusqu'aux plus profonds des sous-sols. Et pire encore, nous abandonnions à d'autres la terrifiante vague d'attentats, celle qui avait pourri l'été dans la France entière et dont personne ne voyait la fin en dépit des discours inflexibles de plusieurs ministres...

Ainsi, toute l'horreur quotidienne de l'été parisien avait pris fin une fois nos pieds posés sur l'île de Beauté.

La première semaine a été magnifique.

On vadrouillait en petit comité. Rien que du plaisir, uniquement les goûts et les couleurs si particuliers là-bas. Des sonorités et des odeurs ultimes, de celles qui laissent des regrets parfois éternels...

Le rythme était Corse, les douceurs également. Sans être en Italie, je songeais souvent à cette expression à la con, dolce vita. Et je n'arrivais pas à trouver autre chose parce que c'était exactement ça.

On mangeait en contemplant les voiles scintiller sur l'horizon, indifférents du sable ou des pierres sur lesquelles nous étions assis.

On dormait parfois le nez sous les étoiles. La nuit dans les campings, il n'y avait bien que les moustiques à venir nous enquiquiner. Même les abeilles restaient à leur place, trop de chaleur, de lumières. De tous les côtés, trop de bonnes choses à ressentir, à déguster aussi. Sans doute, sans doute...

À Bastia, le port avait été rendu aux locaux et les rues vidées de leurs touristes estivaux. Idem à Saint Florent où à de rares exceptions, plus aucune table de resto n'envahissait les ruelles.

Et en descendant la côte Est vers le Sud, nous avons trouvé nombre de paillotes fermées, de plages abandonnées aux oiseaux et aux débris marins. Entre Porto-Vecchio et Bonifacio, les baignades étaient impromptues, les criques désertes. Palombaggia, Rondinara, Santa Guilia ou les îles Lavezzi, souvent il n'y avait personne d'autre que nous au cœur de ces lieux magnifiques. On aurait même pu se balader à poil sans gêner quiconque parfois...

Le farniente était de mise, les prises de tête inexistantes. Un pied absolu, cent fois meilleur que notre trek en Vanoise l'année précédente, un périple qui nous avait pourtant laissé à tous les trois de fabuleux souvenirs.

Oui, franchement, quel panard monumental que cette première semaine !

Et d'ailleurs, c'est peut-être dans cet absolu qu'il faut chercher une des sources de l'effondrement des jours suivants. Oui, il y a surement-là un truc qui avait à voir avec le contraste. Pas que ça mais en partie sûrement...

Fin de semaine et retour sur Bastia. On a troqué la voiture de loc contre le trinighello destination Ajaccio. Assis dans le deuxième wagon, les fenêtres grandes ouvertes sur le maquis, on progressait lentement direction la montagne. Seules quelques chèvres égarées sur les rails et des arrêts photo imposés unilatéralement par le conducteur ralentissaient encore ce rythme d'escargot. L'ambiance colonie de vacance était de rigueur et pas un parmi les rares voyageurs n'avait protesté des rires et gloussements idiots qui fusaient d'un peu partout. Un trajet tranquille bien en phase avec nos journées précédentes.

En ce début septembre, l'île n'était pas seulement belle, elle était extraordinaire. Et malgré des journées terriblement différentes dès le lendemain soir, je conserve de ces heures un souvenir en forme d'apothéose. De ceux qu'a posteriori, on regrette de ne pas avoir vécu avec encore plus d'intensité vu ce que l'on connait des jours suivants.

Corte. Le poids des sacs, les rues recouvertes de pierres et des escaliers interminables.

Le train était arrivé tard, disons bien après que le soleil soit passé de l'autre côté du Monte Rotondo, mais on avait réussi à étirer le temps.

En début de soirée, le pastis était incontournable dans ce bistrot décoré aux couleurs de Corsica Nazione où nous nous étions posé. Notre arrivée avait interrompu un échange particulièrement relevé entre les habitués assis en terrasse. Et ces corses de tous âges avaient de suite abandonné le français pour le corsu, nous n'avions même pas fini de nous assoir... Pas des plus accueillante comme attitude mais on avait pourtant vécu ces secondes avec délectation. Avec la sensation non pas de flirter avec un quelconque interdit mais bien de toucher du doigt le véritable cœur de l'île.

Et puis la lumière avait disparu autour de nous, laissant la place aux ombres et aux chiens. On avait dîné dans une petite auberge. Rien que du local, du montagnard, oubliant pour une fois les poissons et légumes habituels.

Retour au camping, au creux d'une nuit aussi sombre que l'étendue d'eau qui somnolait juste à côté.

Les heures suivantes, les températures nous ont bigrement surpris mais cela n'a duré qu'une nuit, quelques heures seulement d'un sommeil très très léger et passées reclus dans nos sacs de couchage.

Et le lendemain matin tout a été très vite oublié. Le temps de plier la tente que déjà, un soleil de fin d'été réchauffait la ville.

On est remonté dans le train et la première courbe passée que déjà une mer de chênes verts s'étendait tout autour de nous. Cette seconde partie du trajet s'annonçait comme la précédente, somptueuse.

 Conducteur et rame étaient autres mais la vitesse demeurait très proche de celle de la veille. On montait toujours, direction un Ouest aussi instable que les serpentements parallèles des rails. Les pentes étaient abruptes, elles plongeaient direct dans les torrents en contrebas et dans le ciel, on apercevait parfois des bizzagru noires tracer leurs cercles lents et invisibles.

Et puis le train a pénétré dans une longue galerie où l'humidité se respirait à plein poumon. Les sonorités y étaient creuses et je me souviens d'une perception étrange, celle de me retrouver plus ou moins enfin à l'horizontal.

Mais l'inclinaison était revenue, dans l'autre sens cette fois et le conducteur avait annoncé fièrement que l'on venait de basculer sur l'autre versant de l'île.

Fin du trajet tout en courbes, une descente pépère jusqu'aux bords d'un des plus somptueux golfes de la côte Ouest.

Aléatoirement, le train empruntait de courts tunnels. Des parenthèses de fraicheur qui souvent m'évoquaient notre interlude frigorifique de la nuit précédente. Sans que cela ne dure jamais bien longtemps, car plus le terminus se rapprochait, plus la température montait.

Quelques fractions d'heures et le train s'immobilisait doucement, dans une forme de quiétude, une tranquillité subtile qui ne laissait aucunement présager de cette espèce d'obscurité qui allait suivre.

Ajaccio et son horizon bleu méditerranéen, une teinte si claire, si lumineuse avec ce soleil matinal toujours bien planté à l'Est.

Ajaccio. Le front de mer bordé de palmiers, de lauriers en fleurs et de véritables petits embouteillages en direction de l'aéroport. La ville nous avait rattrapés mais ne se trouvait ici rien pour évoquer Paris ou même la Capitale des Gaules de nos origines.

Ajaccio la méditerranéenne. Avec son linge qui pendait dans les ruelles, occupant parfois la totalité de l'espace entre les bâtisses. Avec ces noms séculaires sous de grandes statues en bronze patiné et d'autres moins imposantes faites de marbre blanc, des noms connus ou pas mais qui chaque fois, nous inspiraient un étrange respect. Et partout, ces murs lisses et propres, ces façades officielles drapées de teintes chaudes, apaisantes.

Ajaccio la fière, la rebelle. Avec la tête de Maures et les quatre lettres, des tags discrets mais omniprésents pour qui savait les voir, des graphites qui se planquaient dans l'ombre des venelles, avec la mer et la lumière en bout de couloir.

Presque une journée de la sorte, à mater les bateaux dans la baie, à boire des Pietras à l'ombre de vieux eucalyptus, à déambuler sous les balcons en recherchant le courant d'air salvateur. De longues heures à manger notre pain blanc sans le savoir, à le faire en ramassant les miettes une par une du bout des doigts...

Et puis nous avons filé à l'aéroport. Le reste du groupe débarquait et nous tenions à être présents à leur descente d'avion, pour voir leur tête autant que leur montrer l'étendue de notre bronzage...

Mais la suite fut moins lumineuse. Clairement.

Les journées furent plus longues, le rythme soutenu, les choix arbitraires et certains comportements d'une hypocrisie phénoménale.

Oui, l'arrivée des trois autres a brisé la douceur des premiers jours. Non, correction, elle ne l'a pas brisé, elle l'a carrément fait exploser !

[...]



  • Un beau voyage en Corse qui me donnerait envie de partir. , d'oublier les soucis....

    · Il y a environ 8 ans ·
    Dsc07355

    Claudine Lehot

    • Comme souvent ici sur wlw en.ce qui me concerne, cet exrait est doublement trompeur pris hors contexte. Ce n'est que la face lumineuse d'un contraste, contraste lui même partie intégrante d'un texte au sujet bien différent...
      En tout cas, merci pour ton passage ici et pour ce commentaire positif.

      · Il y a environ 8 ans ·
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      wic

    • merci !

      · Il y a environ 8 ans ·
      Dsc07355

      Claudine Lehot

  • punaise je me suis sentie en vacances, aussi vibrante qu'une petite cigale!

    · Il y a environ 8 ans ·
    B%c3%a9b%c3%a9 rigolo

    Florence

    • Ben c'est cool. Je vais peut être monter une agence de voyage virtuelle alors... ;-).
      Merci de ton passage par "chez moi"

      · Il y a environ 8 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

  • Un texte captivant Wic, qui me laisse sur ma faim, vivement la suite...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Version 4

    nilo

    • ...La suite et tout ce qui précède aussi car ce recueil à venir comportera 10 textes, des connus retravaillés et quelques nouveaux aussi (dont cet extrait dait partie...).

      Merci de suivre cette aventure ;-)

      · Il y a environ 8 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

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