Réincarnation

Marie Laure Bousquet

Réincarnation

J’ai quarante huit ans, et je suis morte, si, si, j’en suis sure....Ecoutez, je vous explique ,C’était bien un passage, je peux vous le certifier, et il y a effectivement quelque chose après. Cette découverte je vous demande de ne pas trop espérer dessus.

 Il ne s’agit pas de  paradis  non je ne le pense pas ,sincèrement, j’aurais bien voulu vous dire le contraire, c’était une chose étrange ou le sens de la vie, la rédemption ou toute autre genre  de justice n’ont rien à y voir..   enfin, il me semble.

J’avais pu constater que la vie n’était pas toujours une partie de rigolade, mais là je fus sidérée.

 Après un saut hypnotique dans le néant, sans douleur ni regret, je me suis  réveillée à la vie dans les bras d’un nourrisson de mauvais poil qui aussitôt tenta de m’arracher mon œil droit.

Moi qui ne croyais en rien, j’ose l’avouer, j’étais la victime d’une curieuse réincarnation j’étais devenue l’ourse en peluche d’un malappris qui faisait ses besoins sous lui et qui braillait toutes les heures pour tout un tas de raisons que personnellement je ne trouvais pas toujours très justifiées.  Quand ce n’était pas pour avaler goulûment un biberon de lait maternisé répugnant, c’était pour demander la tiède présence de cette pauvre fille dans lequel je me reconnaissais, ayant moi même été l’otage pendant des années de petits monstres de la même espèce. Heureusement j’échappais à la séance pénible du nettoyage de l’arrière train du chérubin.

- viens mon chou ! On va changer bébé !

Quelle bonne idée échangez-le ! Je ne sais pas moi, contre un chat par exemple ou bien, mieux, en monsieur, pourquoi pas ? bien sous tout rapport, beau, intelligent, amusant, ayant choisit d’adorer toute sa vie sa gentille nounourse.

Ouf ! Un peu de calme, c’est la séance du biberon suivit de l’immonde rototo. Mais le revoilà, il sent bon. Il s’endort. Il a lâché son bout de caoutchouc et le voilà qui fait de drôles de bulles, il est mignon. Elle se penche sur lui, elle n’a pas l’air en forme elle est maigre, elle sort sur la pointe des pieds, je sais ce qu’elle pense :

« Pourvu qu’il dorme au moins une demi-heure… »

Il pionce, je le surveille, je n’ai que ça à faire. Mais ce beau bébé rose, pour le moment vient de se retourner et de m’écraser de ses quatre kilos six. Pour ce qui est de la nourriture intellectuelle, c’est papa qui s’en charge, tous les soirs il vient nous lire des histoires de voitures qui parlent, ou bien de Choupi le petit frelon qui voulait voler comme un avion au dessus des capitales. On sent bien que déjà l’orientation de carrière du petit est tout tracé : ce sera un bon gros mâle qui fera un métier d’homme, et s’il n’est pas pilote de course astronaute ou aviateur il sera au moins mécano. Maman laisse faire pour une fois qu’il s’en occupe ! L’autre jour elle a posé un cadre avec notre photo sur le chevet du petit, ça été l’horreur, je me suis vu, je suis un grand ours marron, même pas joli ! Et en plus j’ai une grosse truffe.  Le sort est injuste. Pourquoi ? je n'ai rien fait de mal, en tout cas rien dont je me souvienne ! Je ne reconnais pas de volonté divine dans tout cela sinon celle d’un sinistre chenapan ! Ca y est le petit a réussi à m’arracher mon œil, la mère dit qu’elle ne pourra pas le recoudre alors le papa lui a chuchoté quelque chose à l’oreille.

Cette nuit le père est entré doucement, il n’a pas allumé la lumière mais j’ai vu qu’il déposait une peluche dans les bras de bébé. Un concurrent ? Me suis-je demandé mais j’ai vu qu’il était mon portrait tout craché mais avec ses deux yeux. Il l’a délicatement appuyé contre la joue du petit. Bébé n’a rien entendu, c’est heureux car j’ai du mal à supporter ses cris quand il se réveille. Mais le père m’a attrapé, je crois qu’il a ouvert une boite, et, ce qui est certain, c’est que je suis tombée dedans, je suis restée quelques temps dans le noir. Ca sentait drôlement mauvais. J’ai compris assez vite, ils m’avaient balancé dans la poubelle. J'ai échappé à l'usine de recyclage, je n'ose imaginer ce qu'il serait advenu de moi...Ecrasée, en bouillis, réincarnée en manche de pull over...acrylique bien-sur.

Heureusement, après pas mal de déplacements dont je passerai les pénibles détails, j’ai fini par trouver un havre de tranquillité, enfin, si on excepte les manifestations intempestives des mouettes et des insectes, assez envahissants. En effet, à présent je vis au grand air dans une décharge publique.  Mais j’ai repris du service, voilà que depuis deux jours, j’abrite une portée de souriceaux. Je sens que ça grouille là-dedans. Moi qui en avait une peur terrible, je n’ai pas pu refuser et tout compte fait, c’était idiot, ils sont si petits…La vie au grand air, une famille, de quoi pouvais je rêver de mieux ? 

FIN

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