Rencontre d’un ancien type.

Hervé Lénervé

Les vieux ont les dents longues, même si ce ne sont pas les leurs. Une rencontre réelle, du moins pour le début.

Toujours en promenade matinale avec Zébulon, vous le connaissez tous, à présent, je ne le présente plus, ce cabot. Je montais la côte de la rue Carnot, en soufflant comme un phoque asthmatique et en trainant le Zébulon qui freinait comme un gibet de potence qu'on mène au gibet ou à la potence, ce qui ne change pas l'issue. Un vieux, la descendait sur le même trottoir que moi. Arrivé à ma hauteur, je lui lançais affable.

-         Bonjour grand-père ! N'ayez pas peur de la rencontre du premier type, mon chien est moche, mais pas agressif.

L'homme ne sembla pas s'offusquer de ma familiarité, il m'accosta comme si on se connaissait depuis la naissance du Christ.

-         Moi ! J'ai rencontré un con, ce matin !

-         Pardon !

-         Oui ! A la pharmacie. Regarde !

Il me présenta des boites de médicaments, en ouvrit une et je vis qu'une plaquette de gélules était entamée. Bien, mais à part cela, je ne voyais pas trop ce qu'il fallait bien voir de plus, là-dedans. Il continua.

-         Tu vois, il en manque !

-         Oui ! Puisque vous en avez déjà pris.

-         Non !

-         Ah, bon !

-         Tu vois !

Il semblait fatigué, le grand-père.

-         Que dois-je voir, mon ami ?

-         Eh, bé, tient ! Qu'il en manque, pardi !

On tournait en rond. J'essayais de tirer au clair cette énigme. J'avais tout mon temps et Zébulon avait profité du sien pour baver sur le pantalon du vieux monsieur.

-         Vous avez donc rencontré un con ! Et qui c'était ce fameux con ?

-         Le pharmacien, foutreries, pardi !

-         D'accord, mais encore ?

-         Il m'a refilé des boites déjà à moitié bouffées !

-         Oh ! C'est pas bien,  ça !

-         Oui ! Pas bien du tout et il dit qu'elles étaient pleines, tu vois le con !

-         Certes, un sal con, au demeurant ! Mais vous êtes sûr, papy que vous ne l'aviez pas entamé avant, regardez la boite est toute déchirée.

-         Bien sûr, on n'arrive jamais à les ouvrir ces boites à la con, moi je me sers de mes dents.

Et l'ancêtre me fait une démonstration en déchaussant son dentier dégoulinant pour mimer la situation.

Que peut-il bien se passer dans la tête d'une bestiole ? On ne pourra jamais le savoir ! C'est un mystère ! Le fait est, que mon Zébulon, ordinairement, aussi placide qu'une vache regardant passé un train à l'arrêt, saute sur le dentier et l'avale d'un seul coup, tout de go, il le gobe sans le mâcher.

-         Merde mon dentier ! Il me l'a boulotté le con ! Dit le vieux.

J'étais embarrassé parce que j'étais gêné.

-         Je suis désolé, on va attendre qu'il le rende par le fondement.

-         Ça va être long ? C'est que j'ai des médicaments à prendre, moi !

-         Je ne peux quand même pas lui ouvrir l'estomac.

-         Essaye de regarder par son trou du cul, si tu vois mon dentier ?

-         Ah, non ! Je n'ai pas l'habitude de regarder par les trous de serrures, c'est de l'indiscrétion.

-         Je suis très embêté, car le dentier n'est pas à moi.

-         Mais à qui est-il donc, ce foutu dentier ?

-         A ma femme !

-         Merde ! Et bien évidemment, cela va lui faire défaut.

-         Pas le moins du monde, elle n'est plus de ce Monde depuis cinq ou vingt ans.

-         Tout est pour le mieux alors !

-         C'est toi qui le dis, car moi ce dentier, j'y tiens !

-         Je comprends, il a une valeur sentimentale.

-         Sentimentale, mon cul ! Je ne pouvais pas l'encadrer la vieille vioque de schnock.

-         Tout est pour le mieux, alors !

-         Tu n'y es pas du tout. C'est une catastrophe. J'ai absolument besoin de mon dentier de ma femme.

-         Ecoutez ! Pour aujourd'hui, manger de la purée ou de la bouillie. Je vous ramènerai votre dentier demain, sans faute, après défécation matinale.

-         D'accord, je ne mordrai l'autre con que demain alors ! Mais demain sans faute, car après, je vais oublier.

-         Je vous le rappellerai !

-         Oh, merci, l'ami, ça c'est gentil !

-         Tout est pour le mieux, alors !

-         Pas du tout !

-         Qu'y a-t-il encore.

-         Sais plus, me rappelles plus.

Pendant que le vieux monsieur fouillait dans le fouillis de sa mémoire, Zébulon en profita pour soulager sa vessie sur ses chaussures.

-         Ah, oui ! je me souviens ! Il me faut mes dents de ma femme pour aller embrasser ma petite nièce.

-         Aie ! Effectivement.

-         Regarde comme elle est jolie, la coquine !

-         Et il me sort de sa poche son ordonnance toute froissé.

-         Tu vois !

-         Effectivement très jolie assurément !

J'eus le temps de reconnaître parmi toute la pharmacopée écrite de psychotropes, des médocs assez sérieux. Il était bien atteint l'ancêtre. Je le laissais ainsi en lui donnant rendez-vous, même lieu, même heure, pour la restitution des dents de sa défunte.

Je ne revis jamais le vieux monsieur, ce qui m'arrangeait un peu, car à la gueule des restes du dentier récupéré, aucune gueule n'aurait accepté de l'héberger.

Parfois, il m'arrive encore de penser à cette rencontre frisant le surréalisme. Qu'est-il devenu, ce vieux monsieur dans ses brumes de fin de vie ?  Lui, qui avait perdu son épouse, qu'il n'aimait pas, depuis cinq ou vingt ans. J'aime ces rencontres éphémères et aléatoires, où deux vies se frôlent et se perdent. Je ne connaissais rien de lui, il ne connaissait rien de moi et nous n'en saurons jamais plus. Tout est pour le mieux, alors !  Si l'on veut, en quelques sortes…

  • j'ai trouvé ton chien : https://www.youtube.com/watch?v=InHc6dfa7H4

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    Marcus Volk

    • ha, ha ! Ton clebs est beaucoup plus déjanté que le mien.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • En plus on dirait que tes histoires sont vraies, c'est ça qu'est bien...

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    arthur-roubignolle

    • Il est vrai que je pars souvent d’un fait, d’une situation que j’ai vécu, puis après, je prends quelques libertés avec mes souvenirs et même avec la réalité. C’est ça qui est super avec le langage, sa possibilité de raconter des choses qui transgressent une réalité cohérente et tangible, selon nos connaissances empiriques de la réalité, bien sûr.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • Merci pour la correction, j’ai la mauvaise manie de me relire qu’après dépose du texte et je ne l’ai pas encore fait, trop tard, plus envie, je ne le ferai plus. Faudra faire avec les fautes. Néanmoins, je corrige celles signalées.

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    Hervé Lénervé

    • bah, moi aussi j'ouvre avec les dents !

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Gabriel Meunier

    • Pourquoi ? N'as-tu pas les clés de chez toi ?

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

  • GE-NIAL !!! (remettre un s éphémères, oublié) je fais suivre à plein de gens (jeunes et vieux con fondus...)

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    Gabriel Meunier

    • Un con fondu ne sera jamais un con fucius.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

    • celui là est assez conspirateur

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Gabriel Meunier

    • Alors disons, « un con fendu », ça conspire moins, mais ce n’est pas très romantique.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Hervé Lénervé

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