Retour à Pattaya

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Je n’étais qu’un gamin lorsque je fis la guerre du Viêt-Nam. 16 ans tout au plus. Un gamin inconscient. J’avais menti sur mon âge. Marre d’aider mes parents dans notre ferme du Texas. Envie d’ailleurs et d’aventure. De devenir un homme et de revenir en héros.

Comme beaucoup, j’ai vite déchanté. Les journées à marcher dans ces  fichues rizières avec 30 kilos de bardas me firent redescendre sur terre. A vrai dire, je me demandais chaque jour ce que je faisais-là. L’Amérique et ses fils s’embourbaient dans cette guerre.

Je remerciai cette fièvre qui un jour me frappa. Elle m’emmena loin de tout ce merdier. Loin des bestioles, du treillis collé à ma peau moite, des rangers cuisantes et de tous ces Viêt-Cong terrés dans leur jungle. Loin. Sur la base aérienne d’U-Tapao. En Thaïlande. Les soldats usés et blessés transitaient là avant d’échouer dans un petit village de pêcheurs où ils se requinquaient. Pattaya. A l’époque, ce n’était qu’un trou perdu, échoué le long d’une baie luxuriante et bordée d’une langue de sable blanc de quelques kilomètres de long. Une seule rue principale, quelques échoppes, des maisons de fortune, des vaches en liberté et des palmiers. Rien d’autre. A notre arrivée, de jeunes femmes maigres nous passèrent des colliers de fleurs autour du cou. Elles étaient poussées dans le dos par leurs familles affamées. Je compris très vite. Mes frères d’arme et moi,  coulions des heures douces au soleil, entre baignades et parties de cartes. Mais ils voulurent plus. Ils voulurent des femmes et, contre quelques pièces ou un peu de chocolat, ils se servirent. Des lieux de passes poussèrent comme des champignons et des pauvrettes débarquèrent des quatre coins du pays avec pour seuls bagages leur sourire et leur corps.

Loin de ces besoins primaires, je me prenais d’amitié pour un villageois veuf qui m’emmenait pêcher toute la journée. Un soir, tandis que le soleil rouge flirtait avec l’horizon vaporeux, hissant sa barque sur le sable, nous entendîmes de timides cris s’échappant de sa misérable cabane. Un marine saoul était en train d’agresser sa fille unique. Elle n’avait que 6 ans. Mon ami me lançât un regard suppliant que je ne pouvais pas ignorer. Le soldat était couché sur la petite qui se débâtait comme un moineau perdu. Je saisis à ma ceinture ma dague Gerber, m’approcha sans faire de bruit et la planta sous son aisselle, aussi profond que possible. L’homme succomba et on m’arrêta. La US Navy enterra l’affaire, ne voulant pas attirer l’attention sur Pattaya. Elle me remercia pour mes services rendus aux Etats Unis et je fus rapatrié au Texas. Jamais je ne pus me résoudre à oublier cette petite fille, ce regard si noir et si pur, qui chaque fois me transperçait ; ni ses petits doigts dans mon cou qui me chatouillaient le jour de mon départ. Elle arracha mes dog tags et je laissai derrière moi toute cette merde.

Je n’avais plus jamais quitté les Etats-Unis. Mais quand je reçus cet appel en PCV et entendis cette voix désespérée, égrener dans un mauvais anglais chaque inscription de mes anciennes plaques d’identité, je pris le premier avion pour la Thaïlande. Help. Un appel au secours balancé à travers les océans. Destination Pattaya, 30 ans après. Arrivé là-bas, je ne reconnaissais rien du petit paradis de mes souvenirs et découvrais écœuré, cette capitale du sexe. La nuit, les buildings blancs s’effaçaient derrière les néons racoleurs du plus grand bordel de la planète. A l’entrée des bars, des brochettes de femmes asiatiques s’offraient nues aux touristes gras et sur-alcoolisés. Qu’était donc devenue la petite fille du pêcheur ? Emportée dans la spirale du vice infernal ? Il me fallut cinq jours d’enquête, de gogo en strip bar, avant de la retrouver dans les bas-fonds de la ville, fréquentés par des camés, des transsexuels usés, des gamins abandonnés et des prostituées sidéennes. Elle gisait dans un taudis innommable, une aiguille plantée dans son bras décharné, un nourrisson nu la bouche refermée sur son sein. Je lui tapotais sa joue crasseuse pour la ramener et entre deux clignements d’œil, même s’il était vitreux, je reconnu ce regard. Elle m’adressa un sourire béat, embrassa le bébé et me le colla dans les bras avant de rejoindre l’extase qu’elle n’avait daigné quitter que quelques minutes pour moi.  Elle n’en revint jamais. Elle m’avait donné son enfant, et moi qui n’avais jamais trouvé de sens à ma vie, en tenais désormais un entre mes bras, que jamais je ne lâcherai...Pour rien au monde.


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