Retrouvailles

petisaintleu

Suite de C'est malin. Où le malin rencontre une diablesse.

Je me sentais bien. J'en profitais pour emmener mes ancêtres en promenade dans le Paris contemporain. Comme de bien entendu, ils se firent remarquer à la Cité des Sciences avec la niaiserie de leurs remarques, dignes de gamins de maternelle. Pour remonter le niveau, nous nous rendîmes aux Invalides. Henri écrasa une larme devant le tombeau de l'empereur. Arthur m'atomisa par la précision de ses anecdotes quand nous visitâmes le département consacré à la Première Guerre mondiale. Il me permit de toucher du doigt l'horreur et surtout la connerie humaine dans ce qu'elle a de plus horrible.

Je ne fus pas long à retrouver des liquidités. Non pas sur mon compte en banque, au niveau de mon estomac. Il ne fit qu'un tour, quand dans ma boîte aux lettres, je découvris une convocation de la police.

 

Dès la lecture de la lettre et la connaissance de l'officier qui me convoquait, je compris. Je ne suis pas une patate et je ne m'attendais pas à être reçu par Larry Wilcox ou par Erik Estrada, un des deux motards de Chips, cette série sponsorisée par une marque de dentifrice pour blanchir les dents. Q(uentin) D(aniel) Vico m'attendait.

« Bonjour mon ami. » Il avait maigri, le costume slim fit le seyant à merveille. Des lunettes en écaille le rendaient charmant. « Vous m'avez rendu un bien grand service en me faisant le plaisir de venir me visiter. »

Je tressaillis. « Ne vous inquiétez pas, voyons ! Vous savez fort bien que sur un simple claquement de doigt, vous auriez pu terminer dans un cul-de-basse-fosse. Heureusement, il y a bien longtemps que l'Ancien Régime est révolu et nous sommes entre gens civilisés, n'est-ce pas ? – il me sourit, sans que n'apparaisse la moindre malice. – Et, je ne suis pas un ingrat. Grâce à vous, je suis au sommet de mon art. C'est hallucinant les progrès entrepris dans le domaine de ce que vous appelez la police criminelle. À ce propos, qu'en est-il des investigations sur cet étrange assassinat ? Vous savez, la rue Watt. Peut-être étiez-vous absent, chez les Papous où dans d'autres contrées exotiques qui ne connaissent pas encore Internet.

— Que voulez-vous ?

— Rien de particulier, à part vous aider dans votre quête. Vous savez, ma réputation est un peu surfaite. Je ne suis pas un cœur de pierre. Je dois avant tout ma notoriété à mes dons exceptionnels de physionomiste. Et je me suis dit que je pourrais peut-être vous rendre quelques services. Et, comme vous n'êtes pas tout à fait libre de vos mouvements, si je peux vous être utile en quelque manière que ce soit. »

 

Mis en confiance, je lui racontai notre voyage aux tous premiers temps de ce qui n'était encore que l'embryon de la France. Pour l'escapade hollandaise, je ne rapportai que la rencontre avec Paulus et notre marche jusqu'à Heiligerlee. Quand il m'interrogea sur ce que j'y avais découvert, il fronça les sourcils et fit la moue, alors que je lui avouai n'en avoir aucun souvenir. Il prenait des notes, l'ordinateur sagement éteint.

Il se leva. Je le croyais immense. Il devait mesurer un mètre soixante-dix tout au plus. À douze ans, sa biographie nous dit qu'il avait déjà sa taille adulte. J'avais confondu précocité et gigantisme. Je supposai que, dès l'adolescence, il en était de même sous son crâne, échafaudant déjà des plans sur les commères pour effectuer de menus larcins. 

« La Hollande, ce désormais grand producteur de fleurs. Si vous l'aviez traversée au printemps, vous y auriez rencontré à foison ce que vous prendriez, à supposer que vous sachiez reconnaître une rose d'un glaïeul, pour des coquelicots. En vérité, il s'agit de Papaver somniferum, que les Grecs connaissaient comme « la plante qui amène l'oubli », le pavot. Je parie que cette vieille sorcière de Yanna se sera arrangée pour vous en gaver. La question n'est pas de savoir comment, j'admire sa malice et je lui laisse ses secrets de fabrique, mais de comprendre le pourquoi.

— Comment diable connaissez-vous Yanna, alors que je ne vous en ai même pas parlé ? C'est vous qui m'avez rafraîchi la mémoire. C'est la Bohémienne que rencontra Henri à Cadix. Et que viendrait-elle faire ici ?

— Oui, entre autres ... Je ne peux que constater que vous manquez d'écoute et que vous n'êtes pas très perspicace mon ami. Je vous le répète, vous ne saurez rien de mes secrets, cela gâcherait le charme. Et si, a priori, vous semblez aimer la peinture, vous auriez pu découvrir la Bohémienne depuis fort longtemps. Moi, je la connais depuis une éternité.

— Dites-m'en plus par pitié !

— Allez, je vais vous mettre sur la piste. Disons qu'elle vous a joué un mauvais tour.

— Oui, j'ai cru le comprendre. Ça ne me fait en rien avancer.

— Ah, mon brave, vous déduisez si mal les choses que je doute qu'un jour vous puissiez vous recycler dans la cartomancie. »

 

Je soupirai. Ma patience atteignait ses limites et, même si je savais qu'il comprenait mon exaspération, il en jouait sans doute, j'appréhendais trop l'homme pour me permettre la moindre remarque.

L'infâme, d'un large sourire, me révoqua, me donnant la journée et la nuit pour y réfléchir. Il me promit, dans un éclat de rire, une invitation à La Tour d'Argent si je trouvais la solution d'ici-là. Il m'invita à revenir avec ma famille.

 

Inutile de vous préciser que j'arrivai le lendemain les traits tirés, sans la moindre solution. Cette fois, il pouffa en voyant arriver Henri et il se délesta d'un « Yo man », en le découvrant fagoté comme un lascar du 93. Sur le bureau trônait le livre des tableaux qu'il faut avoir vu dans sa vie. Il s'agissait du mien. Je le reconnus à la tache de café qui en macule la tranche supérieure. Le diable ne s'habille pas qu'en Prada. Un papier marquait une page en son premier tiers. « Alors, on brûle ? » me demanda-t-il.

 

La plaisanterie avait assez duré. Il se mit de suite à l'ouvrage :

« Yanna, je l'ai connue très logiquement dès que je débutai ma carrière, comme indicateur, en 1809. Elle exerçait alors ses talents vers ce qui est aujourd'hui le quartier de la Gare, tiens donc, non loin de l'actuelle rue Watt. C'était une sorte de cours des miracles où pullulait des guinguettes et une dizaine de bordels. Ça grouillait de pouilleux. Il était donc facile de s'y cacher et de chercher à s'y faire oublier.

Un de mes anciens et éphémères compagnons de bagne, un certain Michon, avait traité avec elle pour une ténébreuse affaire du côté d'Arcis-sur-Aube. – il me fixa, un ange passa – C'est donc vers elle, après avoir montré patte blanche, non pas pour qu'elle puisse lire plus facilement les lignes de la main, mais par des signes ésotériques qui ne sont connus que des chiourmes, que je pus à plusieurs reprises résoudre des énigmes.

Si je la surnommais la sorcière, c'était, du moins au début, par affection pour son faciès improbable. Je ne suis pas vraiment porté sur l'au-delà, trop occupé à régler le sort des mauvais en ce bas-monde. Sa magie m'indifférait. Je n'y voyais qu'un moyen qui lui permettait de survivre sur le dos des crédules.

Ça se compliqua quand j'enquêtai en 1814 sur l'affaire Dautun, rue de la Grange-Batelière. Après le meurtre de Marie, on retrouva quatre mois plus tard le corps dépecé de son Auguste époux. Enfin, les morceaux que nous pûmes récupérer, dispersés dans Paris. Charles, le neveu de la première et le frère du second, termina la tête sous l'échafaud. Quelquefois, il est plus simple de couper des têtes pour étouffer l'affaire. En effet, on trouva sur les bras d'Auguste d'étranges tatouages cabalistiques. L'une des marques était typographique. Elle indiquait Fēhida. – je ne sais pas pourquoi, un frisson parcourut mon échine et une goutte de sueur perla jusqu'au bas de mon dos. Une image subliminale que je ne pus interpréter me traversa l'esprit. – Ce qui me fut explicité par un éminent linguiste, Michel du Vézelay, un ancien élève de Champollion. Malgré toutes ses compétences, notamment en cryptologie, il ne parvint pas à déchiffrer le reste. Nous étions alors pendant la Première-Restauration. On me demanda donc de trouver au plus vite un coupable. Je m'exécutai pour éviter de me tirer une balle dans le pied. Il fallait alors se tenir à carreau.

En sous-main, je menai mon enquête. Il est logique que je me rendisse chez Yanna, avec des croquis des signes inscrits dans la chair d'Auguste, en espérant qu'elle m'aide.

 

Quand elle les découvrit, je sentis toute l'abomination que l'humanité portait. Et encore, j'étais bien en dessous de la réalité. J'ignorais alors les théories darwiniennes et je m'arrêtai à Caïn et Abel.

Dire que par la suite nous devînmes ennemis est un euphémisme. Une semaine après avoir vu le sceau de la mort me friser la moustache si j'en avais porté une, les ennuis commencèrent. Après qu'une chouette fut plantée à ma porte, un de mes sbires, que j'envoyai en représailles punitives, rentra directement à la Maison Royale de Charenton. Je ne vous parle même pas de la malchance qui s'abattit sur moi. Mes yeux sont pour moi mon capital le plus précieux. De la conjonctivite, je passai à un abcès cornéen et je frôlai la cécité.

Je ne vous dresserai pas le catalogue de toutes les infections et de toutes les guignes qui s'abattirent sur moi, moi qui parvins à m'échapper de Brest et de Toulon. J'étais terrassé par une vieille harpie.

 

Il se tourna vers moi et ouvrit le livre à la page trois cent douze et le tourna vers moi. La Diseuse de bonne aventure de Georges de La Tour m'apparut. « Je suis en dilettante en ce moment. Vous me suivez ? »

Signaler ce texte