Rêves de folie

kiwi

J'allais devenir fou.

Je l'avais décidé un beau de matin de mai, en ouvrant les volets de ma chambre qui donnait sur les verdoyantes collines pré-vosgiennes. J'étais en train d'admirer le parallélisme parfait des vignes quand l'idée me frappa de plein fouet : c'était un beau, un merveilleux jour pour sombrer dans la folie. Restait maintenant à savoir comment j'allais procéder.

Au petit-déjeuner, je parlai avec enthousiasme de mon projet à ma femme. Celle-ci s'arrêta de manger net et me dit que j'étais fou, ce que je contestai vivement : justement, je ne l'étais pas, et c'était bien ça le problème ! J'allais lui demander si elle connaissait une technique, ou des personnes pouvant m'aider à atteindre mon but, mais elle avait déjà claqué la porte et, par la fenêtre, je la voyais s'éloigner d'un pas furieux, une valise dans chaque main.

Je ne me laissais pas décourager pour autant et fonçai à la bibliothèque me documenter sur les personnes célèbres ayant perdu la raison. Ce qui m'intéressait était le point de départ de cette folie : comment des gens adulés, connus dans le monde entier, riches et mariés avaient-ils pu devenir ainsi ? J'en trouvais certains qui avaient sombré dans la folie à cause d'un décès dans leur famille. Il y avait des lustres que je n'étais plus allé à un enterrement et l'idée d'assassiner quelqu'un me déplut fortement, bien que la prison aurait pu être un lieu propice à la réalisation de mon projet. D'autres étaient devenus fous car ils avaient peur de devenir fous, ce qui n'était évidemment pas mon cas, puisque c'était au contraire mon objectif. D'autres encore étaient devenus fous par solitude. Cela ne collait pas non plus avec moi, qui adorais être tranquille dans mon coin.

Je passais alors des heures, des semaines, des mois à la recherche de la moindre information utile. Ça me rendait malade, et je n'arrivais plus à en dormir de la nuit. Cette question m'obsédait : comment ??? Mais comment avaient-ils fait, bon sang ??? Je traversais des périodes horribles, à me dénigrer : les autres avaient réussi à devenir fous, et pas moi, je n'étais qu'un raté, qu'un minable…

Heureusement, un jour, j'eus une idée. J'ouvris un annuaire, le feuilletai fébrilement et je crus m'évanouir de plaisir quand je trouvai enfin ce que je cherchais. Je téléphonai sans tarder.

Une semaine plus tard, j'étais assis tout heureux dans la salle d'attente du docteur Schlumpf, psychiatre de son état. Il me prit assez rapidement et je lui exposai mes craintes et mes envies sans la moindre appréhension : je désirai être fou, mais je n'y arrivais pas « et je sais que vous, Monsieur, grand spécialiste de l'âme humaine, vous pouvez m'aider dans ma quête. » Il me regarda avec de gros yeux, sans dire un mot.

Aujourd'hui, j'écris ce texte depuis l'asile psychiatrique dans lequel le docteur m'a envoyé. Bien sûr, je n'étais tout d'abord pas d'accord avec cette décision : n'étant pas fou, cet endroit ne servirait à rien ! Mais maintenant, j'ai compris que c'était la meilleure solution : quoi de mieux pour étudier les fous dans le but dans devenir un que l'hôpital psychiatrique ?

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