ROOM SE(R)VICE

houalas

Décor : Tout se passe dans le même lieu, une chambre d’hôtel de luxe, mais à des temps différents.

Public: Adulte

Détail : Le cadre (avec photo) symbolise la soumission à l’autorité du père et le réflexe conditionné -mais non assumé- de déni par image interposée pour l’un (Benoît) et pour les autres (Sonia et Willy) la rupture consommée avec la famille ou ce qu’il en reste

Pièce sur la méchanceté, la lâcheté, la médisance, l’orgueil, la rumeur, le double jeu, le doute

Synopsis : Trois individus se croisent dans un hôtel haut de gamme. 

La chambre qu’occupe Willy depuis des années, est la toile de fond de cette histoire.  Mais elle a un rôle de première importance car à l’origine elle était destinée -de façon très confidentielle- à la police secrète, sorte de super brigade des mœurs, pour des affaires de mœurs de haut vol -diplomates, hommes d’affaire ; hommes politique-. Elle ne servit jamais à cette destination, mais a conservé l’installation vidéo surveillance dont elle était équipée à l’origine. Filmer ce qui se dit à huis clos se révèlera à double tranchant et ne servira pas forcément les intérêts du propriétaire des lieux.  Sous forme de flash back, on découvre que les apparences sont trompeuses et que ce que l’on croit savoir n’est le plus souvent qu’une illusion. Que la vérité est toute autre.  Les trois personnages sont des handicapés de la vie. Ils ont en commun un instinct de survie qui, en dépit de traumatismes enfouis au plus profond d’eux même, leur a permis de traverser tant bien que mal le cours de leur existence. Mais à quel prix. Dire ce qu’ils cachent en eux arrivera t’il à les soulager ? Rien n’est moins sûr.

Caractéristiques

Durée approximative: 1h30 minutes

Distribution :

SONIA: belle femme ambitieuse ; ancienne escort girl « pro » ; toujours en contact avec ce réseau ; peu de scrupules ; aime WILLY ; est sous sa coupe ; lui est dévouée corps et âme ; soumise à luiWILLY : le mauvais garçon par excellence ; petite frappe ; ancien dealer ; toujours sous le coup d’une condamnation probatoire ; se sert de Sonia; veut se faire de l’argent sur son dos mais avec sa complicitéBENOÎT : fils promis à un bel avenir du patron d’une chaîne d’hôtels de luxe. Aime SONIA. ; naïf mais sait user de sa naïveté.

PERSONNAGES

SONIA

WILLY

BENOÎT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Première scène : un homme entre dans une pièce sombre, très sombre, juste un rai de lumière -provenant d’une lampe posée sur une table- vers lequel il va se placer, la mine triste mais grave, l’instant est lourd. Il ne parle pas, avance déterminé vers un meuble, ouvre un tiroir, en sort un revolver, le regarde, le scrute et essaie deux ou trois façons de se tuer : canon dans la bouche, sur la tempe, sous le menton. Puis le remet dans sa bouche. Sort du rai de lumière : on ne voit quasiment plus.

A cet instant un homme entre précipitamment, plisse les yeux, cherche du regard, est affolé, distingue celui qu’il cherche, se précipite sur lui en hurlant :

 

 

 

 

 

BENOÎT. 

Non ! Non, ne fait pas ça ! Arrête ! (lui tient le bras, tente de l’empêcher de tirer, mais l’autre résiste ; un cadre sur une table avec un portrait à l’intérieur touché par un geste brusque tombe au sol) Willy c’est de la folie ! Tu ne peux pas faire ça ! TU N’AS PAS LE DROIT ! 

(Willy finit pas baisser le bras)

C’est bien ! Comme ça. Parfait. Il n’y a rien de mieux à faire. C’est très bien, Willy, tu m’as foutu une de ces trouilles.

(Benoît pense avoir réussi ; relâche son emprise et son attention ; mais d’un geste brusque, Willy replace le canon dans sa bouche)

NON !

NOIR

Profiter du noir pour  remettre en place le cadre sur la table mais à plat et portrait  tourné vers le bois de la table ; mettre sous un  meuble le revolver

BENOÎT.

(dans l’obscurité ; appelle l’accueil de l’hôtel)

Allo ?  (lumière) Vous m’entendez ? Allo ? Vous ne m’entendez pas ? Répondez bon sang !

WILLY.

Comment veux-tu qu’ils te répondent s’ils ne t’entendent pas ?

BENOÎT.

(poursuit sa conversation avec l’accueil)

Du champagne ! Je voudrais du champagne… Oui, du champagne ! Vous savez cette boisson avec de toutes petites bulles … Pardon ? Si je peux répéter ? Une bouteille de bulles dans un seau avec des glaçons ! Comment ?... Mais non, je n’ai pas froid ! Seau-glaçons-champagne pour la chambre…! Allo ? Flowers ? Mais…

WILLY.

Ah ! S’ils le disent avec des fleurs : C’est bon signe ! Manque que le champagne.

BENOÎT. 

(à Willy)

Oh, c’est bon ! C’est pour toi que je fais tout ça. (en même temps s’aperçoit du cadre plaqué sur la table ; le remet en position normale) Alors, s’il te plaît… (au téléphone)

Oui, je suis toujours là. Je vais bien, merci. Passer vous voir ? Mais ! Je veux du champa… Allo ? Flores ? Qui est-ce ? Vous savez quoi, je… NE COUPEZ PAS !

WILLY.

(goguenard)

Ah ! Ca vient de couper, non ?

BENOÎT.

Ca vient de couper !

WILLY.

Abandonne, pense à ton cœur ! C’est plus de ton age tout ça.

BENOÎT.

(réessaie)

Allo ? Allo ! Oui, ça vient de couper. Mais je n’ai pas raccroché. C’est vous qui… Oh ! putain, c’est reparti ! Non, non, je…  ! Ne cou… 

WILLY.

Va falloir se passer de champagne ! 

BENOÎT.

Ne désespérons pas. Tout est encore possible !

WILLY.

Dommage, le champagne était tout indiqué. Comment dis tu, déjà ? Nuage… Nuage céleste ! Quelques nuages célestes dans une coupe. Si c’est pas de la poésie, ça.

BENOÎT.

De la poussière d’étoile. Aux premiers jours de sa création, le champagne passait pour être de la poussière d’étoile. Faudrait revoir tes classiques.

WILLY.

Benoît l’érudit ! Sa vie, son œuvre… Son écrasante suffisance.

BENOÎT.

Tu veux en venir où, exactement ?

Le téléphone sonne

BENOÎT.

S’y rend sans passion ; il regarde Willy d’un air à la fois interrogatif et inquiet

Oui ? Encore vous… Ah ! Ca tombe bien, j’ai deux mots à... Pardon ? Le quoi ? Le fil du téléphone. Je ne sais… Faux contact ? Ah oui, ça je peux le faire. (s’abaisse pour regarder le fil et son branchement sous le meuble ; en ressort le revolver de la première scène ; est stupéfait ; le brandit interrogatif à Willy) Non ! Le revolver est bien branché ! (se rend compte de sa gaffe) Le Téléphone ! Le Téléphone est très bien branch…

Raccroché ! (dépité) Ca commence à me filer de l’urticaire cette histoire. (brandissant le revolver en direction de Willy) Mais qu’est ce ça fout là ce truc ?

     WILLY.

     (sans se démonter)

C’est un vieux pote. Faudra que je te le présente un jour.

BENOÎT.

Mais tu ne peux pas garder ça ici. Tu es complètement malade !

WILLY.

(se lève ; va vers Benoît ; lui prend le revolver des mains et tout en le plaçant dans un tiroir) 

T’as raison, il sera mieux là dedans ! (referme le tiroir)

Le téléphone sonne

WILLY.

(en chantonnant)

C’est pour toi !

BENOÎT.

(décroche ; d’un ton ferme)

- Oui ! Ah !... C’est pas trop tôt ! (regarde Willy désemparé il n’y a déjà plus personne au bout du fil ; raccroche) Je sais, je sais, ne dis surtout  pas un mot !

WILLY.

Dis moi...

BENOÎT.

Oui…

WILLY.

Tu n’en as pas assez que l’on te raccroche au nez…

BENOÎT.

Je ne comprends pas !

WILLY.

Que l’on te coupe systématiquement la parole !

BENOÎT.

Willy ! Qu’est ce qu’il te prend ? Tu es sérieux ?

WILLY.

Que l’on t’envoie bouler comme un malpropre et que tu ne trouves jamais rien de mieux que de t’aplatir, sans rien dire, avant de trouver une échappatoire.

BENOÎT.

(va vers le mini bar)

Voyons ce que propose le mini bar !

WILLY.

(ironique)

Qu’est ce que je disais, déjà ?

BENOÎT.

C’est bon, Willy, il faut que tu me lâches maintenant. Je n’ai absolument pas envie d’avoir ce type de discussion avec toi. En tout cas pas ici et pas maintenant.

WILLY.

Donc, jamais et nulle part !

BENOÎT.

Mais, enfin, tu cherches quoi, exactement. Tu veux que je me justifie. Que je te rentre dedans… Que je joute… Que je te pète la tronche. 

WILLY.

Faut voir !

BENOÎT.

Parce que tu me connais mal, WILLY. Tu ne sais pas de quoi je suis capable si l’on me pousse à bout.

WILLY.

C’est vrai. Et je suis sûr que tu n’en sais rien toi-même.

BENOÎT.

(passablement énervé)

Je n’ai peut être pas toujours été glorieux face à certaines situations… heu… embarrassantes, mais tu sais très bien que j’ai le sens de l’honneur, des principes et de la morale.

WILLY.

En me piquant Marie ! Par exemple.

BENOÎT.

Ah, non, tu ne vas pas recommencer !

WILLY.

Ce n’est pas vrai, peut-être ?

BENOÎT.

Mais, je ne te connaissais pas…

WILLY.

Pourtant, nous étions sur le même campus, pas pour les mêmes études, c’est vrai, mais ça faisait quand même deux mois qu’on y était, qu’on se parlait…

BENOÎT.

Ok ! Je te connaissais. Mais je ne savais rien de toi. On ne s’était parlé qu’une seule et unique fois, au restaurant, toi devant des spaghettis bolognaise…

WILLY.

Et toi devant ton assiette de moules à la persillade. Ton plat préféré !

BENOÎT.

Mon plat préféré ! Exactement ! Ca aussi c’est un problème ?

WILLY.

Non, non ! Juste qu’il vaut mieux éviter d’être dans les parages… Quand t’en manges… (le mime en train de manger des moules : bruits de langue, de palais, projections etc.) Penses-y, conseil d’ami !  

BENOÎT.

(exaspéré)

Conseil d’ami ! Comment veux tu être objectif, t’as toujours détesté ce plat. Tu n’arrêtes pas de me critiquer. Tu me balances des vannes plus vaches les unes que les autres. Et tu parles d’ami ! 

WILLY.

Ce n’était qu’une façon de parler. N’empêche que Marie, tu me l’as bien… piquée, soufflée, carottée… Tu l’as bien : Baisée !

BENOÎT.

Tu l’as reprise moins d’un mois plus tard. Sûrement pour soigner ton traumatisme ! A ce moment là, tu ne t’es pas vraiment préoccupé de ce que je pouvais ressentir.

WILLY.

Désolé ! Mais quand je l’ai défoncée, j’ai bien pensé à toi.

BENOÎT.

Arrête ! Willy, ça devient glauque. Tu deviens odieux.

WILLY.

Pas trouvé mieux… Excuse-moi !

BENOÎT.

Non, c’est moi Willy !

WILLY.

(sourire ironique, mais ne dit rien)

BENOÎT.

Ah non ! Tu ne vas pas recommencer !

WILLY.

Tu as raison ! (ironique) Mais ce n’est que partie remise.

BENOÎT.

C’est pas un jour comme les autres. Tu enterres ta vie de vieux garçon. Ca n’arrive pas tous les jours un truc pareil. (ouvre le minibar ; cherche) Y’a pas grand monde, là dedans.  (sort une mini bouteille ; regarde de plus près ce que c’est) Un doigt de… Marasquin ! pour vous être agréable ?

WILLY.

Non ! Je veux un truc qui cogne. Un machin qui râpe la gorge et décape l’estomac. Pas moins de 50 à l’ombre, sinon je fais un malheur. Compris collègue ?

BENOÎT.

(sort une seconde mini bouteille)

 Deux doigts de Marasquin, alors, pour vous plaire ! (pour éviter une nouvelle remarque débouche et verse dans les verres)

 

WILLY.

Et Sophie ? Tu t’en souviens de Sophie ?

BENOÎT.

Sophie ? Non ! Enfin oui, peut être. Vaguement. Ce n’était pas la petite rousse avec un semblant de bec de lièvre ?

WILLY.

Et des oreilles de lapin… Tu te fous de ma gueule ? Sophie, c’était une brune typée, des cheveux bouclés jusqu’au fion et des seins à pulvériser les braguettes. Si je me souviens bien, t’as dû y en laisser une bonne dizaine. Alors, tu ne vois pas de qui je veux parler ?

BENOÎT.

(fait mine de réfléchir) 

Sophie ! Oui, ça y est, je crois bien m’en souvenir, maintenant que tu le dis. Une assez jolie fille, c’est vrai. Mais c’est un peu flou dans mon esprit.

WILLY.

Un peu flou. Donc tu ne sais plus comment s’est finie la première soirée que nous avons passé tous les trois ensemble ?

BENOÎT.

Oh ! tu sais, il y en a tellement eu de soirées, qu’une de plus, une de moins, c’est du pareil au même.

WILLY.

Sauf que c’était également ma première soirée avec elle. Que j’ai flashé pour elle, la veille ; que j’ai déprogrammé notre soirée prévue pour le lendemain ; que tu m’as fait une crise d’abandonite aiguë; que j’ai fini par culpabiliser ; que t’as picolé avec nous… et que tu l’as sautée pendant que je dormais. Là, ça ne te revient toujours pas ?

BENOÎT.

Effectivement… Peut être… Mais enfin, t’oublies que t’étais complètement défoncé !

WILLY.

Ah, pardon ! J’espère que j’ai pas ronflé pendant que tu l’occupais.

BENOÎT.

Oui, bon, admettons que j’ai pas très bien agis. Mais on était plus jeunes et des nanas tu en avais tant que tu voulais. Alors que moi…

WILLY.

Alors que toi, celles que tu choppais, c’est Charlot qui les rabattait. Le problème, c’est que c’était pour lui qu’il les rabattait, Charlot !

BENOÎT.

Laisse Charlot où il est, s’il te plait !

WILLY.

Sympa le surnom que vous m’aviez donné, toi et ta bande d’aristos de merde.

BENOÎT.

Franchement, Willy, comment voulais tu qu’il en soit autrement. Le premier jour de la rentrée, tu t’es pointé avec une canne identique à celle de Chaplin. Tu avoueras que tu l’as bien cherché. D’ailleurs, c’est pas moi qui l’ai trouvé ce surnom, c’est Victor. Tu n’as pas oublié tout de même ?

WILLY.

Non ! Et lui non plus je pense. Quand je lui ai pété le nez, ça a fait comme un bruit de bois sec qui casse, comme un bruit de cloison nasale qui change de trajectoire. Il faisait moins le fier après, ton Victor.

BENOÎT.

Un vrai chien enragé. Pour te supporter, à l’époque, fallait vraiment le vouloir. 

WILLY.

Fallait vraiment être en manque, en fait ! N’est ce pas mon cher ami, sérieusement en manque ?

BENOÎT.

Pauvre Sonia ! Ca ne doit pas être rose tous les jours avec toi. Enfin, heureusement pour elle, elle fête aussi sa fin de vie de jeune fille. Et c’est très bien comme ça !

WILLY.

Quand je pense qu’elle est en train de faire la même chose de son coté. Qu’elle va se laisser aller. Qu’elle va peut être rencontrer des mecs. Et que… Va savoir. Je dois dire que ça me perturbe un peu. Pas toi ?

BENOÎT.

Non ! Mais avoue qu’avec ce qui l’attend avec toi, elle a intérêt à en profiter… Alors, qu’elle se fasse un maximum de bites la veille du mariage, c’est quand même pas toi qui va le lui reprocher, non ?

WILLY.

(lui balance un coussin dessus)

Ok ! Au temps pour moi ! (bois d’un trait ; grimace ; trouve pas ça bon) M’en veux pas pour tout à l’heure. Je suis un peu nerveux ces temps ci. J’ai de bonnes raisons, non ?

BENOÎT.

C’est pas faux. Mais moi, ce que j’en dis !

WILLY.

Allez, pour penser à autre chose. Non ! Aller ! Pour fêter dignement ce qui est en train de se passer -et surtout pour m’enlever le goût de produit de chiottes que j’ai en bouche-, je vais descendre à l’accueil le chercher, ce champagne.

BENOÎT.

Ah ! enfin de bonnes paroles. Profites-en pour leur dire ce que j’en pense, de leur service.

WILLY.

(allant vers la porte d’entrée)

Tu veux que je leur dise qu’ils sont très bien, mais qu’ils devraient être un poil plus rapide ? Sinon, ils vont se faire tirer les oreilles, les coquins. Sans vouloir les froisser, bien sûr !

BENOÎT.

(lui balance le coussin alors que WILLY ferme précipitamment)

Connard !

(se lève, ouvre la porte, scrute le couloir ; referme ; prend son portable ; compose un numéro)

Sonia ? Oui !... Oui ! Bien sûr ! … Oui, ok ! A plus tard ! Je t’aime, Sonia ! Je t’aime, mon amour !

NOIR

Profiter du noir pour remettre le cadre à plat

Lumière

BENOÎT est seul dans la pièce. Tout excité, il va se regarder dans le miroir, ajuste sa tenue, époussette le grain de poussière récalcitrant, se contemple, défait sa coiffure, se recoiffe avec soin, remet le cadre debout, semble soudainement prendre conscience de quelque chose d’important, se précipite vers le mini bar, l’ouvre, cherche mais sait déjà qu’il n’y a pas ce qu’il souhaite, se précipite sur le téléphone, compose un numéro à deux chiffres

BENOÎT.

Room service ? Oui, oui… Bonsoir ! Je … Oui ! Je vais bien ! Merci !... MERCI, j’ai dit ! Oui ! Hein ? JE sais ! Room service ? Comment ça : Room service ? Mais, je sais ! C’est moi qui vous ai appelé. Comment ? Si je vais bien ? Mais qu’est ce que ça peut vous foutre ? Je… Allo ? Room service ? Room service ! ROOM SERVICE ! Vous voulez que je descende ? Mais je vais vous péter la gueule, moi. Faut pas trop me chercher. Ca va mal finir !... Mais bordel de merde, c’est Moi ! je vous dis ! Room service ? Allo ? Bon, j’arrive, ça va chier ! Quoi ? Qu’y a-t-il pour mon service ? (s’assoit anéanti ; s’essuie le front) Du champagne ! Je veux du champagne ! (se rend compte qu’il ne parle plus dans le combiné ; se relève d’un bond, fébrile re-colle le combiné contre sa bouche ; une femme entre dans la pièce, mais Benoît ne la voit pas) Non, non, ne partez pas, je suis toujours là… Hein ?... C’est le combi… Non, mais laissez tomber, ça serait trop long. Du Cham-pa-gne ! Je veux du Cham-pa-gneuu ! 

SONIA.

Si c’est ça que vous voulez (elle brandit une bouteille), c’est chose faite !

BENOÎT.

(au combiné) C’est bon !... (entre ses dents, de manière crispée) C’est bon je vous dis ! Vous annulez la commande. Vous annulez tout. Vous êtes nuls ! (froidement) Mais on aura l’occasion d’en reparler ! (raccroche sèchement ; s’avance vers Sonia, tout sourire) Merci d’être montée, Sonia, je suis ravi de vous voir ici.

SONIA.

On pourrait peut-être…

BENOÎT.

Déjà ?

SONIA.

Mais je ne…

BENOÎT.

Je plaisante ! Mettez vous à l’aise. Asseyez-vous !

SONIA.

Je préfèrerais m’allonger tout de suite !

BENOÎT.

Mais … (bouche bée)

SONIA.

C’est à mon tour de plaisanter ! Ca ne vous rappelle rien... Et si on la mettait au frais (sourire espiègle).

BENOÎT.

(ne dit rien, petit sourire en coin)

SONIA.

(brandit la bouteille) 

BENOÎT.

(s’en empare et tout en allant vers le seau à champagne pour y déposer la bouteille) 

Vous savez, je suis très impressionné.

SONIA.

Vous n’en avez pas l’air !

BENOÎT.

Je sais cacher mon jeu.

SONIA.

Je n’en doute pas, mais le jeu en vaut il la chandelle ?

BENOÎT.

Comment en douterais je ? N’êtes vous pas là, face à moi, dans cette chambre ?

SONIA.

C’est vrai ! Mais je me demande ce que j’y fais. Si j’ai bien fait d’accepter votre invitation. Vous êtes le boss, tout de même.

BENOÎT.

Bien sûr que vous avez bien fait. Mais, là, ce n’est pas votre chef que vous avez en face de vous, c’est Benoît, un homme qui vous apprécie beaucoup. Vous n’avez rien à craindre, vous savez. Je sais me tenir.

SONIA.

Mais c’est peut être ça qui m’inquiète le plus.

BENOÎT.

(déstabilisé) Alors vous ne serez pas déçue (s’avance vers elle, prêt à l’enlacer).

SONIA.

(le regarde droit dans les yeux) 

Seulement, il y a une chose que vous oubliez…

BENOÎT.

Ce n’est pas étonnant, vous me faites perdre la tête. Un seul mot de vous et j’en perds la raison. Dites moi ce que vous voulez. (s’offrant à elle) Commandez… moi !

SONIA.

Du champagne suffira. Pour l’instant.

BENOÎT.

(attrape deux coupes et tout en débouchant la bouteille et en servant le champagne :) 

Parlez moi de vous, Sonia.

SONIA.

Il n’y a pas grand-chose à dire, vous savez. Rien de très excitant en tout cas.

BENOÎT.

Bien sûr que si ! On a tous une histoire à raconter, quelque chose à dire sur sa vie. Et toutes ces histoires ont au moins le mérite de représenter quelque chose pour celui -ou celle- à qui elles appartiennent.

SONIA.

Mais je vous assure, ma vie n’a été jusqu’à présent qu’un conte de fée. Des parents qui s’aiment, qui m’adorent. Une famille heureuse installée dans un très joli hameau. Pendant longtemps, j’ai été entourée de chiens et de chats. Nous n’étions pas très riches, mais ce n’est que maintenant que je m’en rends compte. Durant tout ce temps, nous ne manquions de rien. Mes études se sont déroulées sans difficulté majeure. J’aimais étudier. Je sais que je n’avais pas un niveau particulièrement élevé, mais je ne m’en sortais pas trop mal. Je crois qu’en fait, tout s’est passé sans heurt, sans réelle, ou significative anicroche. Une vie heureuse et… parfaitement chiante ! (se rend compte du mot grossier devant son chef) Oh, pardon ! Bref, rien qui soit digne d’un grand intérêt à être raconté.

BENOÎT.

Ce n’est pas vrai. Même dans ce qui semble être la plus linéaire des histoire, il y a toujours  du beau, du merveilleux… Du sanglant, du pervers, de l’affreux.

SONIA.

Désolée de vous décevoir, mais pas pour moi !

BENOÎT.

En êtes vous si sûre ? N’y a-t-il pas quelque part, enfoui au fond de vous, quelque chose dont vous refusez de parler, un détail, un événement, des faits inavouables et terriblement obscurs ?

SONIA.

(quelque peu déstabilisée)

Mais non ! Non !

BENOÎT.

Réfléchissez bien ! Un petit inceste bien caché…

SONIA.

Mais…

BENOÎT.

Une grossesse coupable…

SONIA.

Vous êtes sérieux ?

BENOÎT.

Une maladie honteuse ? Une petite maladie honteuse et bien croustillante !

SONIA.

… C’est vrai ! Vous avez raison, j’ai quelques secrets. Mais ne comptez pas sur moi pour en parler.

BENOÎT.

Je le savais ! J’en étais sûr ! Nous en avons tous, sans exception !

SONIA.

Quels sont les vôtres ?

BENOÎT.

Ah non, c’est donnant donnant. Et puis, je ne voudrais pas vous faire rougir.

SONIA.

Aucune chance, j’ai vécu à la campagne vous savez, les rougeurs, ça me connaît. Vous êtes d’ici. De cette ville, je veux dire ?

BENOÎT.

Non ! J’ai beaucoup voyagé. Mon père était un diplomate réputé dont l’efficacité l’a conduit sur les terrains les plus dangereux, dans les missions les plus périlleuses. Ma mère et moi étions, en quelque sorte, mais toujours pour la bonne cause -celle du pays, de la nation- nous étions sa couverture, sa vie bien rangée. Ce n’était pas un espion bien sûr, quoique certaines de ses « aventures » auraient pu le laisser croire, mais c’était un homme hors du commun, prêt à tout pour l’honneur, l’avènement de la justice et de la démocratie. Nous avons vécu dans des palais, mais aussi dans de vraies bicoques au fin fond de contrées tout juste indiquées sur une carte. Sa retraite est arrivée bien tôt dans cette vie trépidante, mais les souvenirs que j’en garde, ce dans quoi il nous a entraînés, m’imprègnent encore aujourd’hui d’un souffle, d’une exaltation que rien ni personne ne saurait tarir.

SONIA.

Si j’en crois votre raisonnement, y’a bien quelque chose qui cloche dans votre tableau idyllique. Non ? Un petit truc pas clair. Un machin un peu sale qui vous colle à la peau. Une esclave à la maison, peut être ? Un vol d’antiquité, je parie ! Non, j’y suis, le soutien d’un dictateur sanguinaire pour les intérêts supérieurs de la patrie ! Je me trompe ? 

BENOÎT.

(prend le temps de réflêchir)

Donnant…donnant !

SONIA.

(très sérieuse et grave)

Ok !... J’ai été violée par un escadron de CRS antillais !

BENOÎT.

(très sérieux et grave)

Ok !... J’ai perdu deux cent mille euros au poker que je ne peux pas rembourser et des mafieux veulent me faire la peau.

SONIA.

(très sérieuse et grave)

Mais le pire, c’est que… j’ai adoré ça !

BENOÎT.

(très sérieux et grave)

Mais le pire, c’est que, pour m’obliger à payer…ils ont pris mon père en otage ! Le pire du pire, c’est que je n’ai aucune envie de le récupérer.

Benoit et Sonia : Eclatent de rire

 

BENOÎT.

-C’est extraordinaire que vous soyez passée ce soir. Ca ne pouvait pas mieux tomber, c’est le soir où je reste le plus tard. Et quelle chance que votre ami, lui, ne soit pas venu.

SONIA.

On peut le voir comme ça, en effet ! Vous le connaissez depuis longtemps, non ? 

BENOÎT.

Assez longtemps, oui. Assez longtemps pour savoir deux ou trois choses sur lui. Mais connaît on vraiment les gens ?

SONIA.

Si on veut les comprendre, c’est bien d’essayer. 

BENOÎT.

Et vous croyez en savoir assez sur lui pour prétendre que vous l’avez cerné ?

SONIA.

Certainement pas ! Je le connais à peine. Mais je le trouve fascinant ! Pas vous ?

BENOÎT.

Méfiez vous Sonia, faites attention à vous. Willy est un être complexe qui ne donne à voir de lui que ce qu’il veut qu’on voit.

SONIA.

Ne sommes nous pas tous un peu comme ça, au fond. S’il me plait, c’est qu’il me semble sûr de lui, authentique dans ce qu’il fait, passionné à l’extrême. Ce garçon est un roc recouvert d’acier inoxydable. 

BENOÎT.

(s’emballe)

Un tordu ! Voilà ce qu’il est. Prêt à tout pour arriver à ses fins. Il vous séduit pour mieux vous embobiner. Les femmes ne sont que des outils dont il tire sa subsistance. Si vous n’y prenez garde, il vous rendra accro à un mirage. Ne jouez pas avec votre âme, sinon vous risqueriez de la perdre et de vous perdre vous-même… (se rend compte qu’il est allé un peu loin ; se ressaisi) Excusez moi ! Vous n’êtes pas là pour écouter des mots que vous n’êtes pas prête à entendre. 

SONIA.

 En vérité, je n’écoutais plus. Vos paroles sont bien trop dures pour une âme aussi sensible que moi… Ca fait donc un petit moment que vous et… 

BENOÎT.

Willy ?

SONIA.

 Oui !

BENOÎT.

Depuis quelques années. J’étais en prépa HEC, et lui en DUT Génie Civil. Malicieux, vous ne trouvez pas ? 

SONIA.

Non, je ne vois pas. 

BENOÎT.

Willy en DUT Génie Civil… Génie ci-vil ! Non ? Peu importe. Toujours est il que le destin avait décidé de nous mettre en présence, car à deux jours près nous nous rations. J’étais en cours depuis à peine deux mois quand je lui parlai pour la première fois. C’était au Restaurant Universitaire, devant un plat de moules à la persillade.

SONIA.

 Il a horreur de ça !

BENOÎT.

Pas à l’époque. Il les adorait. C’est lui qui m’y a initié, d’ailleurs. Il ne vous l’a pas dit ? Toujours est il que c’était son dernier repas. Il avait décidé de tout arrêter dès le lendemain. 

SONIA.

C’est ce qu’il a fait, non ?

BENOÎT.

Oui, mais nous nous sommes revus. Comme il avait du temps à perdre et que moi je bossais très dur, durant mes temps de répit, il me distrayait. On faisait la fête, il m’aidait à réviser. Sa compagnie n’était pas de tout repos, mais elle m’évitait de sombrer dans la morne solitude des études.

SONIA.

Vous viviez ensemble, non ?

BENOÎT.

Il squattait chez moi, pour être plus précis.

SONIA.

Ne me dites pas que vous acceptiez tout cela sans contre partie.

BENOÎT.

Très peu en fait, sauf si l’on considère les deux ou trois produits illicites qu’il voulait bien me céder, comme des compensations en nature.

SONIA.

Oui, en fait, c’était votre fournisseur officiel !

BENOÎT.

C’est lui qui vous l’a dit, je parie. Comme toujours, c’est largement exagéré.

SONIA.

(perplexe ; puis, changeant de sujet)

 Et si on finissait par le goûter avant qu’il ne se réchauffe, ce champagne (levant son verre elle s’attarde sur lui) On dirait une myriade d’étoiles.

BENOÎT.

De la poussière d’étoiles, Sonia…

SONIA. 

C’est du Willy, ça, non ?

BENOÎT.

(d’un air vexé)

Non, pas vraiment… Des particules stellaires rien que pour éclairer vos yeux merveilleux.

SONIA.

Vous savez parler, Monsieur !

BENOÎT.

(faussement énervé)

Bon, maintenant, ça suffit ! C’est Benoît ! Ou bien  je retire tout…

SONIA.

(empressée)

Benoît ! Ok ! Ce sera Benoît. (se donne un ton inquiet) Vous n’allez rien retirer, n’est ce pas ?

BENOÎT.

… C’est Benoît ! Ou alors je retire tout ce que j’ai dit ! 

SONIA.

On ne peut pas dire que vous ayez dit grand-chose qui nécessite le retrait. A moins que vous ne parliez de pensées coupables.

BENOÎT.

La seule chose que l’on peut leur reprocher, à mes pensées, c’est de n’avoir pas été les meilleures.

SONIA.

Ah oui ! Et elles auraient dit quoi si elles avaient eu le libre cours de le faire ?

BENOÎT.

Elles auraient dépeint votre beauté, l’éclat de vos cheveux, la finesse de votre peau, le parfum de vos yeux et la promesse de votre corps. Elles auraient chanté les rondeurs de votre taille, le fuselage de vos cuisses, la cambrure de vos reins. Elles auraient dit la pureté de votre sourire, fêté le sang de vos lèvres, souligné le rose tendre de votre cou. Elles…

SONIA.

Si elles avaient su le frisson de mon corps et la rougeur de mes joues, elles auraient mieux fait de se taire !

BENOÎT.

Donc, c’est Benoît et je ne retire rien. Ca vous va ?

SONIA.

Bien ! Alors cher Benoît : on trinque !

BENOÎT.

Trinquons ! Je vous laisse décider à quoi nous le faisons.

SONIA.

Alors, trinquons à ce grand moment… 

Ils trinquent

BENOÎT.

A ce grand moment !

SONIA.

(prend un air songeur)

… et à tout ce qui se passera ensuite.

BENOÎT.

(pose son verre ; s’approche d’elle) 

Non, maintenant ! (l’embrasse)

SONIA.

(le repousse tendrement) 

Vous ne trouvez pas que vous allez un peu vite ?

BENOÎT.

Non, bien sûr que non ! A quoi bon attendre ?

SONIA.

Mais parce que l’impatience n’est jamais bonne conseillère. Parce que ce n’est pas dans la précipitation que le désir trouve sa meilleure alliée. Parce que l’urgence rend stérile les plus grands moments de tendresse. (fait une pause) Parce que si j’ai envie de toi, c’est à toi d’attendre le signe qui va nous faire nous rapprocher (en disant cela elle se rapproche de lui).

BENOÎT.

C’est un signe, ça, non ? (va pour l’embrasser de nouveau)

SONIA.

(interpose sa main entre leur bouche) 

Ce n’était pas le bon (boit sa coupe de champagne d’un trait ; pose le verre quelque part ; langoureuse) Remplis le ! Tu veux un signe ? Tu vas en avoir tout un escadron !

Sonia entame alors une danse de la séduction telle Salomé devant Hérode. C’est la danse de celle qui sait qu’elle séduira l’homme/proie afin de le tenir sous sa coupe et d’obtenir de lui tout ce qu’elle veut.

La danse ne doit pas durer une éternité, mais concentrer tout ce qu’il y a de plus féminin dans cet art pour que son charme opère. Elle peut être un sulfureux mélange de streap tease et de danse moderne, l’idée n’étant pas tant de se dénuder, que de suggérer le déshabillage et par la même la montée du désir chez l’homme qui la regarde.

Jouer de tous les artifices possibles -musique ; éclairages ; maquillage ; accessoires etc.- mais garder à l’idée de présenter quelque chose d’original qui ne soit pas la triste copie d’un streap bon marché avec danse de tuberculeux. Important : le cadre doit à un moment donné être totalement recouvert d’un de ses vêtements

Ca pourrait ressembler à ceci :

 

SONIA. fait signe à l’éclairagiste : lumière d’ambiance. Elle fait signe au technicien : musique d’ambiance cabaret/numéro streap. Puis streap tease derrière un paravent avec un jeu érotique fait de morceaux de peau dénudée et de vêtements ostensiblement jetés jusqu’au dénudement supposé total. SONIA. n’a plus qu’à enfiler un peignoir pour réapparaître entièrement et mettre fin au numéro.

BENOÎT.

(la plaquant contre lui ; empressé)

C’était le chant du cygne. Me reste plus qu’à mourir… entre tes bras. (l’entraînant vers le lit) Tu viens !

SONIA.

Le temps pour moi d’en griller une. Le temps pour toi d’une petite toilette…

BENOÎT.

(légèrement surpris ; mais se laissant faire)

SONIA.

(le poussant vers la salle de bain)

Allez ! Et ne me déçois pas !

BENOÎT.

(libère le cadre de son vêtement ; entre dans la salle de bain ; disparaît ; lui parle depuis la salle de bain)

Tu vas voir Sonia, tu ne vas pas être déçue. Ca sera tendre… grandiose… extraordinaire. Ca sera…

SONIA.

(froidement)

Ca sera 2000.00 euro. Cash !

NOIR

Lumière

WILLY.

 Room service ? (raccroche sèchement ; redécroche le combiné ; refait le même numéro) Room service ? Oui ! Allo, c’est la cham… Comment ça plus lentement ? C’est la cham … Pardon ? Vous le savez déjà ? Ne cou… Je n’entends plus rien ! Je vous entends. C’est qui ce gros con qui hurle dans l’appareil ? Vous allez me calmer ! Alors là tu vas t’en prendre une ! J’arrive ! (répète ce qu’il entend) Va être content ! Y’a sa poufiasse qui monte ! Je vous entends ! JE VOUS… (à lui-même, tout en maintenant fermement le combiné dans sa main) Mais putain de bordel de nom de dieu ! Qu’est ce que c’est que ce merdier ! (au combiné) ROOM SERVICE !... (excédé) Tu-tu-tu-tuuuu… Il sait dire que ça cet enfoiré de con de téléphone. (plaque le cadre contre le bois de la table)

SONIA.

(entre dans la pièce ; s’immobilise ; regarde Willy)

J’arrête tout ! 

WILLY.

Pardon ?

SONIA.

Tu as très bien compris, Willy, j’arrête tout, c’est plus tenable !

WILLY.

Je te sens un peu à cran, toi !

SONIA.

Je n’y arrive pas. Je n’y arrive plus. Tu m’as entraînée dans un truc qui me dépasse. Je pensai l’assumer, faire semblant d’y croire, mais ça va au-delà de mes forces. Non, je peux pas faire. Désolé !

WILLY.

C’est un coup de grise mine, que tu nous fais. Allons, allons, tu ne vas pas te laisser dominer par ton moi intérieur… (se demande si ça veut dire quelque chose) Heu… Par ton toi intérieur… (pas plus rassuré) Heu… Arrête de t’en faire ! Tu as plus de classe, Sonia, plus de tenue d’habitude.

SONIA.

Je suis à bout de nerf. La tension est trop forte. Tout cela est allé trop vite. Tu comprends, trop vite pour moi, en tout cas.

WILLY.

Quand on s’est rencontrés, tu m’as plu tout de suite. En un instant, j’ai su que c’était toi et pas une autre. Mais tu sais ce qui m’a le plus attiré chez toi, Sonia ?

SONIA.

Tu m’embrouilles, Willy, ce n’est pas le sujet, ça n’a rien à voir avec ce que je te dis.

WILLY.

C’est ta force de caractère. Comme si rien ne pouvais t’arriver, que t’avais la capacité de te sortir de tout.

SONIA.

Mais c’est faux ! J’étais complètement désorientée, ma vie n’avait aucun sens. Je me sentais ballottée comme un bouchon au milieu de l’océan. Je fuyais mon passé et ne voyais rien de bon dans mon avenir. Alors, me sortir de tout… Ma force de caractère… : tu me prends vraiment pour une grosse conne, oui !

WILLY.

C’est là où tu te trompes. Je sais déjà tout ce que tu dis, c’est vrai, mais ce n’était qu’une enveloppe, la partie visible et fragile de la trempe qui couvait en toi. Et je l’ai vu tout de suite, dans tes yeux. Un regard ne trompe pas ! Il peut servir l’envie, la pitié, le désespoir, l’amour en gesticulant tant qu’il peut, mais tu ne peux pas éteindre ce qu’il y a derrière les mimiques. Si on n’ose pas regarder dans les yeux des autres, c’est par peur qu’ils voient ce qui se planque au fond de toi. Moi j’ai vu !

SONIA.

Et tu as vu quoi ? La peur d’une abrutie qui se retrouvait là où elle n’aurait jamais dû se trouver ou bien l’angoisse de ce qui l’attendait si elle ne décampait pas ?

WILLY.

J’ai vu l’envie de ne laisser à personne d’autre décider de son destin.

SONIA.

T’es qu’un baratineur, Willy. Tu me connais trop bien pour être honnête. Je sais que je suis prévisible et malléable à souhait. 

WILLY.

Non, Sonia, tu es mieux que tu ne le penses. Tu as toujours eu une mauvaise image de toi et tu ne sais que te rabaisser, comme si te faire du mal te donnait le droit d’exister. Crois moi, Sonia, tu mérites mieux que ce que tu penses de toi ! C’est vrai que je te connais, mais c’est parce que tu m’intéresses. Que je tiens à toi. Tu es à moi, Sonia. J’ai envie de tellement de choses pour toi, avec toi. Ma petite Sonia si fragile et si forte.

SONIA.

Alors on va vivre ensemble ? On va tout arrêter et recommencer une nouvelle vie ? Tu es d’accord pour laisser tomber ? Par amour pour moi !

WILLY.

Reprends toi, Sonia, on ne va rien arrêter du tout. Et tu veux que je te dise pourquoi ?

SONIA.

J’en étais sûre. Ta morale, tes leçons de conduite, de maintien ; tes remarques, ta dissuasion, je m’en contrefous : j’arrête tout !

WILLY.

Tu vas m’écouter, Sonia. (va vers elle et la prend par les épaules) Sonia ! tu vas m’écouter, à la fin !

SONIA.

J’en ai plus qu’assez de t’écouter. Tu vois où ça nous mène… où ça Me mène, de t’écouter.

WILLY.

Ah, oui ! Et ça te mène où. Dis moi pour voir. Je suis curieux de t’entendre. Parce que sans moi, tu n’en serais pas là aujourd’hui…

SONIA.

… Et je ne m’en porterais pas plus mal. Bien au contraire !

WILLY.

(hausse le ton ; devient menaçant)

Regarde la réalité en face ma pauvre Sonia, tu faisais quoi au juste quand on s’est rencontré ? Hein ?

SONIA.

Salaud !

WILLY.

Tu faisais la pute. Tu baisais pour du fric. C’était combien déjà ? 50 ? 80 ? 100 euro la passe ? Tu venais ici, dans cet hôtel, parce que tu croyais niquer avec la haute. Tu t’imaginais te faire sauter par des bourges, des hauts fonctionnaires, des vedettes du show-biz ! Tu justifiais même ton : activité ! en te conditionnant à croire qu’elle avait quelque chose de noble et au fond, de juste. Sainte Sonia des Baiseuses Engagées, en croisade pour un monde meilleur et une plus grande justice sociale.

SONIA.

Je n’ai jamais couché par goût, par envie…

WILLY.

Encore heureux ! Cela dit, j’ai comme un doute.

SONIA.

Jamais, tu m’entends, jamais. J’ai toujours eu en tête de n’en donner pas plus que nécessaire. Le strict service minimum. 

WILLY.

Mais tu l’as fait, tu m’entends, tu l’as fait des dizaines de fois, sans aucun état d’âme peut être, mais tu t’es bel et bien envoyée en l’air pour du fric.

SONIA.

Et alors ? Tu n’en as pas profité, peut être.

WILLY.

N’inverse pas les rôles, tu veux bien. J’ai seulement organisé ce qui partait en couille. D’une certaine façon, je t’ai servi d’agent. Sans moi, tu n’avais que quelques scènes en province dans des endroits paumés. Avec moi, tu remplis tous les soirs dans les meilleures salles. C’est pas vrai ?

SONIA.

Quelle élégance. Quelle vision pathétique de ma vie.

WILLY.

Mais de là à dire que c’est un hasard. Que tu n’y es pour rien.

SONIA.

As-tu la moindre idée de ce que c’est d’écarter les jambes pour du fric ? Es tu seulement capable d’imaginer ce que c’est de se faire baiser contre quelques billets ? Tu t’en balances, parce que tu penses rester propre, mais le sale boulot, c’est moi qui le fais. C’est moi que l’on saute, pas toi. J’ai peut être pas beaucoup d’amour propre à tes yeux, mais la peur que je ressens à chaque pénétration, cette envie de vomir qui me déchire les tripes à chaque coup de butoir, c’est pas toi qui la stocke Willy, c’est moi et personne d’autre.

WILLY.

Arrêtes ton couplet mélo, ok ? Personne ne t’a obligée à t’allonger pour du fric. Tu prends peut être pas ton pied tous les jours, mais y’a un paquet d’occases où tu regrette pas de jouir de ce que tu fais.

SONIA.

Me faire sauter par des hommes : c’est la nécessité qui m’y a poussée et qui m’y pousse toujours. Que tu l’acceptes ou non, je m’en tape. Et si c’est vrai que je ne suis pas fière de ça, piquer son fric au premier « plein aux as » venu, c’est pas fait pour me déplaire. Ca remet les fluides à niveau.

WILLY.

Enfin une parole sincère !

SONIA.

Ce n’est tout de même pas une raison pour me traiter ainsi !

WILLY.

T’es une pute, je te traite en pute. Une bouffeuse de bites qui se fait payer pour le faire et qui vend son cul au plus offrant.

SONIA.

(suppliante)

Willy !

WILLY.

Une salope sans scrupule qui couche à la demande !

SONIA.

(met son visage entre ses mains ; se met à pleurer)

WILLY.

Une traînée qui souille son corps avec le foutre des hommes qui la méprisent !

SONIA.

(se met à hurler tout en continuant à pleurer)

WILLY ! TAIS TOI ! Mais tais toi donc ! J’en veux plus de cette vie ! Je veux que ça cesse ! Pour toujours…

WILLY.

(avec douceur)

C’est bien pour ça qu’on doit continuer. Qu’il faut aller jusqu’au bout. Que c’est trop tard ou pas assez, mais qu’on ne peut plus faire machine arrière. Sonia ? Sonia, tu me comprends ? Je sais que tu me comprends, que tu es d’accord avec moi. Tu sais que j’ai raison, n’est ce pas. Sonia ? Ma chérie !

SONIA.

(osant à peine le regarder en face, mais baissant la garde)

Oui, Willy, tu as raison. Nous irons jusqu’au bout. Willy ?

WILLY.

Oui ?

SONIA.

Je t’aime, Willy. Je t’aime tellement. (très doucement, comme pour ne pas le gêner, redoutant sa réponse) Et toi, tu m’aimes ?

WILLY.

(assez sèchement)

Je t’aime, Sonia, tu le sais très bien (la serre un moment dans ses bras). Sonia ?

SONIA.

Oui !

WILLY.

Il faut qu’on parle ! Qu’on avance.

SONIA.

Je t’écoute !

WILLY.

Où en es tu avec Benoît ? 

SONIA.

On doit se voir bientôt !

WILLY.

Ah oui ! Et où donc ?

SONIA.

Ici !

WILLY.

Ici ? Et tu crois que c’est bien le meilleur endroit ?

SONIA.

Il ne m’a pas laissé le choix.

WILLY.

Bon, admettons ! Tu en es où de ta relation avec lui ?

SONIA.

Je ne sais pas exactement, mais je pense bien lui plaire.

WILLY.

(calme ; pausé)

Tu penses bien lui plaire. Mais est ce que tu penses que ça peut marcher vous deux ?

SONIA.

Oui ! Enfin je crois. Je suppose.

WILLY.

(passablement excédé ; commence à perdre son sang froid)

Tu crois ? Tu supposes ? Non mais, Sonia, tu te fous de ma gueule ?

SONIA.

(surprise)

Je ne comprends pas ! Que veux tu dire exactement ?

WILLY.

(froid et déterminé)

Que le temps passe et qu’il ne joue pas pour nous. Que si tu te bouges pas le cul davantage, Benoît va se lasser et aller voir ailleurs. Et nous, dans tout ça ? Eh bien nous on laisse passer un bon paquet de fric, on redevient des minables et tu restes une pute. Voilà ce qui nous attend. C’est ça que tu veux ?

SONIA.

Non !

WILLY.

Alors écoute moi bien. Tu vas dire à ta copine, ta mère maquerelle et tout son réseau d’escort girl de mes deux, qu’il va y avoir de l’arrivage, du big commerçant tout chaud, les poches bien remplies de gros billets imprimés de très gros chiffres. Rappelle moi, le séminaire ultra confidentiel organisé par et pour des grosses pointures de marchands d’arme, il est prévu quand ? La semaine prochaine ?

SONIA.

Dans trois jours exactement ! Mais elle le sait déjà !

WILLY.

Merci ! Ce qu’elle ne sait pas c’est que cette réunion n’est pas officielle, donc, que ceux qui y seront n’y seront pas. Et que s’ils y sont sans y être y’a de grandes chances pour qu’ils aient une furieuse envie de se lâcher. Si tu vois ce que je veux dire.

SONIA.

C’est clair comme de l’eau de source. Les filles n’auront aucun mal à lever du bon client pété de tunes prêt à les répandre aux pieds des belles entraîneuses.

WILLY.

Exact ! D’autant qu’une formation en haute couture rassemblant un groupe aussi charmant de femmes toutes plus séduisantes les unes que les autres, ça devrait en exciter plus d’un.

SONIA.

Le hasard fait bien les choses, tout de même. Une armée d’hommes d’armes friqués jusqu’à la moelle en présence d’une tripotée de femmes lascives et surtout vénales, prêtes à tout pour l’être, tripotées.

WILLY.

La langue au service de la luxure !

SONIA.

Comment comptes tu t’y prendre pour les … souvenirs.

WILLY.

Pour le reportage, j’ai demandé à des apprentis photographes/journalistes - ceux de l’école, tu sais, à deux rues d’ici - de venir se faire la main sur le stage des donzelles. Je n’ai pas eu à attendre longtemps. Non seulement je n’ai eu que l’embarras du choix, mais en plus, les deux heureux élus ont su gagner leur place en proposant de venir gratuitement. Ils étaient tellement ravis de leur sélection, qu’ils m’ont promise la plus grande des discrétions. 

SONIA.

Jusqu’où la convoitise peut elle aller se nicher…

WILLY.

Les voies de l’avidité et de la concupiscence sont trop praticables…

SONIA.

(à elle-même)

- Je parlais de toi, mon chéri, je parlais de toi ! Mais, pour les clichés plus… intimes, on fait comment ?

WILLY.

(ne l’écoute plus)

J’ai piqué un passe à Benoît. Entrer dans quelques chambres avec une caméra miniature en annonçant le room-service, ne devrait pas être très compliqué. J’offre le champagne et la rose qui va avec, et pendant que je débouche, j’immortalise ceux qui se trouvent dans la pièce.

SONIA.

D’une simplicité enfantine !

WILLY.

Si tout se passe comme prévu, la soirée de jeudi restera dans les mémoires. Si j’étais vulgaire, je dirais dans les annales. Mais tu me connais, la vulgarité et moi… n’est-il pas princesse ? Princesse !... Bref, pour le reste, je te fais confiance.

SONIA.

Tu n’as pas de souci à te faire. Je tiendrai notre ami Benoît bien au chaud dans cette chambre… Loin du tumulte de la vie de groupe et des airs de lupanar que prendra l’hôtel.

WILLY.

Il y sera bien mieux. D’autant qu’il est à lui, l’hôtel !

NOIR

lumière

BENOÎT. (monologue ; relève le portrait )

On ne peut pas dire que je sois malheureux. Enfin, moi je ne le dirais pas en tout cas. Je crois que Willy n’a jamais supporté que je sois riche. Mais qu’y puis je ? Mes grands-parents étaient riches, mes parents sont riches, donc je suis riche, c’est comme ça. Aussi simple que ça. Cet hôtel, mon père en a hérité alors qu’il n’avait pas vingt cinq ans. Je n’avais pas vingt cinq ans lorsqu’il m’en a confié la direction. Tout est en ordre. La famille a parfaitement compris que faire fructifier le patrimoine familial et en assurer la pérennité, reposait en grande partie sur la préservation des valeurs, sur le respect du code. Je suis assez de cet avis. Mon chemin était tout tracé, je n’ai rien à craindre. Le luxe s’est toujours bien vendu ; la demande est grande et pas prête de s’arrêter. Je sais que mon père m’a à l’œil, qu’il croit beaucoup en moi, qu’il veut que sa descendance assure la succession en douceur, naturellement, comme une évidence. C’est une évidence d’ailleurs. Je suis sûr de moi, comme il l’est lui aussi. A l’école déjà, il n’avait de cesse de me pousser plus avant. Les devoirs n’étaient jamais assez bien faits. Les leçons jamais suffisamment sues. Les heures d’étude jamais assez longues pour imprimer dans ma tête ce que la connaissance m’offrait en pâture. Je sais que je peux être à la hauteur de ses espoirs. Je l’ai toujours su. C’est vrai qu’il m’a toujours encouragé à devenir le meilleur. Beaucoup encouragé… Mais rarement félicité. (s’approche du tiroir contenant le revolver ; s’en empare) Ta réussite est au bout du chemin, mon fils ! (vise le cadre avec la photo de son père selon un certain angle) Creuse ton sillon avec régularité, tu te prépares un bel avenir ! (vise le cadre avec la photo de son père selon un autre angle) C’est dans l’effort que l’on gagne sa propre estime !... (vise le cadre avec la photo de son père selon un nouvel angle) Recommence ! Refais moi ça ! Ne crois surtout pas que ce que tu viens de réussir te met à l’abri de l’échec. Ce n’est pas trop mal, mais tu peux... (vise le cadre selon et simule plusieurs coups de feu) tu dois encore t’améliorer ! (tire à nouveau, mais cette fois ci c’est lui qu’il vise) 

(repose le revolver dans le tiroir) Je pense qu’il m’a aimé. (s’adressant au cadre) Hein, que tu m’as toujours aimé, papa ? Simplement, il n’a jamais vraiment su me l’exprimer. (s’adressant à nouveau au cadre) Mais, tu n’as jamais su me l’exprimer. Papa.  Donc, c’est très simple en fait : tu ne me l’as jamais exprimé. Non, non ! Ne commence pas, s’il te plait ! Pas un peu. Pas à l’occasion. Je vais te dire, même pas de temps en temps, non, mon petit papa A-do-ré-A-du-lé : Pas du tout ! Ca ne m’a pas toujours rendu la vie simple ; il m’a souvent fallut de bonnes doses de résolutions… De belles et solides épaules bien larges. De bonnes doses de force de caractère… De bonnes doses de… poudre blanche. Des sacs et des sacs de poudre blanche. Jamais assez, toujours plus. Comme s’il en pleuvait. Encore, davantage. Encore, davantage. ENCORE ! DAVANTAGE ! Si mon père l’a su, il ne me l’a jamais fait sentir… Il l’a su, mais il a surtout su faire semblant de croire en la pureté de son rejeton. Ce qui fait que lui, son rejeton, il a su en faire son fonds de commerce, de la pureté. La poudre n’est elle pas blanche, d’ailleurs, blanche comme la belle colombe qui s’élève dans le ciel chargé de nuages noirs… Noirs comme l’âme de ceux qui se cherchent dans la nuit des peurs oppressantes. Noirs comme le fond du trou que je creuse peu à peu et dans lequel je sombre un peu plus chaque jour. (plaque le cadre face contre bois)

NOIR

Lumière ; Benoît est assis derrière une table qui fait office de bureau ; il semble attendre ; attente de courte durée ; on frappe à la porte ; le cadre est debout à sa place

BENOÎT.

Oui, entrez !

Sonia entre

SONIA.

Bonjour ! Vous êtes le directeur ?

BENOÎT.

Oui, lui-même ! Désolé de vous recevoir dans cette chambre, mais mon bureau est en travaux…

SONIA.

Donc, vous avez réquisitionné ce logement !

BENOÎT.

En réalité, elle n’est jamais louée. A l’origine elle avait une raison d’être très particulière, mais le projet ne s’est jamais finalisé. Du coup, je l’ai conservée comme chambre de réserve, pour moi, ou à l’occasion, pour des amis de passage. Il y a toujours une bonne raison à son utilité. La preuve, aujourd’hui.

SONIA.

C’est vrai qu’être reçu par son employeur potentiel pour un entretien d’embauche dans une chambre d’hôtel, ce n’est pas commun.

BENOÎT.

Ca a au moins le mérite d’afficher clairement les intentions du patron.

SONIA.

Je ne comprends pas.

BENOÎT.

Allongez vous, je vais vous expliquer !

SONIA.

Pardon ?

BENOÎT.

(léger sourire aux lèvres ; laisse un temps à l’incertitude)

Je plaisante… Heu… (récupère un document dans une chemise ; y cherche une information) Sonia ! C’est bien ça ? Par contre, asseyez vous, ce sera plus simple.

SONIA.

(ne sait plus si c’est du lard ou du cochon ; s’assoit)

Oui, c’est bien ça, Sonia, pour vous servir !

BENOÎT.

Dites donc, vous êtes une rapide, vous. Vous êtes donc si sûre que je vais vous retenir.

SONIA.

Non, non ! Ce n’est pas ce que je voulais dire. Excusez moi. Je suis confuse. Ce n’était qu’une expression.

BENOÎT.

Mais ne vous affolez pas. J’ai bien compris. C’était juste pour vous mettre à l’aise. (se lève) Je vous offre un verre ?

SONIA.

(désorientée)

Non, non, merci. Mais c’est très gentil de votre part. 

BENOÎT.

(se rassoit)

Vous avez faim, peut être. (se lève d’un bond) Je vais appeler le Room Service !

SONIA.

Ni soif, ni faim. J’apprécie votre gentillesse, mais je suis ici pour un entretien d’embauche, alors vous me comprenez, si je dois vous répondre la bouche pleine, je suis certaine de ne pas être prise. Vous me comprenez, n’est-ce pas ?

BENOÎT.

Y a-t-il alors quelque chose que je peux faire pour vous ?

SONIA.

Heu… Si vous ne souhaitez pas me prendre, si je ne fais pas l’affaire, le mieux serait de me dire tout de suite. (va pour se lever) Pardonnez moi de vous le dire comme ça, mais ce petit jeu est assez cruel.

BENOÎT.

Non, non, restez assise ! Je suis désolé. Je ne voulais pas vous faire fuir, mais je dois vous avouer qu’il nous reste encore un quart d’heure.

SONIA.

Je ne comprends pas !

BENOÎT.

Mon père tient absolument à ce que j’accorde le même temps d’entretien à toutes les candidates. J’aurais dû en voir huit ce matin. Deux par heure, de huit heures à midi.

SONIA.

Cela me semble juste !

BENOÎT.

Le problème, c’est que vous êtes la seule.

SONIA.

Je m’attendais à ce qu’une place comme celle là, dans un endroit aussi prestigieux, ait plus de succès.

BENOÎT.

Oh ! N’ayez aucun souci, elle en a eu. Mais l’annonce comportait une faute de frappe. Il y était question de se présenter à l’hôtel le six, alors que mon père, n’étant disponible que le sept et tenant absolument à me former à l’art du recrutement de personnel, l’avait fait rédiger en précisant cette date. L’agence a transformé le sept en six. Vous avez un jour d’avance et vous vous retrouvez seule pour l’audition.

SONIA.

Mais pourquoi ne pas me l’avoir dit ?

BENOÎT.

Parce que si, comme les autres, vous avez bien suivi les instructions qui demandaient de prendre rendez vous pour le six, vous êtes la seule à nous avoir donné un mauvais numéro de téléphone, rendant donc impossible de vous recontacter pour vous signaler l’erreur du journal et différer le rendez vous au sept.

SONIA.

Sincèrement désolé. Et pour le faux numéro et pour vous avoir contraint à me recevoir sans votre père.

BENOÎT.

C’est justement pour cela que je vous ai reçue. D’abord parce que je vous ai vue, ensuite parce qu’un jour de relâche paternelle ne peut pas faire de mal. Le hic ! c’est que je ne connais rien aux principes du recrutement.

SONIA.

En effet, j’avais cru le comprendre !

BENOÎT.

Eh bien Sonia, puisque nous sommes sur la même longueur d’onde, c’est parfait, je suis sûr que vous ferez l’affaire.

SONIA.

Et c’est tout. Vous n’avez pas quelques questions à me poser ? 

BENOÎT.

Vous savez répondre au téléphone ?

SONIA.

Oui !

BENOÎT.

Vous savez compter jusqu’à 90 ?

SONIA.

Oui !

BENOÎT.

Savez vous dire « voici ce que vous nous devez » et « si vous n’avez pas réservé, ce ne sera pas possible », en anglais ?

SONIA.

Oui !

BENOÎT.

Aimez vous les « moules persillade » ? (sur le ton de la confidence) c’est très souvent le plat du jour ! Pour ne rien vous cacher, j’adore ça.

SONIA.

Oui !

BENOÎT.

Vous pouvez commencer tout de suite ?

SONIA.

Oui !

BENOÎT.

Vous êtes embauchée !

SONIA.

Merci !

BENOÎT.

Y’a pas d’quoi ! Prise de service 10h00. Fin de service : 18h00. Pause déjeuner 13h00, durée 30.00 minutes chrono. Quelque chose à rajouter ?

SONIA.

Non, non ! Et vous ?

BENOÎT.

Oui !... Au boulot, et qu’ça saute !

SONIA. sort, apparemment ravie, mais quelque peu déstabilisée.

Benoît prend son téléphone ; compose un numéro à deux chiffres ; parle

BENOÎT.

Willy ?

WILLY.

(entre)

On me demande ?

BENOÎT.

(dérouté ; regarde son téléphone ; regarde Willy)

Je…

WILLY.

Ne cherche pas à comprendre. Tu n’es pas prêt ! Dis-moi, la petite qui vient de sortir, si elle cherche l’homme de sa vie, dis lui bien que j’habite ici.

BENOÎT.

C’est la nouvelle réceptionniste ! Pas mal, hein ?

WILLY.

Mais, qu’est ce qu’il te prend de la recevoir chez moi ?

BENOÎT.

Chez toi ? Je te rappelle que c’est aussi un peu chez moi !

WILLY.

Comment l’oublier ! Si tu ne me le redis pas au moins deux fois par jour… 

BENOÎT.

J’aimerais mieux ne pas avoir à le faire. Et puisqu’on en parle, tu la libères quand cette chambre ?

WILLY.

Ce soir !

BENOÎT.

Non, tu déconnes !

WILLY.

Oui, en effet, je déconne !

BENOÎT.

Ca ne peut plus durer, Willy, tu le sais.

WILLY.

Ce que je sais, c’est que tu me harcèles avec ça. Oui, je sais que je dois vider les lieux ! Oui, je sais que je dois te rembourser les 3000 euro que tu m’as prêté ! Oui, je sais la Toyota de l’hôtel n’est pas à moi, mais à l’hôtel ! Oui, je sais que le restaurant du premier, c’est pas les restaus du cœur !...

BENOÎT.

… Oui, tu sais très bien que la blanchisserie c’est pas un lavomatic ! Oui, tu sais que tu n’as pas à faire reremplir en permanence le minibar de cette chambre qui en quelques mois est devenue Ta piaule ! Tu ne crois pas que ça fait un peu beaucoup ? Quand tu m’as demandé de te dépanner, je n’ai pas hésité une seule seconde…

WILLY.

(se racle la gorge)

BENOÎT.

C’est vrai, j’ai hésité, mais pas longtemps. Surtout qu’avant d’avoir dit : Oui ! Tu étais installé, scotché, rivé au plancher de cette chambre.

WILLY.

J’étais dans une mauvaise passe, Benoît. Tout tournait de travers. Je venais de perdre Mathilde, la seule personne au monde qui ait jamais eu de l’affection pour moi, l’unique individu que ne m’ait jamais fait un seul reproche…

BENOÎT.

…Pourtant, elle avait de quoi. Quand t’es parti de chez elle, tu n’as pas manqué de lui témoigner ta reconnaissance en lui piquant toutes ses économies…

WILLY.

Je n’avais pas le choix ! Mon beau père ne manquait pas une occasion pour me tabasser. J’étais recouvert de bleus à l’époque. Je n’arrivais pas à tenir assis tellement les cuisses et le cul me faisaient mal. Alors tu vois, le jour de mes 18 ans, à 18h00, j’ai piqué 18.000 balles et je me suis tiré. Je sais qu’elle ne m’en a jamais voulu pour le vol. Sa souffrance, c’était de ne plus me voir. Très vite, ça a été de ne plus me parler. Oui, j’ai coupé les ponts, mais comme je n’étais plus là, c’est sur elle que ce salaud s’était rabattu. Les fois où il sentait que j’avais appelé, il lui en foutait une double ration. J’ai préféré ne plus prendre le risque. Pour elle. Pour ma mère.

BENOÎT.

Ce n’était pas ta… Désolé !

WILLY.

Pareil pour moi. Une mère adoptive qui fait bien son boulot, c’est mieux qu’une mère !

BENOÎT.

Ca va pour le mélo Willy. Tout ça est bien triste, mais c’est du passé. Mon père ne me lâche plus avec ça : tu dois libérer cette chambre ! Et tu vas le faire, le plus vite possible. A la fin de la semaine tu n’y es plus.

WILLY.

A la fin de la semaine, mais tu rigoles. Je vais me retrouver à la rue. Nom de dieu, Benoît !

BENOÎT.

Ecoute, c’est plus tenable. Tu ne fous rien. Tu passes des journées entières devant la télé… Quand tu ne trafiques pas…

WILLY.

Ils t’ont pas toujours gênés mes trafics. T’en fais quoi de tes petites doses quotidiennes. (durcit le ton ; s’approche de lui, menaçant) Ta blanche de service ! Plein le nez (lui touche durement le nez) ! Plein les oreilles (lui touche durement les oreilles) ! Plein les gencives (lui touche durement la bouche) ! Plein les couilles (s’en prend à son entrejambe) ! Tu es pourri, Benoît. Complètement défoncé jour après jour mon pote ! Petit gosse de riche qu’a besoin de sa do-dose avant de dormir pour calmer ses angoisses existentielles de fils à papa bourré de tunes !...

BENOÎT.

(prend la parole en hurlant)

TA GUEULE WILLY ! J’ai fait de la taule pour ça. 

WILLY.

Deux jours. Même pas la durée d’une garde à vue et puis plus rien pour le petit protégé à son papa-les-manches-longues ! Alors, tu vois, ton père, il vaudrait mieux qu’il la ferme sa grande gueule s’il veut pas la voir étalée dans les journaux, la vérité.

BENOÎT.

(ne dit rien un moment)

Ok Willy ! Mais ça peut plus durer longtemps. Ok ?

WILLY.

Voilà Benoît, c’est comme ça que je t’aime : lâche et faible. Toujours prêt à baisser ton froc face à l’adversité. (fait un pas vers lui) Viens que je t’embrasse !

BENOÎT.

Ton cynisme ne fait jouir que toi, tu sais.  Si tu crois me blesser, tu te trompes. Je te connais par cœur. Tu te venges de ce que t’a fait la vie en me le faisant payer. Moi j’ai tout, toi tu n’as rien. Tu profites de moi, mais ce n’est pas assez, il t’en faut encore plus, tu dois me sucer jusqu’à l’âme pour trouver une légitimité à rester en vie. Cette haine qui te pousse, dès que tu te sens en danger, à m’humilier, n’est que le pus d’un abcès qui ne s’assèchera jamais. Même ma mort ne t’apporterait pas l’apaisement. Tu te crois fort, au dessus de tout, mais tu es bien plus faible que moi. Mais dans ton système, te l’avouer serait le début de Ta fin.

WILLY.

(désabusé)

Whaou ! Quand le loup se lâche la chèvre a intérêt à faire gaffe à ses miches !

On frappe à la porte

WILLY. Et BENOÎT.

(en même temps)

Oui ! Entrez ! (ils se regardent stupéfaits)

Sonia entre

Willy va pour parler ; Benoît l’en empêche

BENOÎT.

Oui mademoiselle, c’est à quel sujet ?

SONIA.

Excusez moi de vous déranger, Monsieur, mais c’est l’équipe du room service qui souhaiterait vous parler.

BENOÎT.

Vous ne pouviez pas appeler ?

SONIA.

Bien sûr, Monsieur, c’est ce que j’ai fait, mais comme personne ne répondait, je suis montée vous chercher.

BENOÎT.

Comment saviez vous que j’étais encore ici ?

SONIA.

Je ne le savais pas. J’ai commencé par le seul endroit que je connais. 

WILLY.

Nous n’avons rien entendu !

Sonia et Benoît avaient oublié willy ; ils se tournent vers lui

SONIA. Et BENOÎT.

Pardon ?

WILLY.

La sonnerie ! Le téléphone ! Nous n’avons rien entendu !

SONIA.

Oh ! Oui, bien sûr !

S’adressant à Benoît

(lançant un regard vers le téléphone) Vous permettez ?

BENOÎT.

Mais je vous en prie !

SONIA.

Décroche ; fait un numéro à deux chiffres

Room service ? (long moment à attendre la suite)

Benoît et Willy la regardent faire, stoïques

Sonia raccroche ; sourire gêné aux deux hommes ; décroche à nouveau ; compose le même numéro à deux chiffres ; attend que ça vienne

SONIA.

Room service ? Room service ! (attente; sourire crispé) Ah oui! Je suis av… (sourire ; tente de les rassurer) Je sens que ça vient !

Willy regarde Benoît d’un sourire coquin et amusé. Benoît lui fait comprendre de cesser

SONIA.

(un peu énervée ; raccroche ; décroche ; numéro)

Room service, c’est… Allo ? Oui! Non je suis toujours… Allo? Michelle ? Non ce n’est pas… Room service ? ROOM SERVICE ! (regarde les 2 hommes gênée de son éclat) Willy lui fait signe de la main qu’il n’y a pas de problème.

Vous êtes qui ?

Room ? Service ? Room service ! (ne s’occupant plus des 2 hommes)

(racroche sèchement)

Mais, fait chier à la fin !

(décroche vivement ; va pour parler)

BENOÎT.

(pose avec calme sa main sur le combiné ; l’amène à raccrocher)

Je vais descendre. Ca sera plus simple.

SONIA. lui emboîte le pas

Non, je préfère que vous restiez pour l’instant. Je vais essayer de vous joindre.

SONIA.

Comme vous voudrez !

Benoît sort

Sonia et Willy restent sans bouger et sans rien dire

Leurs regards se croisent ; ils se sourient

WILLY.

Pas terrible cette chambre, n’est ce pas. A coté des autres…

SONIA.

C’est mieux que rien, je vous assure. Bien mieux que rien ! Cela dit, je ne connais pas encore les autres.

WILLY.

Et pourquoi donc ?

SONIA.

L’embauche date de moins d’une heure. A vrai dire, à part la réception et cette chambre, je n’ai encore rien vu. Les brochures, ça compte ?

WILLY.

Ce n’est pas ça. Vous disiez : Bien mieux que rien. Pourquoi ?

SONIA.

Ben, je ne suis pas d’ici, je viens d’arriver en ville, je n’y connais personne et je n’ai encore rien trouvé pour ce soir !

WILLY.

Faux ! Pour les connaissances, laissez moi vous présenter deux ou trois personnes et bientôt vous serez la reine du quartier. Pour ce qui est du logement, vous avez désormais une grande chambre meublée, dans un hôtel de luxe. Avec en prime une vue imprenable sur le boulevard !

(plaque le cadre sur la table)

NOIR

lumière

SONIA. (monologue)

Je devais avoir treize ans, quand je l’ai fait pour la première fois. C’était un ami de papa. Un vieil ami, je crois. Ils se voyaient assez souvent et j’aimais bien ses caresses, en coup de vent, au moment où je m’y attendait le moins, à l’abri des regards indiscrets. Sa voix était chaude et douce. A chaque fois qu’il venait voir papa, il n’oubliait jamais de m’apporter un petit quelque chose, le plus souvent des bonbons. Un bonbon, c’était la promesse de sa main sur la peau nue de mes épaules, sur la peau tendre et chaude contre le creux de mes jambes. J’aimais ce que je représentais à ses yeux. J’aimais valoir tous ces bonbons. C’est peut être pour ça que je le laissais faire. Peut être parce que je l’aimais. Peut être parce que je n’avais pas d’autre choix que d’aimer un homme si doux et si gentil. J’en sais rien. Mais le souvenir de la douleur entre mes cuisses, le jour où on l’a fait, m’est resté aussi fort que le cri de stupeur que j’ai poussé lorsque je l’ai senti en moi, gravé à tout jamais dans le ventre, comme cette tâche rouge que maman n’a jamais pu enlever du fond de ma culotte. Les jours, les semaines qui ont suivi, demeurent assez floues dans mon esprit. Maman m’a grondée parce que je restai des heures enfermée dans ma chambre. Papa, lui, n’a rien fait de particulier. Il venait près de moi, prenait mon menton de sa main ferme et tournant mon visage vers le sien, il m’obligeait à le regarder dans les yeux, sans rien dire. Connaissait-il la vérité ? Me soupçonnait-il d’avoir si mal agit, qu’il espérait que je me confesse à lui, pour mieux me reprocher ma faute ? L’autre n’est pas revenu. Ou alors, s’il est revenu, il ne l’a jamais refait. Enfin, je crois. C’est tellement étrange, les souvenirs, que parfois, ça vous hante sans que vous sachiez vraiment dire à quoi tient cette frayeur sourde, insidieuse qui vous parcours de l’intérieur comme un feu que vous sentez vous consumer sans pouvoir l’en empêcher. J’ai eu mal, c’est vrai, mais après, il y en a eu d’autres, beaucoup d’autres. Je ne sais pas combien. Ce que je sais c’est qu’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais aimé ça. J’ai appris à faire semblant. La plupart d’entre eux m’a fait des cadeaux, une quantité de cadeaux que je prenais plus comme un troc que par besoin. Ils me devaient quelque chose que je n’arrivai pas à définir. Ce n’était pas une question d’argent, pas encore, mais la certitude profonde qu’ils devaient payer le trésor que je leur offrais.  Il me coûtait bien plus que ce qu’ils ne pourraient jamais donner. Mais le trésor s’est épuisé. Mes rêves aussi. J’étais jolie quand j’étais petite fille, jolie comme seules les fleurs de l’ipomée parviennent à m’émouvoir, tant leur grâce les porte à s’unir avec le vent, sans jamais perdre pied. J’étais jolie jusqu’à l’age de treize ans, lorsque les griffes de cet homme ont tailladées dans mon cœur les rêves d’une femme qui n’y était pas bien grande. J’aurais tant voulu que papa soit là ce jour là pour me protéger de l’abcès que ces corps à venir allaient nourrir de leurs chairs purulentes et que tout ce qu’ils auraient à payer ne parviendrait jamais à soigner. J’aurais tant voulu, mais tu ne l’as pas fait. Tu ne m’es pas apparu et ne m’a pas délivrée de ce songe né de l’effroi dans lequel je suis emprisonnée et tout ceux que j’ai pris pour toi par la suite, n’y ont pas réussi davantage.

NOIR

 

Benoît et Sonia sont enlacés appuyés contre un mur ; le cadre est en place

BENOÎT.

J’ai envie de toi, Sonia, j’ai envie de te baiser ! (plaque le cadre face contre bois)

SONIA.

Moi aussi, Ben. (il devient entreprenant)  Attends ! Pas si vite.

BENOÎT.

Je n’ai rien fait ! Regarde mes mains, elles n’ont pas encore commencé.

SONIA.

- Je ne parlais pas de tes mains. (se dégage de lui) Benoît. Ca suffit ! Pas maintenant.

BENOÎT.

Pourquoi, pas maintenant ? J’ai envie. Tu as envie. Alors qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?

SONIA.

- C’est pas le moment. Willy pourrait rentrer !

BENOÎT.

Willy ! Sans arrêt à se mettre entre toi et moi ! Cela dit, si y’a que ça pour te convaincre, il peut se joindre à nous.

SONIA.

Ah ! Evidemment, vu sous cet angle, ça mérite un temps de réflexion.

BENOÎT.

Je savais que t’avais l’esprit large…

SONIA.

Et que j’étais joueuse…

BENOÎT.

Il ne te reste plus qu’à en jouir !

SONIA.

Tout le plaisir sera pour moi !

BENOÎT.

Alors y’a plus qu’à passer à l’acte ! Bon, mais qu’est ce qu’il fait notre cher Willy ? Willy ! Wi-lly !

SONIA.

Bon, écoute, attends-le seul, tu sais à quoi vous occuper maintenant. Moi, j’ai très peu de temps. Je dois sortir, j’ai un tas de choses à faire. Mais si tu es en manque, appelle le room service, ils t’aideront à patienter.

BENOÎT.

Quel humour. Vraiment très drôle. Et, c’est si urgent ? Ca ne peut pas attendre ? Mon amour, tu verras, ça ne sera pas long. Allez, viens, si on évite les préliminaires, on réduit de moitié !

SONIA.                                             

(sensuelle)

Tu es prêt à te passer de mes caresses entre tes cuisses ?

BENOÎT.

Ou..Oui ! 

SONIA.

(sensuelle et moqueuse)

Tu es prêt à te passer de Mes caresses entre Mes cuisses ?

BENOÎT.

Ca va pas être simple, mais oui !

SONIA.

Tu ne veux pas de ma bouche humide et chaude sur ta poitrine ; de mes dents blanches croquant tes petits tétons roses dressés et durcis par le plaisir.

BENOÎT.

Oui, bien sûr que j’en veux.

SONIA.

Ma tête sur ton ventre… Mes cheveux sur tes hanches, alors que mes doigts effleurent ton sexe…

BENOÎT.

Quand on y a goûté une fois, tu sais bien que… Je deviens fou. Sonia !

SONIA.

Ma langue furtive qui cherche la douceur charnelle sous la dureté du bois !

BENOÎT.

Me passer de ça reviendrait à renoncer à la vie. Mais, s’il le faut…

SONIA.

Et tes baisers gourmands au creux de mes reins… sur mes fesses… entre mes fesses. Ca aussi, tu…

BENOÎT.

(à la fois excité et dépité)

-    Heu, oui. Faudra bien. Mais, c’est vrai que là, il ne reste plus grand-chose.

SONIA.

Et tu ne préfères pas une pipe ? Ca ira plus vite.

BENOÎT.

Garce ! (l’embrasse dans le cou) Allez, viens, je n’en peux plus. J’ai une belle pomme d’amour à t’offrir !

SONIA.

(lui susurrant dans l’oreille)

J’aime pas le caramel, ça colle aux dents. Mais je suis sûre que tu sauras en venir seul à bout. Par contre, tu la déballes dans la salle de bain. Le carrelage, c’est plus facile à nettoyer. 

(se sépare de lui) Faut vraiment que j’y aille, là, maintenant. Je te rappelle que tu m’as chargée de l’organisation du séminaire de tes chers marchands d’armes et j’ai un tas de choses à régler.

BENOÎT.

Oui, bien sûr ! Je reconnais que c’est un gros chantier. Et si on rajoute les préparatifs du mariage, là, je vois pas comment tu vas t’en sortir.

SONIA.

Pardon ? Le mariage ? Quel mariage ?

BENOÎT.

Mais le tien, ma chérie, le tien !

SONIA.

Benoit, tu sais très bien qu’il n’est pas question qu’on se marie…

BENOÎT.

Mais je ne parlais pas de notre mariage, je parlais du tien. Toi et Willy. Votre mariage !

SONIA.

C’est quoi cette histoire ?... Tu me fais marcher ! C’est ça, tu te venges parce que je ne t’ai pas suivi sous les draps. Ben, je t’ai dit que je n’avais pas le temps. Laisse passer tout ça et tu verras comment on en profitera. Tu vas demander grâce, je te le promets. Mon amour !

BENOÎT.

(tend la main ; lui désigne des baffles accrochées dans un angle en haut du mur)

Tu vois ces enceintes accrochées en haut du mur ?

SONIA.

Benoît, abrège ! Où veux-tu en venir ?

BENOÎT.

En 82, moins d’un an après l’élection de Mitterrand, un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur est venu voir mon père. Notre hôtel, ainsi que tous ceux de même catégorie,  étaient déjà fréquentés de beaucoup d’étrangers plutôt riches et influents. Mais les clients comptaient aussi parmi eux, un grand nombre de personnes importantes du monde des affaires ou de la politique française –autant de droite que de gauche, d’ailleurs-. Tu connais les goûts de « La Mite » pour l’intrigue, le complot, bref tout ce qui peut justifier la mise en place de contrôles ou de surveillances plus ou moins licites. Munie de blancs-seings délivrés au plus haut niveau, une équipe d’agents des services secrets triés sur le volet,  s’est mise en rapport avec les responsables d’un certain nombre d’établissements considérés comme potentiellement susceptibles d’agir pour le compte de l’état et de rendre ainsi moult bons et loyaux services à la nation qui ne manquerait pas de leur en être tôt ou tard reconnaissante. 

Lorsqu’il fut contacté, mon père n’eut pas de mots assez durs pour condamner ce programme, mais il ne lui fut offert aucune échappatoire. Il fut donc contraint de réserver une chambre contrôlée par les services spéciaux et de ne l’attribuer qu’à certains clients faisant l’objet d’une surveillance particulière. Mais, un an plus tard, bien que prête, mais n’ayant encore jamais servie, les euromissiles, le Tchad, l’expulsion des diplomates russes… ont eu pour effet de temporiser ce projet d’espionnage et de -du moins en ce qui concerne cette action, dans cet hôtel-, de le différer à plus tard.

SONIA.

Très belle ton histoire. Très intéressante. Mais je ne vois pas le rapport avec moi.

BENOÎT.

Pour ne rien rater de ce qui pouvait se dire, se tramer à l’intérieur de ces murs, l’état n’a pas hésité à débloquer une somme rondelette afin d’installer un équipement à la pointe de ce qui se faisait à l’époque en matière d’écoute téléphonique et de surveillance intra-muros. 

SONIA.

Oui, et alors ?

BENOÎT.

Souris ma chérie, tu es filmée !

SONIA.

(moment de stupeur ; baisse la tête ; la redresse et le regarde en face)

Pour la suite, ce n’est pas la peine de poursuivre, j’ai compris où tu voulais en venir.

BENOÎT.

Tout ! J’ai absolument tout de vos conversations, vos plans foireux, vos manigances. J’ai même vos copulations. Tout, je te dis, absolument tout.

SONIA.

Tu as pris ton pied, au moins ! Tout seul dans une petite cage à mater un couple qui baise… Ne me dis pas que tu t’en es tenu à prendre des notes tout en sirotant ta vengeance.

BENOÎT.

Vos parties de jambes en l’air, bien qu’assez intéressantes, techniquement parlant, bien sûr, ne m’ont pas particulièrement passionnées.

SONIA.

Je ne me souviens pas de tout, mais certains passages doivent te paraître bien ternes, à coté de nos moments à nous.

BENOÎT.

Ce n’est pas faut. Je regrette seulement que tu n’ais pas aussi bien simulé, avec moi. 

SONIA.

Ce n’était que mon corps, ma tête n’a jamais été avec lui. Je ne peux pas me défaire de lui. Il le sait, donc il en profite. Je n’ai pas eu d’autre choix que de jouer le jeu, lui laisser croire en ce qu’il disait, le laisser faire. Avec lui, mon corps n’a pas d’importance. Alors qu’avec toi, c’est autre chose. Lui c’est cantine, toi c’est trois macarons.

BENOÎT.

Je dirais plutôt, avec moi c’est : Pigeon sur Canapés ; Pigeon fourré jusqu’à l’os ; Pigeon bien Gratiné. Tiens, un qui est goûteux : Pigeon au petit Pognon ! Celui là vous l’avez mis au grill, il ne vous restait plus qu’à l’assaisonner avant de consommer.

SONIA.

Que comptes tu faire, maintenant. Tu veux que je parte, c’est ça ?

BENOÎT.

Sonia, ma chérie, ne soit pas si naïve. Tu crois que j’ai attendu jusqu’à aujourd’hui, sachant tout ce que je sais, pour vous voir partir tous les deux, bras dessous, bras dessus. Non, mais vraiment, me prendre pour une buse, à ce niveau là, ce n’est plus odieux, c’est indécent et vulgaire. 

SONIA.

Tu as gagné, Benoît. Que veux tu de plus ? Tu n’imagines même pas avec quelle rapidité nous pouvons disparaître de la circulation.

BENOÎT.

Je crois que tu cernes mal la situation. Je vous tiens Sonia. Vous êtes cuits, rétamés, aplatis, défoncés. Les trafics de Willy, ses magouilles, son chantage : (montre l’enceinte au mur) dans la petite boite. Ton tour de pute, de mère maquerelle, ton beau réseau : dans la machine. Et si ça vous dit, je peux vous filer des copies. Et puis alors les dvd, c’est autre chose que les vhs. La qualité du son et de l’image y sont im-pé-ca-ble !

SONIA.

Tu m’écoeures, Benoît. Cette méchanceté, cette haine, tout ça pour te venger, mais te venger de quoi. D’être faible, de ne pas y arriver seul, de dépendre de ceux que tu crois dominer avec ton fric, mais qui te fascinent tant que tu ne peux t’en défaire. C’est pas propre. Je ne suis peut être pas bien reluisante, j’ai une vie que je n’aime pas, je n’ai aucune raison d’en être fière, mais je pense avoir des excuses, parce que j’en ai bavé et que pour m’en sortir, j’ai pas trouvé mieux. Mais toi, du haut de ta tour dorée, bien assis sur ta fortune, tu as encore besoin de m’humilier, de me mettre la tête plus bas que terre. Tu crois que c’est vraiment nécessaire ? Que tu vas pouvoir en jouir ? Tu as peut être les bonnes cartes en main, aujourd’hui, mais un jour, tu paieras pour tout ça et tu n’auras pas assez de tes cartes de crédit pour payer l’addition.

BENOÎT.

J’ai comme l’impression que c’est déjà fait, et au prix fort.

SONIA.

Tu n’as pas la moindre idée de ce qu’il faudrait que tu donnes pour m’avoir entièrement, moi, celle qui te fait régulièrement monter aux rideaux.

BENOÎT.

Pas idée ! Avec ce que je t’ai déjà laissé. On voit bien que ce n’est pas toi qui tiens mes comptes.

SONIA.

J’ai pas besoin, vu tout ce que tu dépenses. Ce que tu jettes par les fenêtres devrais-je plutôt dire. Mais aux innocents les bourses pleines, comme dit Willy.

BENOÎT.

Willy ! Toujours ce prénom à la bouche. T’es totalement dépendante, ma pauvre fille. Tu en as conscience, au moins. Même pas, j’en suis sûr. Ah, si seulement tu avais eu ne serait ce qu’un dixième de ton admiration à mon égard. Mais, je sais maintenant que tout ce que tu as pu me faire croire n’existait que pour mieux me dépouiller de mon satané fric.

SONIA.

(toute douce ; remet le cadre en place)

Tu te trompes, Benoît, ce n’était pas que ça. Ce n’est pas que ça. Je comprends que tu en doutes, maintenant, mais…

BENOÎT.

Ah non ! Sonia, pas de ça s’il te plaît. Ca ne prend plus.

SONIA.

Sois pas si fermé. Entends ce que j’ai à te dire. Il sera toujours assez tôt pour voir ce que tu en fais. Non ?

BENOÎT.

Vas y, si ça peut te faire plaisir, mais tu vas avoir du mal à me convaincre, je te préviens.

SONIA.

Ca m’est égal, du moment que je suis sincère… On ne s’est peut-être pas trouvés tous les deux, on s’est sûrement côtoyés sans se voir, mais j’ai une vraie attirance envers toi. Il y a peut être eu ce que tu sais maintenant, mais avec le temps, j’ai découvert des…

BENOÎT.

Comptes en banque ? Un coffre fort ? Quelques maisons à droite à gauche ?

SONIA.

… Des sentiments ! 

BENOÎT.

Deux ou trois sentiments qui traînaient par là, ne sachant pas vers qui aller, se laissant porter par la dérive de la vie, jusqu’au moment où le Benoît s’est pointé avec ses Weston et son Armani. Et alors : Boum ! qu’il a fait le petit cœur et il s’est mis à sauter  pour chercher à rejoindre son nouvel ami, histoire de voir s’il ne battait pas, lui, sous une petite Versace.

SONIA.

Amuse toi ! Profites en bien ! Mais tu ne changeras rien à la réalité. Tu ne m’es pas du tout indifférent et tu le sais bien. Alors pourquoi le nier. Tu me plait Benoît et si j’avais eu un peu de temps tout à l’heure, nous n’en serions pas là en ce moment. Nous serions l’un sur l’autre, peau contre peau, bouche vagabonde et frissons partagés.

BENOÎT.

J’aimerais tellement te croire, Sonia, alors que je sais que tu n’es pas à un mensonge près. Si tu peux sauver ta peau, un de plus, un de moins…

SONIA.

C’est nul ce que tu fais, Benoît. Je n’ai plus rien à perdre. Tu le sais bien. Alors pourquoi mentirai-je ?

BENOÎT.

Mais parce qu’il n’y en a qu’un qui t’attire. Un seul, un certain Willy le Fourbe et qu’à part lui, personne d’autre n’est digne du moindre sentiment.

SONIA.

Mais alors, pourquoi ne nous as-tu pas dénoncés à la police. Tu aurais pu savourer ta vengeance. La consommer sans modération.

BENOÎT.

J’ai pensé qu’il y avait deux ou trois autres pistes à explorer avant cela. Ca ne coûtait rien d’essayer. Vous êtes des personnes sensibles au bon argument et comme vous êtes légèrement concernés, je me disais que la police n’était pas la voie prioritaire dans laquelle s’engager.

SONIA.

Je ne sais pas ce que tu mijotes, mais qu’est ce qui me dit que tu ne nous balanceras pas après tes plans foireux. Comment croire que tu ne vas pas m’envoyer en taule ?

BENOÎT.

Parce que je t’aime, Sonia, tout simplement parce que je t’aime.

NOIR

      Lumière

WILLY. (monologue)

C’est pas facile de s’en sortir quand on a tant de cadavres dans la tronche. Cadavre de mon père que j’ai pas connu, qui s’est toujours pointé (frappe sa tempe de son doigt pour bien montrer qu’il s’agit du dedans de sa tête) au moment où il fallait pas, qui a toujours mis mes pulsations sens dessus dessous, qui m’a fait chialer, moi qui ne sais pas chialer, qui m’a toujours manqué. Je l’ai pas connu, mais il m’a manqué. Il a pris des places sans mon accord, il s’est planqué au fin fond de ma gorge et m’a bouffé les trois quarts de l’air que je respirais. C’est débile, mais c’est comme ça. Ma mère, la vraie, m’a jamais dit comment il avait disparu de sa vie. La mort, la fuite, le rejet. J’en sais rien et je m’en fous au fond. Ce que je sais, c’est qu’il n’a jamais été là, mais qu’il m’a toujours manqué. Elle, c’est pas pareil, je l’ai vue deux fois à ce qu’il parait, mais je ne me souviens que d’une. La fois où elle s’est pointée chez Mathilde, comme ça, en douce, pour me dire ses regrets éternels et sa honte imbuvable. Je l’ai vue une vingtaine de minutes à tout casser, mais elle a eu le temps de me dire mon père, ses erreurs, sa folie, sa jeunesse. C’est pas comme les autres, ces enflures qui se sont tapés ma mère, la fausse, Mathilde. Ces gros salauds que je voyais à la maison, qui débarquaient sans rien dire, obligeant ma mère à me ranger dans un trou de serrure d’où je voyais tout ce que la vie nous offrait de minable et de pourri. Ils me regardaient du haut de leur soi disant vie d’adulte responsable. Du haut de ces murs infranchissables qu’ils jetaient entre ma mère et moi, pour mieux la déchirer de leur queue à deux balles la passe. Je l’aimais bien, maman… Ma fausse mère, la seule femme qui mérite le respect, la seule qui se soit fait tabasser le ventre et le cul en serrant les poings pour le seul homme qu’elle estimait, moi, par le seul homme qui la tenait en respect d’une main épaisse et cruelle, l’autre, mon soi-disant beau père ! Moi, qui me suis cassé sans rien dire, pour lui éviter d’en prendre plus dans sa gueule de pute des cités, ce môme qui chialait en partant vers le vide du vide qu’il creusait derrière lui, des déchirures qu’il salait de ses pleurs, du trou qui finirait par les engloutir tous les deux une fois que le temps n’aurait rien pu faire contre le manque et l’horreur d’une absence inadmissible. S’il faut payer un jour que je ne sois pas le seul à y passer. Que les femmes me suivent, qu’elles tombent avec moi, elles qui ne savent pas faire autre chose que subir sans rien dire. Ou qui ne savent pas mieux que profiter du peu qu’elles ont entre les jambes sans chercher à changer le sens des choses, sans réfléchir autrement qu’avec leurs trous au moyen de gagner un pouvoir qui ne leur sert qu’à exprimer la frustration de ne pas être aimées davantage. Toujours plus. Et que les mecs se pointent dans leurs habits de casseurs d’amour, qu’ils payent de leur vie la force que semble leur donner leur bite. Qu’ils raclent de leurs anneaux dorés le ventre des femmes qui s’offrent pour un fond de gamelle. C’est pas facile de s’en sortir quand on a tant de cadavres dans la tronche. Non, c’est pas facile. Mais y’a toujours des solutions.

NOIR

retour sur la première scène ; la rejouer à l’identique

lumière 

Rappel. 

Première scène : un homme (Willy) entre dans une pièce sombre, très sombre, juste un rai de lumière -provenant d’une lampe posée sur une table-  vers lequel il va se mettre, la mine triste mais grave, l’instant est lourd. Il ne parle pas, avance déterminé vers un meuble, ouvre un tiroir, en sort un revolver, le regarde, le scrute et essaie deux ou trois façons de se tuer : canon dans la bouche, sur la tempe, sous le menton. Puis le remet dans sa bouche. Sort du rai de lumière : on ne voit quasiment plus.

A cet instant un homme (Benoît) entre précipitamment, plisse les yeux, cherche du regard, est affolé, distingue celui qu’il cherche, se précipite sur lui en hurlant :

BENOÎT. 

Non ! Non, ne fait pas ça ! Arrête ! (lui tient le bras, tente de l’empêcher de tirer, mais Willy résiste ; le cadre touché par un geste brusque tombe au sol) Willy c’est de la folie ! Tu ne peux pas faire ça ! TU N’AS PAS LE DROIT ! 

(Willy finit pas baisser le bras)

C’est bien ! Comme ça. Parfait. Il n’y a rien de mieux à faire. C’est très bien, Willy, tu m’as foutu une de ces trouilles.

(Benoît pense avoir réussi ; relâche son emprise et son attention ; mais d’un geste brusque, Willy replace le canon dans sa bouche) NOOON ! 

Benoît se jette sur Willy ; fait tomber la lampe ; la lumière s’éteint ; on ne distingue plus rien ; coup de feu ; une silhouette se dresse vivement ; l’autre est au sol (ou sur fauteuil, canapé etc.) ; celui qui s’est levé va vers l’interrupteur et allume la lumière ; Benoît debout une main soudée à l’interrupteur revolver dans l’autre main ; Willy groggy, une main sur le front ; visage crispé de douleur tente de se relever

WILLY.

Salaud ! Donne moi ce revolver, que j’en finisse !

BENOÎT.

Tu ne finiras rien du tout. Tu vas m’écouter !

Sonnerie du téléphone ; Benoît décroche ; il remet le cadre en place

BENOÎT.

Oui ? Pardon ?... Qui ?... Room service ? Ah non ! Ce n’est pas le mo… Comment ? Explosion ? Où ça ?... Allo ? (c’est l’interlocuteur qui demande) Qui est à l’appareil ? Mais je… Allo ? (c’est Benoît qui demande) Qui est à l’appareil ? Room service ? Mais je sais ! Mais… Allo ? Oui, c’est toujours moi ! Qui moi ? Mais moi, nom de dieu ! Le direc… Allo ? Non ! Ce n’était pas une explosion ! C’était quoi alors ? Mais, ça ne vous … Oui, non, mais ok ! C’était … la VMC ! V !... M !... C !... Je ne sais pas moi… un court circuit… le moteur… explosé… Oui, c’est ça appelez le service technique… Et ne m’emmerdez plus ! (raccroche sèchement)

WILLY.

Donne moi ce revolver, que je te descende !

BENOÎT.

Ah ! Je vois que tu reviens à la raison !

WILLY.

Profite ! Profite bien de la situation, elle ne durera pas !

BENOÎT.

Tu n’es plus en position de force, Willy, tu n’as plus aucun atout. Même cette tentative pour te supprimer est pitoyable. Tu vas faire ce que je veux. Rien d’autre !

WILLY.

Je ne me marierai pas !

BENOÎT.

Bien sûr que si tu vas te marier avec Sonia. Ce serait tout de même dommage que ce magnifique enterrement de ta vie de vieux garçon ait eu lieu pour rien.

WILLY.

J’ai accepté contraint et forcé. Je n’avais pas encore mesuré à quel point tu étais une ordure.

BENOÎT.

C’est le monde à l’envers. J’ai échappé au chantage le plus minable qui soit, par les êtres les plus pourris qu’on peut trouver, et tu te permets de me critiquer. Tu n’as pas l’impression qu’il y  quelque chose qui cloche ?

WILLY.

Rien à foutre ! On va se casser avec Sonia, et toi, minable aristo arriviste, tu vas rester avec tes CD de merde. Malgré ton manque d’imagination, tu trouveras facilement où te les carrer.

BENOÎT.

Arrête d’être vulgaire ! Même si pour toi, c’est difficile, (intonation vulgaire) vu que c’est comme qui dirait une seconde nature.

WILLY.

Bon ok ! Je me casse !

(se lève pour partir)

BENOÎT.

Tu ne vas aller nulle part !

WILLY.

Je te dis que je me casse ! Je fous le camp. Je me tire, je me barre, je débarrasse le plancher ! Pigé ?

BENOÎT.

T’es doué pour les synonymes. Comme quoi, quelques mois de fac, ça a du bon pour le vocabulaire…

WILLY.

(s’avance vers lui l’air déterminé ; le prend par le vêtement)

Mais tu vas te taire à la fin.

BENOÎT.

C’est mon portefeuille que tu veux ?

WILLY.

Non, ça !

sans qu’il s’y attende Willy lui prend le revolver des mains ; se sent plus fort ; le lui place à plusieurs endroits de la tête et sur le cœur ; à chaque fois fait mine de tirer ; la tension doit être palpable

BENOÎT.

Tu ne tireras pas !

WILLY.

Tu es très sûr de toi !

BENOÎT.

Tu sais pourquoi tu ne tireras pas ? Parce que tu es un lâche. Et tu sais pourquoi tu vas te marier ? Parce que tu ne vas pas prendre le risque d’aller en prison ! Mon père, comme tu le sais, a des amis très bien placés dans la police. Récupérer ton pedigree n’a été d’aucune difficulté. Tu vois ce que le juge pourrait faire de ton sursis s’il apprenait que tes petits trafics ont repris de plus belle.

WILLY.

Mais pourquoi tiens tu tant à ce que je me marie ?

BENOÎT.

Donne moi ça d’abord ! (tend le visage vers le revolver) Donne !

Willy s’exécute malgré lui ; il lui tend le revolver ; pendant que Benoît l’amène vers le tiroir d’où il venait ; le fermer à clé ; s’emparer de la clé ; Willy le regarde faire puis regarde en direction des enceintes cachant les caméras de vidéosurveillance ; Benoît surprend son regard mais fait mine de ne se rendre compte de rien

BENOÎT.

Bien, voilà une bonne chose de faite !

WILLY.

Alors !

BENOÎT.

Parce qu’il y a de la demande !

WILLY.

Pardon ?

BENOÎT.

Ben, ta petite copine, Sonia, quand elle fait la pute, c’est bien, mais songe un peu si elle est mariée. Là, ça va faire sacrément monter les enchères. Tu crois pas ?

WILLY.

L’enfoiré ! Et tu prétends l’aimer. La vérité c’est que t’es qu’un salaud de la pire espèce.

BENOÎT.

Mais je l’aime. C’est assez irrationnel, d’ailleurs. Cela dit, baiser avec la femme de mon meilleur ami. Quel pied ! Tu ne trouves pas ? Mais tu n’y perdras pas au change.

WILLY.

Ah oui ! Tiens donc ! Et de quelle façon ? Je n’aurai pas à nettoyer les chiottes de ton putain d’hôtel ? Pas de repassage, non plus ?

BENOÎT.

Je te laisse l’argent de toutes les passes qu’elle fera. Dans la mesure où elle baisera à chaque fois que je le souhaiterai et que tu me fourniras tout ce que je te commanderai : coke, acides, barrettes… -j’en passe, et des bien meilleures- le fric est pour toi. Bon, bien sûr, j’aurai peut être l’occasion de revendre un peu. Y’a toujours des clients bien placés qui ne voudront avoir affaire qu’à moi. Tu sais ce que c’est : la confiance, le business… Par contre, va peut être falloir qu’elle bosse un peu plus si tu veux devenir riche. Mais tu vois, ma rancune n’ira pas au-delà, vous avez l’hôtel tout pour vous. Y’aura toujours une chambre de libre et sans réservation, pour vos petites affaires. 

WILLY.

Je vois que tu as pensé à tout. Tu m’épates Benoît ! Je ne m’attendais pas à tant d’ingéniosité de ta part. 

BENOÎT.

Venant de toi, je dois avouer que c’est un grand compliment.

WILLY.

Je m’en veux de ne pas l’avoir senti. Ca se goupille tellement bien, que c’est à se demander si tu y es pour quelque chose. Tu crois en la providence ? Ben tu devrais, parce qu’elle t’a à la bonne. Non, ce n’est pas possible, je n’arrive pas à m’y faire, tu ne peux pas avoir mis en place tout ce machin tout seul, sans aucune aide.

BENOÎT.

Tout seul. Comme un grand. Légèrement aidé par l’état et son arsenal technologique. 

WILLY.

(regarde à nouveau l’enceinte)

C’est à ce moment précis, que le château de cartes s’écroule. Tu viens de commettre une lourde erreur. La fébrilité du débutant, sans doute.

BENOÎT.

(le regarde droit dans les yeux)

Si c’est aux caméras que tu songes, et à ce qu’elles sont supposées avoir enregistré, ne t’inquiètes pas, j’ai mis le système en stand by. Rien de ce qui vient d’être dit ne sortira de cette pièce. Nous étions deux à connaître l’existence de cet équipement très particulier, mon père et moi. Il y a peu de temps nous sommes passés à trois, et manifestement… Ah ! cette chère Sonia, elle ne sait pas tenir sa langue…

WILLY.

(dépité)

Ca ne te déplait pas tout le temps, à ce qu’on ma dit !

BENOÎT.

… et il semblerait que nous soyons désormais quatre à être dans le secret des dieux. Seulement voilà, nous ne sommes que deux à en connaître le maniement. Bien ! Et si nous reparlions de nos petits arrangements. Donc, le mariage !

WILLY.

Mais je ne veux pas me marier ! Tu ne peux pas m’obliger à ça. Je n’aime pas Sonia. Je ne l’ai jamais aimée. 

BENOÎT.

Raison de plus !

WILLY.

C’est un bon coup, tout au plus ! Elle me sert, elle m’est utile, voilà tout. Et elle pourrait nous être utile, à tous les deux. Si tu le souhaites, je peux réfléchir à un plan qui peut nous rapporter gros. J’en fais ce que j’en veux. Elle me suivra. De la came, tu en auras. Pense un peu à tout ce que je t’ai vendu… donné…. Tu n’as jamais rien trouvé à redire. Tu as toujours été bien servi. Et quand tu en as voulu pour tes soirées déjantées avec tes amis de la haute, je n’ai jamais été radin, tu le sais. Benoît ! Ben ! Pas le mariage ! Laisse moi partir. 

BENOÎT.

C’est fini Willy ! Tu n’es plus en situation de négocier quoi que ce soit. Tu as perdu l’avantage. J’ai suffisamment de preuves pour vous faire plonger. 

WILLY.

C’est des conneries, Benoît ! C’est du bluff ! Ces caméras, ces enregistrements, c’est pour nous baiser. Tu n’as rien, pas plus de bandes que de preuves. Je suis sûr que si je regarde derrière ces enceintes, je ne vais rien trouver du tout. Allez, tu la gardes et on est quitte. (va vers le téléphone) J’appelle le room service pour commander une bouteille. (se ravise) Non, vu comment il fonctionne, je vais la chercher moi-même. (amorce un mouvement vers la porte de sortie)

BENOÎT.

Tu ne vas aller nulle part. Ce sont les interférences. 

WILLY.

Quoi ? Quelles interférences ? 

BENOÎT.

Du jour où cette pièce à été équipée d’appareils sophistiqués -je répète : de ce qui ce faisait de mieux sur le marché au service de l’espionnage d’état- ça a merdé. Même lorsque mon père et moi avons décidé, il y a deux ou trois ans, de moderniser tout ça, nous n’avons pas réussi à régler ce problème d’interférences et de blocages à répétitions avec le room service. Ca s’est même aggravé. Mais comme ça n’a toujours concerné que cette chambre et que le principal occupant tu le connais bien, on a laissé tomber. D’autant que mon père s’est toujours montré plutôt indifférent à la nécessité d’un tel lieu et encore plus à son utilité. Mais à partir du moment où  moi, ça m’occupait, où j’estimais qu’un jour, ça pouvait servir…

Donc, oublie tes certitudes, c’est moi qui ai les enregistrements !

La porte s’ouvre. Sonia apparaît. Elle entre.

SONIA.

Non, c’est moi !

Ils la regardent tous les deux, désemparés

SONIA.

Regarde Benoît

Il est vraiment charmant, ton père, mon cher Benoît. Dès que je lui ai appris que nous allions nous marier, il s’est carrément liquéfié -tu parles, caser le fils maudit !- et n’a eu aucune peine à me convaincre que si je le souhaitais, il me rendrait tout les services en son pouvoir. Que je m’intéresse à l’hôtel, à son histoire et en particulier à cette pièce, l’a tellement ravi, qu’il m’a tout expliqué. Je pense avoir tout compris. Et je dois avouer qu’elle est bien plus efficace qu’un sérum de vérité, cette chambre mystérieuse.

BENOÎT.

(furieux)

Tu bluffes. Je ne te crois pas. Ce n’est pas possible, personne ne sait comment ça fonctionne. Personne ne sait. 

WILLY.

Ton père et toi !

BENOÎT.

Mon père et moi. Oui, mon père et moi et mon père et moi nous nous sommes jurés de ne jamais rien dire à ce sujet.

WILLY.

Et vous avez tenu promesse. Jusqu’à aujourd’hui. 

SONIA.

Il t’adore, tu sais, ton père. Il voit en toi celui qu’il a été. 

WILLY.

Non ! Je dirais plutôt qu’il voit en lui celui qu’il est devenu. T’as encore du chemin à faire, mais ta route est toute tracée. Quelle chance !

BENOÎT.

S’il avait la moindre idée de l’erreur qu’il vient de commettre. S’il savait ce qu’il a fait.

SONIA.

Il ne sait peut-être pas ce qu’il a fait, mais il sait pourquoi il l’a fait.

Willy et Benoît regardent Sonia d’un air effaré

SONIA.

Vous vous ressemblez beaucoup ton père et toi, vraiment beaucoup ! Vous avez la langue bien pendue, tous les deux (allusion grivoise et maligne)… mais c’est la tienne que je préfère. (plaque le cadre contre le bois du meuble)

NOIR

       Lumière

 

Le cadre est en place. Le téléphone sonne ; ils l’ignorent délibérément ; il le laissent sonner un moment attendant qu’il s’arrête de lui-même ; mais il sonne de plus en plus fort à en devenir assourdissant au point qu’ils mettent leurs mains sur leurs oreilles afin de se préserver d’un bruit qu’il ne parviennent plus à supporter ;  il s’arrête enfin

 

Cette scène n’est pas réelle. Elle est le fruit de leurs fantasmes. C’est ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes, leurs tourments et la solution idéale de les traiter, de régler ce qui depuis toujours a fait ce qu’ils sont devenus. C’est pour cela que pour une fois, il y a convergence d’approche, détermination dans le montage du plan qui les libèrera de leurs démons.

 

La mise en scène doit mettre en évidence ce passage de la « réalité » à ce moment de fiction.

Un éclairage plus marqué ; des attitudes et autres comportements soutenus par un enthousiasme « poussé » ; exagéré » dans un jeu où la tension permanente, palpable, l’unité retrouvée, fédératrice.

La sonnerie obsédante donne le départ à cette scène « révée ». Elle la cloture également. Elle marque le passage de la réalité à la fiction, ainsi que le retour à la réalité.

 

BENOÎT.

J’en ai plus qu’assez de ce type. Il faut que ça cesse une bonne fois pour toutes. Je deviens fou à force de l’imaginer derrière moi, au dessus de moi, dans mes jambes, sur mon dos. C’est plus tenable.

SONIA.

T’inquiètes pas Benoît, nous sommes là, avec toi. On ne va pas le laisser continuer à te torturer. Tu peux compter sur nous. Si t’as une idée, dis nous, on te suit. Tu veux que je m’en occupe ?

WILLY.

(s’adresse à Benoît)

J’ai une idée, nous allons lui régler son compte, à ton père. On va lui faire passer l’envie de te bouffer la vie. Passe moi le flingue !

BENOÎT.

Ok ! Très bonne idée ! On va lui expliquer la vie en le mettant à mort, à cet enfoiré de mes deux. Nous verrons bien qui aura le dernier mot cette fois. 

SONIA.

Il va pas s’en sortir comme ça. Ce serait trop facile. Son heure est venue de payer.

WILLY.

Plus qu’une bonne chose à faire, c’est une question d’équilibre naturel. 

BENOÎT.

Rien ne peut nous en empêcher. Et personne d’autre pour le faire, à part nous.

SONIA.

Je viens avec vous. Vous aurez besoin de moi.

BENOÎT et WILLY.

(ensemble)

Non ! 

WILLY.

C’est une affaire d’hommes. On va régler ça proprement, à l’ancienne, deux balles dans le cœur, une dans la tête.

BENOÎT.

Non, pas d’accord ! Une balle dans le cœur, deux dans la tête. Je préfère, c’est plus sûr. Avec le cœur on ne sait jamais. La tête c’est radical. C’est pas propre, mais très efficace

SONIA.

Je veux participer. Il y a trois balles à tirer. Nous sommes trois. Une chacun. Je te vois bien tirer en premier, moi juste après et Willy pour le coup de grâce. Allez les gars, vous me devez bien ça, non ?

BENOÎT.

Ca se tient. Ok, tu viens avec nous. Tu serviras d’appât. Une femme est toujours plus rassurante. 

WILLY.

Tu peux avoir confiance, avec elle, il sera rassuré le vieux.

SONIA.

Comme ça il n’y verra que du feu !

Rires en rapport au jeu de mot

 

BENOÎT.

Que va-t-on faire du corps.

SONIA.

Aïe ! C’est vrai. Voilà un point sur lequel il y a quelques soucis à avoir. Et si on le foutait à la cave. Tu dois bien avoir ce qu’il faut, Benoît, me dit pas que cette grande bâtisse n’a pas ce genre d’endroit. On creuse un trou, on le fout dedans et hop ! fini le padre, mort et enterré.

BENOÎT.

Pas mal, mais tout le monde va à la cave. C’est la réserve de l’hôtel, y’a toujours un type pour s’y pointer. Faudrait trouver autre chose.

WILLY.

Pour s’en débarrasser… Oui, j’ai bien une petite idée. Mais, non, ça va vous faire marrer.

BENOÎT.

Dis toujours, on votera après.

WILLY.

Le room service ! On le bourre de formol, on le cale dans un fauteuil, la tête droite, les mains sur les accoudoirs, la bouche entrouverte comme s’il allait parler et on le laisse là à regarder la vie qui passe.

BENOÎT.

 Génial ! Je suis sûr que ça lui aurait plu de rester connecté à son cher hôtel. (prend le cadre ; ouvre un tiroir ; l’y lance dedans ; le referme avec satisfaction)

WILLY.

Je peux vous demander une faveur ?

BENOÎT.

Tu risques rien à essayer !

WILLY.

On pourrait pas s’occuper de mon beau père, après ?

SONIA.

Le maquereau ? Moi, j’y vois pas d’inconvénient !

BENOÎT.

Moi non plus. Au contraire, y’a pas de raison que tu n’y ais pas droit aussi. Tu sais où le trouver ? Tu crois que tu vas le reconnaître ? 

WILLY.

Ils n’ont pas bougé d’endroit. Sa tronche, mon vieux, elle est gravée là (touche son front) depuis le premier jour où il m’a flanqué une raclée. C’était le premier soir à la maison, après que ma mère soit couchée, après l’avoir bien baisée, après l’avoir faite hurler si fort que je suis allé voir s’il ne lui faisait pas mal. En me voyant, elle s’est arrêtée net et son regard lui a signalé ma présence. Après l’avoir rassurée, il m’a raccompagné, m’a mis au lit, a recouvert ma tête d’un oreiller et a commencé à me tabasser dans les côtes, les reins, les cuisses… On va lui faire la peau, hein. 

BENOÎT.

Banco ! Ce sera d’autant plus facile, qu’on se sera fait la main avant. On sera bien chauds. Ce devrait être du gâteau !

SONIA.

Mais pas pour trois balles ! Quatre, pas moins.

BENOÎT.

Prem’s !

SONIA.

Deutch !

WILLY.

Troich et quatch ! Yes ! Toi, Benoît, tu tires dans les jambes, histoire de le surprendre. Toi, Sonia, tu tires dans les côtes, manière de le surprendre davantage et de le déstabiliser. Et moi, je lui en file une dans le gras du bide et la dernière, entre les deux yeux, façon troisième œil, juste pour lui en ouvrir un au moment où il en fermera deux.

BENOÎT et WILLY.

Se tournent vers Sonia ; Ils l’interrogent du regard

SONIA.

Vous feriez ça pour moi ?

BENOÎT.

Mais bien sûr ma chérie !

WILLY.

Est-ce qu’on peut te refuser quoi que ce soit ?

SONIA.

Mais vous êtes sûrs que je le mérite ?

WILLY.

Tu es peut être celle d’entre nous qui le mérite le plus.

BENOÎT.

Moi, c’est du dedans de ma tête que vient tout mon mal. Willy, c’est du dedans de sa tête et du dessus de son corps que c’est enflé. Toi, c’est de tout ça, mais en plus c’est du dedans de ton ventre que ça sort aussi. 

WILLY.

C’est toi qui a le plus le droit de faire c’qui faut.

BENOÎT.

Alors, dis nous comment on le descend. Tu verras, ça ira mieux après.

SONIA.

Ben, c'est-à-dire qu’il est mort l’année dernière.

WILLY.

Merde !

SONIA.

Il est mort en prison, en cours de peine. Il avait pris dix ans pour pédophilie aggravée. Comme s’il avait rajouté sa touche personnelle à ses petites manies. Quand il me l’a fait, il avait une saloperie qu’il m’a refilée. J’ai pu limiter les dégâts. D’après ce que j’ai lu, il l’a refilée à pas mal de mômes. La plupart en a gardé de belles traces. C’était son truc à lui, sa petite fantaisie perso. Une cerise abjecte sur un gâteau de merde !

BENOÎT.

T’inquiète pas, on va trouver une solution. Willy ?

WILLY.

Je crois que j’ai ce qu’il vous faut. Mais…

SONIA.

Va y ! Raconte. Aller, raconte Willy, qu’est ce que t’attends ?

WILLY.

On pourrait le déterrer et lui enfoncer un pieu dans le fion… Bon, mais si vous trouvez pas ça bien, on peut voir autre chose.

BENOÎT.

Œil pour œil. Dent pour dent. Pieu pour pieu ! Bien joué, Willy !

WILLY.

- J’avais peur que ça vous paraisse un peu… agressif.

BENOÎT.

Non, Willy ! C’est une idée sage et juste. N’est ce pas Sonia ? Sonia ?

Sonia a les mains sur les oreilles ; elle est pour l’instant la seule à entendre un bruit strident

 

NOIR (mais pas total)

 

Sonnerie de plus en plus forte à en devenir assourdissante au point qu’ils mettent leurs mains sur leurs oreilles afin de se préserver d’un bruit qu’ils ne parviennent plus à supporter ;  il s’arrête enfin

 

Lumière

WILLY.

Tu ne serais pas une garce, toi ?

SONIA.

Une pute, mon cher, une pute suffira. D’ailleurs, tu le savais déjà, non ?

BENOÎT.

Tu ne vaux rien, Sonia, rien du tout. Pas même le regard que je te porte.

SONIA.

Pourtant, si tu insistais, tu verrais à quel point je suis inestimable.

WILLY.

Cela dit, chapeau Sonia, c’est très bien joué. Tu as été parfaite. Même moi, je ne suis pas sûr que j’y serais arrivé. Non, vraiment c’est du grand art. 

SONIA.

Il faut dire que j’ai été bien formée. Vous êtes des profs impeccables, des modèles qu’on a forcément envie de suivre, d’imiter.

WILLY.

Oh, mais toi et moi, on n’a pas de mérite. C’était quitte ou double. En fait on n’a jamais eu d’autre choix que de bouffer les autres pour éviter de l’être, nous, bouffés. Lui, c’est tout différent. Il avait tout, mais ce n’était pas suffisant. Le pouvoir que lui donnait son argent était trop tentant pour qu’il ne s’en serve pas. Il nous a baisé tous les deux, c’est ça la vérité. 

BENOÎT.

(regardant Sonia)

Mais, mon pied, c’est avec toi que je l’ai pris.

SONIA.

C’est pas bientôt fini, ce délire ?

WILLY.

Je suis là, Sonia. J’ai toujours été là quand tu as eu besoin de moi. Et tu ne t’es jamais demandé pourquoi ? 

SONIA.

Willy, attention aux paroles que tu vas regretter.

BENOÎT.

Il n’est pas à une contre vérité près. Tout et son contraire, voilà bien du Willy tout craché.

WILLY.

Parce je te connais mieux que personne. Je sais tes faiblesses. J’ai compris ta sensibilité. Tu es quelqu’un de compliqué. Mais si tu l’es, c’est parce que tu as beaucoup souffert, il t’a fallut tellement de courage pour survivre, que tu t’es épuisée et sans mon appui tu serais au fond du gouffre, n’ayant que tes yeux pour pleurer et ton cœur pour saigner. Je te suis nécessaire, autant que l’air que tu respires, mais ce que tu sais au fond de toi, et que tu as du mal à t’avouer, c’est que c’est pareil pour moi. J’ai besoin de toi, de ta fragilité, de tes défauts. J’ai besoin de sentir que je te suis indispensable.

BENOÎT.

Jamais rien entendu d’aussi pathétique. Mais quel faux cul, ce type.

WILLY.

(toujours à Sonia)

Et tu lui as mis bien profond, à l’autre. (regarde Benoît) Hein, qu’elle te l’a …

BENOÎT.

Ferme là ! Tu ne m’intéresses pas. Tu ne m’as jamais intéressé, d’ailleurs. Tu te crois très fort, mais je ne t’ai toléré que parce que tu me servais à quelque chose. Pour le reste, t’es un minable ; tu l’as toujours été ; tu finiras comme ça.

SONIA.

Ah ! Vous faites un beau duo tous les deux. Pas un pour rattraper l’autre. Mais tu crois quoi, Willy ? Que je t’aime au point de te servir encore de serpillière ? Que tes paroles sont celles d’un prophète ? Que rien de ce que je peux penser ou faire ne doit passer que par toi ? T’imagine bien qu’une abrutie comme moi, bêtement éperdue d’amour, n’a aucune notion de ce que la nature humaine peut avoir de tordue, d’ambiguë et de perfide. C’est fini tout ça ! C’est vrai que je t’aime, Willy, mais je suis fatiguée par ce manque de respect que tu me fais vivre depuis toujours. Le règne de la grosse gourde est terminé. Vive celui de l’enfoiré qu’à plus que ses yeux pour pleurer et son cul à botter.

WILLY.

La petite Sonia est devenue grande. Mais ses épaules seront-elles assez larges, ses cuisses assez fortes pour supporter cette charge écrasante de femme libérée, prête à affronter le monde?

SONIA.

T’en fait pas pour moi.

WILLY.

J’en doute. Ben, j’ai pas raison ?

BENOÎT.

Je vois surtout que tu pisses dans ton froc !

WILLY.

Remettons ça à plus tard, tu veux. Pour l’instant, nous avons un problème commun à régler. Que dirais tu d’un petit arrangement entre anciens amis.

SONIA.

Les gars…

WILLY.

Ferme la, toi, on t’as rien demandé !

BENOÎT.

De quoi parles tu au juste ?

SONIA.

Vous ne me faites pas peur. Je sais qui vous êtes, ce que vous valez.

WILLY.

(l’ignore)

J’ai quelques sachets de… d’Aspégic, dans un coin. Vu ce dont elle souffre, il suffirait d’une bonne dose… Je veux dire, ce qu’il faut pour la calmer. Enfin, tu vois, quelque chose de bien, bien efficace… Et ça serait réglé. Plus de bobo. Plus d’effet secondaire. Rien à craindre des suites indésirables. Ensuite, en guise de tri sélectif, un bon container à poubelles pour les déchets gênants et le tour est joué. Qu’est ce que t’en penses,  mon cher Benoît ? 

SONIA.

T’es un malade, Willy. Un vrai fou à lier. A surtout mettre hors d’état de nuire. 

BENOÎT.

Pas mal ! Je récupère les petits documentaires, j’en garde un comme souvenir -on ne sait jamais-, j’efface ce qui doit se graver en ce moment et la vie reprend son cours. Comme si de rien n’était. Comme avant… que je te connaisse, mon cher Willy. Je dois dire que c’est une vision du futur proche assez séduisante.

SONIA.

Benoît ! Tu n’es pas comme lui, Benoît. Tu ne peux pas être comme lui. Benoît ?

WILLY.

(à Sonia)

C’est dur de voir la terre se dérober sous ses pieds, non ? Mais quel panache, Sonia. Une fille aussi belle et intelligente que toi, finir en héroïne. Tu devrais trouver ça romanesque, toi, la petite qui part de rien, pour finir nulle part. Quelle belle histoire ! Quand tu penses que Benoît en personne, est prêt à écrire le mot de la fin… Si c’est pas grandiose, ça !

BENOÎT.

(le regarde ébahi)

Je ne sais pas si t’es sincère. En fait, je ne veux même pas le savoir. J’ai pas envie de l’entendre, au cas où. Mais je crois qu’elle a raison, t’es un malade. (regarde Sonia) T’inquiète pas, Sonia, on va pas le laisser faire. Je suis avec toi.

SONIA.

(à Willy)

Tu n’as rien ni personne à qui te raccrocher, maintenant ; Tu t’en rends compte, au moins ?

WILLY.

Tu te trompes de cible, Benoît. Tu fais le mauvais choix. Tu ne peux rien attendre d’elle après ce qu’elle t’a fait. (à Sonia) Mais t’as conscience de ce que tout ce que tu as fait ?

SONIA.

Rien d’autre que de sauver ma peau. Comme toujours. Rien d’autre qu’essayer de croire en quelqu’un qui ne ment pas. Un individu capable d’aimer sans calcul. Je n’ai rien fait de mal, j’ai tout juste tenté d’être moins sale et de ne plus avoir peur.

BENOÎT.

Et la seule personne à te permettre d’y parvenir, c’est moi. Pas l’autre. Là où il te faisait fantasmer pour mieux t’abuser, je t’ai offert mon réconfort amoureux, ma sincérité, sans rien demander d’autre en échange qu’un peu d’intérêt de ta part. Rien n’a changé aujourd’hui. Mes sentiments sont intacts et tu peux toujours m’avoir à tes cotés. Tu m’as à tes cotés, d’ailleurs. Et je ne laisserai pas ce type te blesser davantage.

SONIA.

C’est fini, Benoît. J’ai plus confiance en vous. Vous êtes semblables, au fond, le double jeu vous est devenu une seconde nature. Vous êtes prêts à tout pour ne pas plonger, après toutes vos manigances. Il n’y pas cinq minutes, tu étais prêt à le suivre dans sa folie…

BENOÎT.

Mais c’est faux, Sonia, c’était pour voir jusqu’où il était prêt à aller. Pour te montrer qu’il envisageait le pire.

WILLY.

Impossible ! Jamais je n’aurai pu faire une chose pareille, et vous le savez très bien, tous autant que vous êtes.

SONIA.

C’est justement tout ça qui doit cesser. Et j’ai décidé que le moment était venu.

WILLY.

Et que comptes-tu faire, maintenant.

SONIA.

Me lancer dans la magie, mes chéris. (sort un cd de sa poche ou d’un sac etc. ; l’agite en direction de Willy) Toi tu disparais de ma vue. Oh ! et puis tant que j’y suis de ma vie aussi.

WILLY.

Attends, Sonia, on va parler. Tu ne vas tout de même pas croire tout ce que j’ai dit. C’est pas sérieux. 

SONIA.

 Donc, je répète, tu disparais de ma vue (agite le cd). Je manque encore un peu d’expérience. Ca n’agit pas de suite. Ah oui ! J’ai compris. Je suis vraiment trop conne, j’ai oubliée la formule magique. Je recommence. Formule magique : J’ai appelé les flics, ils seront là dans… (regarde sa montre ou une horloge ou la montre d’un des deux hommes) dix minutes ! (agite le cd)

WILLY.

Salope ! (et il sort à  contrecoeur)

SONIA.

Pas mal pour une débutante, non ? Bon, le premier tour a marché, voyons pour le second. (agite le cd en direction de Benoît) Je veux cent mille euros, en petites coupures, dans moins de trois heures.

 

Sonia agite le cd

BENOÎT.

Mais…

SONIA.

Dans moins de deux heures…

BENOÎT.

(impuissant)

Ok ! Je vais voir ça ! (il sort)

SONIA.

(juste avant qu’il ne franchisse la porte)

Appelle le commissariat. Dis leur que tout est arrangé, que c’était une fausse alerte, juste une vmc en dérangement. Ca pourrait faire désordre de voir débarquer les services spéciaux dans ce bel hôtel luxueux.

Benoît sort

SONIA.

(désormais seule)

Même si dans cette belle chambre, ils pourraient se sentir un peu chez eux.

NOIR

FIN

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