Sahara 3. Le Départ
carouille
Enfin, après tous ces mois de démarches administratives, arrive le moment de partir.
Ce jour du 28 janvier 1938, il fait un froid de canard à Paris. Et il pleut. La lueur vacillante des becs électriques se reflète sur l'asphalte mouillé alors que Daniel et le docteur Malachowski arrivent Gare de Lyon. La gare est en plein effervescence. Les voyageurs circulent dans tous les sens. L'air est empli par la vapeur qui s'échappe des machines, résonne des sifflements des purges des locomotives. Daniel est calme, concentré. Le pouls du désert bat déjà en lui quand le train quitte le quai à 21h15.
A Marseille, ils embarquent sur La Ville d'Alger pour une traversée houleuse. La mer est démontée, le docteur Malachowski est malade. Mais Daniel reste bien droit sur le pont, le regard déjà fixé sur la côte algérienne.
Et le 30 janvier à 9h du matin, ils débarquent à Alger-la-Blanche, 36 heures après avoir quitté Paris. En arrivant, ils découvrent la première page des journaux, avec Daniel en photo sur son vélomoteur. L'Echo d'Alger roulé dans sa poche, Daniel est reconnu par le restaurateur chez qui ils s'arrêtent pour déjeuner. Et qui lui offre l'apéritif. Ce que Daniel trouve « épatant », c'est de savourer ce grand soleil, alors que quelques heures plus tôt il grelottait de froid. En train, il fait le trajet d'Alger à Colomb Béchar, avec un changement à Perrégaux, où les cigognes attendent le printemps pour regagner l'Alsace. Que d'émerveillement devant ces paysages, déjà !
Ils arrivent le 1er février dans la matinée à Colomb Béchar, une palmeraie de 18 km de long qui compte 3000 habitants. C'est une oasis très riche, grâce à l'oued Béchar qui coule là, retenu par le barrage érigé par les « bâtisseurs du bled », les Légionnaires. Les silhouettes des mokahzni, les gendarmes du désert montés à cheval, vêtus de leur djellaba bleu pâle et armés de fusils, ponctuent le paysage. Ils sont la principale protection contre les djich, ces groupes de bandits qui pillent et rapinent les voyageurs sous prétexte de dissidence. Les montagnes du Djebel Béchar à la palette de couleurs envoûtante se découpent à l'horizon. C'est un panorama unique. Un de ces panoramas qui a ravi le cœur de Daniel et l'a attaché pour toujours à la beauté du sud algérien.
Mais Daniel doit rester calme. Il lui reste encore beaucoup à faire avant de s'élancer seul sur sa machine. Et tout d'abord, il doit faire le trajet de son raid en sens inverse, à bord d'un car de la Transsaharienne. De Colomb Béchar à Gao, il doit laisser le long du chemin des réserves d'essence et du ravitaillement. Des précautions inédites mais indispensable puisqu'il fait sa traversée en solitaire. Tous les 200 km, il doit déposer quinze ou vingt litres d'essence, 2 kg de dattes et 4 litres d'eau. Et le Docteur Malachowski le suivra en car à quelques jours de distance, pour pouvoir le secourir en cas d'accident.
Et le premier problème se présente. Mal informés, les deux hommes ont oublié une démarche administrative, et la machine est retenue en douane. Le départ de Béchar pour Gao, prévu le 1er février, doit être repoussé. Grâce à l'efficacité de l'OFALAC, la machine arrive enfin le 3 février. Mais il faut maintenant attendre le prochain car pour partir. Ce sera le 9 février.
Et le 9 février à 9h du matin, le car quitte enfin Béchar. La machine est chargée depuis la veille, ainsi que les ravitaillements à semer le long de la route. Ils traversent l'oued Béchar à sec, puis passent le poste de Ménouarar, à 55 km au Sud, avant de stopper près du monument du général Clavery, dans les montagnes du Djebel Arlal. Ce chef fut assassiné là avec ses hommes en 1927, par un djich venu de Mauritanie.
Après avoir quitté l'oasis de Béchar, la nature est austère, rébarbative. Loin des palmiers, il n'y a plus ici que quelques touffes d'herbes sèches et un sol caillouteux couleur cendre. Avec au loin, les derniers contreforts du Djebel Antar, dont les cimes sont couvertes de neige. Le chemin devient difficile, la piste est taillée au milieu des roches noires escarpées.
A 11h, le car s'arrête à l'oasis de Taghit, au pied du grand Erg Occidental. Les maisons s'étalent sur les plus petits dunes, à environ 100m de hauteur, dominées par le bordj militaire.
A 17h, arrêt au poste d'Igli.
Et enfin à 19h30, arrêt à Béni Abbés. Daniel et le Docteur Malachowski profitent de la halte pour visiter l'ermitage du Père Foucauld. Le père Foucauld vécut là de 1901 à 1905, apportant secours et soins aux Touaregs, apprenant leur langue, et tentant de les évangéliser, avant de partir pour Tamanrasset où il sera assassiné en 1916 par les fellagas. Il a laissé une profonde marque dans le peuple Touareg, et participé par ses efforts à la construction de l'amitié entre coloniaux et Sahara.
Le grand Erg Occidental déploie ses dunes de sable aux alentours.
Le car a parcouru 246 km ce premier jour.
Le 10 février, le car démarre à 3h15 du matin. Daniel peut enfin faire son premier dépôt au poste désaffecté de Timoudi.
L'après-midi, Daniel remplace Orel, le chauffeur, victime d'une crise de paludisme. Il conduit jusqu'à l'oasis de Sba, où tout le monde peut se désaltérer grâce à l'eau limpide qui coule à seulement 50 cm sous la surface du sol.
Puis le car repart jusqu'au Bordj militaire d'Adrar, l'un des plus beaux postes qui sillonnent le Sahara. Il est bordé de hautes murailles rougeâtres, et est surtout célèbre pour ses magnifiques jardins entretenus grâce aux foggaras, ces canalisations souterraines qui dispensent une eau claire et abondante. Là, Daniel et le docteur Malachowski savourent le pot de bière offert par le capitaine Gellion.
Puis c'est à nouveau la piste jusqu'à Reggan.
Le car a cette fois parcouru 566 km.
Le 11 février est une journée de repos. Daniel en profite pour finir ses préparatifs en vue des dépôts de ravitaillement. Trois dépôts sont prévus, comprenant chacun un bidon de carburant, 4 litres d'eau et 1 kg de dattes. Le premier à 250 km au sud de Reggan, à l'embranchement de la piste d'Ouallen. Le second à la petite balise 231, entre Bidon V et Aguélock. Le troisième à la balise 19, à 190 km au Nord de Gao. Trois dépôts intermédiaires sont prévus. A Bidon V et Aguélock, quelques boîtes de conserve et une bouteille de vin. Et à Kidal, 5 litres d'essence.
Le 12 février, le car parcourt 510 km pour parvenir jusqu'à Bidon V, dominé par le phare Vuillemin. Il fut construit par la société Butagaz dans l'hiver 1935, et inauguré en avril 1935 par le général Lacollay. Daniel a assisté à l'inauguration. Ce phare capable d'indiquer la route aux voitures à 10km de distance le jour et 20 km la nuit, ainsi qu'aux avions jusqu'à 60 km, a sauvé de nombreuses vies. Car Bidon V est situé en plein Tanezrouft, l'un des déserts les plus arides et les plus chauds du monde, atteignant souvent plus de 50°C. Aucun peuple n'y vit de façon permanente, et aucune végétation n'y survit. Même les caravanes Touaregs ne font que traverser. Des bidons d'essence placés verticalement servent en principe de bornes kilométriques, mais ils sont en fait disposés le long de la piste de façon fantaisiste. Et tous les 10km, en principe, une balise aérienne est installée. Il s'agit de balises en zinc, adoptant normalement une forme de petite maison. Mais les tornades de sable arrachent le plus souvent les plaques de zinc, les transportant sur plusieurs centaines de mètres. Tous les chauffeurs qui l'ont parcouru de nuit connaissent cette sensation étrange de voir s'élever deux murs autour du véhicule dans la lumière des phares, l'impression d'avancer au milieu d'une forêt dense et incroyablement épaisse, où le moindre coup de volant fait sortir le camion de la piste et l'enlise. Personne ne connaît l'origine de cette illusion, mais tous ceux qui ont traversé le Tanezrouft de nuit l'ont vécue.
Le 13 février, après 420 km, le car arrive à Aguélock, premier poste soudanais. C'est un ancien bordj militaire qui sert d'habitation aux mécaniciens et au radio d'Air Afrique. Il est cerné par des Touaregs, originaires du Hoggar pour la plupart. Le désert a changé. Après les étendues stériles du Tanezrouft apparaissent quelques touffes d'herbe, et des gazelles gambadent de place en place. Les indigènes célèbrent le passage du car avec des tam-tams qui retiennent le sommeil jusque tard dans la nuit.
Le 14 février, le car s'arrêt au bordj de Kidal. Daniel s'émerveille du jardin. C'est la première fois qu'il peut admirer des tomates bien rouges et des petits pois en fleurs au mois de février. Et la région est giboyeuse. Chasseur depuis l'enfance, Daniel emprunte le fusil d'un passager du car, et tire une outarde de 25 kg.
Il fait ensuite son dernier dépôt à la balise 19. Et le soir à 19h30, c'est l'arrivée à Gao, à l'hôtel Transsaharien. Daniel est aussitôt accueilli par les camarades de la Transsaharienne connus en 1935.
Le soir, il se promène le long du Niger, admirant les reflets argentés de la lune sur le fleuve. Au-dessus de sa tête, le ciel est d'une grande pureté, ponctué de milliers d'étoiles.
Il est enfin arrivé à sa base de départ.
Le 15 février, Daniel commence le déballage et la préparation de la machine, et c'est la consternation. Le pneu avant est déchiré suite à un emballage défectueux. Inutilisable. Daniel le remplace par l'un des deux pneus de secours, mais impossible de partir dans le désert comme ça, il faut en faire venir d'autres d'Alger. Daniel craint de devoir encore retarder son départ, alors que chaque jour compte. Plus on avance dans la saison, plus les risques de tempête de sable sont élevés, et il ne pourrait mener à bien son projet s'il devait en affronter plusieurs.
Heureusement, grâce à l'envoi d'un télégramme, il est possible d'organiser le voyage de nouveaux pneus par l'avion d'Air Afrique qui les apportera à Gao avant le départ du car du 22 février. Daniel sera déjà parti, mais le docteur Malachowski doit prendre ce car pour suivre son poulain à quelques jours de distance. Ainsi, Daniel sera sûr d'avoir une réserve de pneus à quelques jours d'intervalle en cas d'éclatement trop fréquent.
Le 16 février, Daniel et son mentor enchaînent les visites officielles. Daniel fait des essais dans le sable aux environs de l'hôtel transsaharien. Et ces essais sont difficiles. La machine est lourde, trop chargée, surtout à l'arrière. Du coup elle est plus difficile à manier, les chutes plus difficiles à éviter, et le vélo plus difficile à relever.
Daniel s'inquiète mais décide de passer outre. Le désert s'étend devant lui. Il vient de passer une semaine à remonter la piste qui l'attend. Il ne veut plus reculer. Il doit partir dès le lendemain, comme prévu.
Après avoir terminé d'amarrer son outillage, il se promène à nouveau au bord du Niger, admirant les innombrables vols de canards qui sillonnent le ciel.
Daniel est aux portes de son rêve. Demain est le Grand Jour. Demain, il partira pour affronter la traversée du Sahara, seul, en vélomoteur.
A suivre
Moi non plus grâce à toi je ne verrai plus le désert du même œil...passionant !
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
Merci Fiona ;) et après c'est pire !!!! ;)))
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
J'aime beaucoup ce côté "carnet de bord". Tu décris le tout comme si tu y étais... Chapeau !!
· Il y a plus de 9 ans ·chloe-n
Merci !!! Un de mes documents sources est le carnet de route tenu par Daniel Douard durant son raid. Alors si j'arrive à restituer cet esprit, peut-être arriverai-je à ne pas dévoyer ses pensées !!
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Vraiment bien décrit avec des précisions de documentaliste. Vivement la suite ...
· Il y a plus de 9 ans ·erge
Avant quand on me disait Sahara, je ne voyais que des dunes et des chameaux. C'est dingue la richesse de son histoire, et encore je ne fais que l'effleurer de loin !
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Pour notre plus grand bonheur puisqu'on s'en rapproche .
· Il y a plus de 9 ans ·erge
;)) à grands tours de roue !! ;)))
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Et on va en connaître un rayon ;)
· Il y a plus de 9 ans ·erge
;))))
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
Quel suspense... Vivement la suite ! ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
;)))) tu sais quoi !?! Tu es pire que Coach Carouille !!!! ;)) Faudra que je le dise à qui de droit, je vais te passer le flambeau !! ;)))
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
tu sous-entends que j'ai un côté diabolique ? gnarck gnarck... peut-être ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
;)))) ben quand même, tout le mode ne sort pas des trucs impitoyables comme le ratel !! Mais ça fait partie de ton charme !! ;))
· Il y a plus de 9 ans ·carouille
C'est vrai ! ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·Yeza Ahem
;)
· Il y a plus de 9 ans ·carouille